Paul Féval - Les Habits Noirs Tome II – Cœur D’Acier

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Cet épisode nous conte l'ascension criminelle de la belle aventurière Marguerite Sadoulas, dite Marguerite de Bourgogne, devenue comtesse de Clare et l'un des principaux chefs des Habits noirs, ainsi que la lutte du jeune Roland de Clare, l'héritier légitime de la fortune et du nom de Clare, pour retrouver son héritage, convoité par les Habits noirs, et son identité.

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Les Habits Noirs Tome II Cœur DAcier - изображение 1

Paul Féval

Les Habits Noirs Tome II – Cœur D’Acier

Le Constitutionnel – 1865

Hachette et cie – 1866

Première partie Prologue – Marguerite de Bourgogne

I Premier Buridan

– Ma chère bonne Madame, dit le docteur Samuel, il faut être juste: si les personnes qui ont le moyen ne veulent plus payer, nous n’avons qu’à fermer boutique! Moi, je fais beaucoup de bien, Dieu merci. Je suis connu pour ne jamais rien demander aux pauvres. Mais il y a des bornes à tout, et si les personnes qui ont le moyen ne veulent plus payer…

– Vous avez déjà dit cela une fois, Monsieur le docteur, l’interrompit une voix profondément altérée, mais dont l’accent douloureux parlait de joies évanouies, lointaines peut-être, et d’impérissables fiertés.

La malade ajouta:

– Monsieur le docteur, vous serez payé, je vous en réponds.

Le docteur Samuel était un homme entre deux âges, blond, rond, rouge, vêtu de beau drap et portant jabot. En l’année 1832, où nous sommes, le jabot faisait sa rentrée dans le monde. Le linge tuyauté du docteur Samuel et son beau drap tout neuf n’avaient pas l’air propre. C’était un médecin affable et doux, mais je ne sais pourquoi, il n’inspirait pas confiance. Ses consultations gratuites envoyaient le malade chez un certain pharmacien qui seul exécutait bien ses ordonnances. Ce pharmacien et lui comptaient; on disait cela. Que Dieu nous aide! Nous en sommes, et pour cause, à poursuivre l’usure abominable, jusque sous le blanc vêtement de la charité!

Ceci se passait dans une chambre petite, meublée avec parcimonie. Un feu mourant couvait sous les cendres du foyer. L’air épais s’imprégnait de ces effluves navrantes, épandues par les préparations pharmaceutiques et qui sont comme l’odeur de la souffrance. La malade était couchée dans un lit étroit, entouré de rideaux de coton blanc. Sa pâleur amaigrie gardait les souvenirs d’une grande beauté. Il y avait, sous son bonnet sans garniture, d’admirables cheveux noirs où quelques fils d’argent brillaient aux derniers rayons de ce jour d’hiver.

Le docteur Samuel tenait d’une main la main de cette pauvre femme, qui semblait de cire, et lui tâtait le pouls. Dans l’autre, il avait une belle montre à secondes, sur laquelle il suivait d’un regard distrait la marche hâtive et régulière de la trotteuse.

– Il y a du mieux, murmura-t-il comme par manière d’acquit, pendant qu’un sourire découragé naissait sur les lèvres blêmies de la malade. La bronchite est en bon train. Nous sommes spéciaux pour la bronchite. Mais la péricardite… Écoutez donc… Je vais toujours vous faire mon ordonnance.

– Inutile, docteur, dit doucement la malade.

– Parce que…

– Les remèdes sont chers et nous sommes un peu gênés en ce moment. Ces derniers mots «en ce moment» s’étouffèrent comme fait le mensonge en touchant des lèvres loyales.

– Ah!… ah!… ah! fit par trois fois le docteur Samuel qui remit sa belle montre dans son gousset. Me remerciez-vous, chère bonne Madame?

Un pas brusque sonna sur le carré. On frappa assez rudement à la porte d’un voisin et une voix demanda:

– La femme Thérèse.

Le timbre mâle et sonore de cette voix apporta les paroles prononcées aussi nettement que si on les eût dites à l’intérieur de la chambre.

– Porte à côté, répondit le voisin.

Le docteur Samuel murmura:

– Au moins, moi, je dis: Madame Thérèse!

La malade s’était levée sur son séant.

– Voilà bien des semaines que personne n’est venu me demander! pensa-t-elle tout haut.

Son visage exprimait le naïf espoir des enfants et des faibles.

La porte s’ouvrit. Un homme entra. Le docteur Samuel se courba en deux aussitôt et tendit ses mains potelées qu’il lavait souvent, mais qui résistaient à l’eau.

– Vous ici, mon savant et cher confrère! s’écria-t-il.

Le nouveau venu le regarda, lui adressa un signe de tête sobre et marcha droit au lit.

– Vous êtes la femme Thérèse? dit-il de sa belle voix nette et grave.

Puis, après un coup d’œil et avant la réponse de la malade:

– Madame, ajouta-t-il, avec le ton qu’on prend pour faire une excuse, nous voyons beaucoup de monde, et nous avons le tort d’aller au plus pressé, en laissant de côté la courtoisie…

Le docteur Samuel haussa les épaules, mais il dit:

– Le docteur Lenoir est un saint Vincent de Paul!

L’œil de celui-ci interrogeait déjà le visage de la malade avec cette puissance d’investigation qui fit depuis son nom si célèbre.

Il était jeune encore. Il avait une tête vigoureusement intelligente. Chose singulière, son costume très négligé n’éveillait pas les mêmes doutes que la toilette inutilement soignée de son collègue. Une pensée sautait aux yeux de l’esprit à l’aspect de cet homme. C’était le prix excessif attaché au temps. Il devait vivre double, et regretter encore de ne pas assez vivre.

Ceux-là, les grands cœurs qui font le bien avec passion et avec suite, comme on accomplit un métier régulier, ces frères ou ces sœurs de charité, quel que soit leur sexe, ont souvent un tort, il faut le dire, un tort unique et qui donne prise contre eux au blâme de l’égoïsme coquin. Le chirurgien reste calme devant une jambe à amputer; il n’est pas sensible. L’homme de charité, blasé comme le chirurgien ou aguerri, pour mieux parler, perd vite les symptômes extérieurs de l’émotion. Il devient froid dans l’exercice de sa sublime fonction; il devient brusque, car son temps appartient à tous; il devient dur, car il n’a pas le droit de donner à l’un ce dont l’autre a besoin. Sautez ces lignes, si vous voulez, ô vous, anges d’une fois, qui êtes doux et douces, et qui vous en vantez, – mais ne prenez jamais, croyez-moi, si vous avez une jambe à couper, un chirurgien trop impressionnable!

– Madame, reprit le docteur Lenoir, comme si la physionomie de la malade l’eût forcé à l’emploi de cette formule, je m’intéresse à votre fils Roland qui est garçon d’atelier chez Eugène Delacroix, mon ami.

– Mon pauvre Roland!… murmura la malade dont les yeux agrandis eurent une larme.

– Madame Thérèse a mes soins… gratuits, prononça le docteur Samuel assez courageusement. Je viens la voir tous les jours.

M. Lenoir se retourna et s’inclina. Samuel ajouta:

– Un asthme, quatrième degré, compliqué d’une péricardite aiguë…

M. Lenoir tâtait le pouls de Thérèse. Pendant cela, le docteur Samuel s’était assis à une table et formulait prestement son ordonnance.

– Roland est un bon et joli garçon, disait le docteur Lenoir, nous le pousserons, je vous le promets… Il faut espérer, Madame! vous avez grand besoin d’espoir.

– Oh! oui! fit Thérèse du fond de l’âme, grand besoin d’espoir!

Le docteur Samuel avait fini son ordonnance. D’un geste où il y avait de la vanité – et du respect, il la tendit au docteur Lenoir. Le docteur Lenoir lut l’ordonnance et la rendit en disant:

– C’est bien.

Après quoi, il s’approcha de la cheminée et mit ses pieds fortement chaussés au-dessus des tisons presque éteints. Cela lui servit de contenance et de prétexte pour déposer sournoisement un double louis au coin de la tablette.

N’attendez jamais de ceux-là une prodigalité romanesque. Chez eux, la prodigalité serait un vol. Ils ont une si nombreuse clientèle!

Néanmoins, au moment où il allait se retirer, après avoir fait semblant de chauffer la semelle de ses bottes, le docteur Lenoir arrêta son regard sur une miniature qui pendait à la muraille, à droite de la pauvre glace outrageusement détamée . Cette miniature représentait un homme en costume militaire, avec les épaulettes de général.

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