Et certes, c’était là une idée bizarre, le lendemain de la signature d’un contrat, à la veille d’une noce.
Le mot de l’énigme semblait être dans le fait de la visite du fantôme dont le récit ne sembla causer aucune surprise au Dr Abel Lenoir, lequel dit seulement:
– Je savais que mon voisin Mora n’avait pas couché cette nuit chez lui, rue de Bondy.
Cependant, le mot de l’énigme pouvait être aussi dans l’histoire de la onzième dalle deux fois soulevée.
Le docteur était au fait par avance de tout ce qui concernait le vieux Morand Stuart et son Oremus.
Il écouta cette partie du rapport de Pistolet avec une extrême attention.
– Du moment que Mora avait entendu la conversation d’Échalot et de Lirette, acheva Pistolet, vous devinez que je n’espérais plus beaucoup trouver les papiers sous la dalle. Néanmoins, pour ne rien négliger, j’ai pénétré dans la cour de l’hôtel, j’ai compté les pierres, j’ai soulevé la onzième…
– Eh bien? fit le docteur.
– Il y avait une cachette, une très belle cachette; mais elle était vide.
– As-tu interrogé le concierge?
– Naturellement. Il n’a rien vu, pas même nos agents, et de ce que peuvent être devenus les maîtres de l’hôtel il ne sait rien.
Le docteur réfléchit un instant, puis il dit:
– Mora les a prévenus. Ils sont cachés quelque part dans Paris. C’est la crise. Ils ont leur proie, ils doivent chercher déjà les moyens d’escompter leur victoire. Mets sur pied tout ce que nous avons d’hommes. Tu entends bien, tout! Prends Tardenois, Larsonneur, prends jusqu’à mon vieux valet Guillaume, et fais une battue à fond. Il nous faut ces actes, je les veux!
Pistolet s’était dirigé vers la porte, mais il revint. Il avait oublié de mentionner la scène sauvage de la rue Vieille-du-Temple: l’assassinat de Clément-le-Manchot par Cadet-l’Amour.
– Ce malheureux peut-il nous servir? demanda le docteur.
– Je ne l’ai pas revu depuis cette nuit, répondit Pistolet; mais s’il doit s’en relever jamais, il ne bougera de plus d’un mois, j’en réponds!
– Va donc et mène rondement la chasse! tu cours après ta fortune. Pistolet sortit.
Il emmena Tardenois, Larsonneur et les autres valets.
Voilà pourquoi nous avons vu Clotilde entrer dans la maison sans trouver à qui parler.
L’office était vide et la cuisine aussi, parce que M meMeyer (de Prusse) avait pris campos après avoir donné vacances aux servantes.
Pourquoi? Comment? Il faut bien enfin le dire: parce que l’ennemi était dans la maison même.
Non pas les compatriotes de M meMeyer, mais la bande Cadet.
En plein jour, dans Paris tranquille, au milieu d’un quartier populeux, à l’insu des passants de la rue et des voisins habitant les demeures d’alentour, une maison avait été prise d’assaut et restait au pouvoir de l’envahisseur.
Il faut raconter en détail cet événement qui semble au premier aspect invraisemblable comme une féerie et qui s’accomplit le plus simplement du monde, prélude d’événements plus extraordinaires encore.
Il pouvait être dix heures du matin quand Pistolet, sur l’ordre du Dr Lenoir, emmena Tardenois, Larsonneur et les autres pour les lancer sur la piste des Habits Noirs.
Une heure après, arrivèrent Georges et Lirette, qui n’avaient plus trouvé Clotilde dans la baraque d’Échalot.
Pour la première fois depuis bien des années, il y eut dans la maison d’Angèle une scène de bonheur, une scène de famille.
On n’avait encore, en somme, aucune raison de s’inquiéter pour Clotilde, et Lirette apportait en entrant ici de tels motifs d’espoir qu’on la reçut comme une providence.
Elle était le salut d’Albert puisqu’elle brisait le lien qui attachait Georges à Clotilde; elle était aussi la promesse d’une ère nouvelle au point de vue de la fortune et de la sécurité légale, puisque, vivant témoignage, elle pouvait certifier l’existence des actes qui constataient l’état civil de la duchesse et de son fils.
C’était une autre existence qui commençait. Angèle, ramenée au bien par l’espoir, ne voulait plus ni subterfuges ni ambages; elle aimait ses deux fils, elle chérissait déjà cette ravissante créature qui allait être sa fille, elle attendait l’autre… Ah! celle-là, comme elle allait l’adorer! La femme d’Albert!
Celui-ci dormait, visité par de beaux rêves.
Le docteur venait de sortir, en annonçant qu’il reviendrait.
Vers deux heures après midi, Rose Lequiel, la femme de chambre, faisant le service de Tardenois absent, ouvrit la porte d’une pièce, voisine de la chambre à coucher d’Angèle, et où celle-ci se tenait avec Lirette et Georges.
Rose Lequiel annonça M mela comtesse Marguerite de Clare et M. le comte de Comayrol.
Il y avait des années que Marguerite et Angèle ne s’étaient vues. Rivales de beauté autrefois, elles n’avaient jamais éprouvé l’une pour l’autre une bien vive sympathie. Angèle fut étonnée. Elle ne connaissait pas M. de Comayrol.
– Faites entrer au salon, dit-elle. Mais Marguerite était déjà sur le seuil.
– Sans cérémonie, n’est-ce pas, dit-elle, tout à fait? Entrez, comte. Ma bonne et chère cousine nous excusera.
Angèle s’était levée.
M mela comtesse vint à elle d’un pas délibéré en ajoutant:
– Vous voyez, nous sommes en costume de voyage… Bonjour, prince… Chère duchesse, Georges nous a fait connaître hier l’aimable intention que vous aviez eue de venir à l’hôtel Fitz-Roy pour signer au contrat.
– En effet, je le voulais, dit Angèle, qui pensa tout d’un coup à Albert.
Pour maintenir le projet de mariage en changeant d’épouseur, il fallait gagner les bonnes grâces de Marguerite.
Elle tendit sa main la première.
Marguerite la secoua cordialement. Vous eussiez dit en vérité les deux meilleures amies du monde.
Marguerite reprit:
– C’est vous qui nous teniez rigueur, cousine. Nous avons considéré cette bonne parole comme un premier pas, et vous voyez notre empressement à risquer le second. Malgré les très grosses affaires qui sont tombées sur nous aujourd’hui, j’ai dit à la famille: «Je ne partirai pas sans voir Angèle…» Permettez-moi de vous présenter M. le comte de Comayrol, un des témoins de notre Clotilde.
M. le comte de Comayrol salua. Il était botté et harnaché comme pour faire le tour d’Europe. On s’assit. Lirette se tenait à l’écart, effrayée sans savoir pourquoi. Georges n’essayait même pas de dissimuler son malaise. Était-ce l’heure de l’explication?
Mais toute cette glace fut brisée du premier coup. Marguerite rapprocha son fauteuil de celui d’Angèle.
– Il y a quelque petite chose, lui dit-elle à voix basse, et vous vous en doutez bien. Vous aviez donné pouvoir à maître Souëf, et certes, nous n’en demandions pas davantage; mais ce contrat est provisoire dans l’idée de maître Souëf lui-même, et le mariage n’ira pas tout seul. Est-ce que vous ne causeriez pas volontiers un instant en tête à tête avec moi, ma belle cousine?
– Très volontiers, au contraire, répondit Angèle vivement, j’ai moi-même à vous parler d’une certaine circonstance…
– J’en étais sûre! s’écria Marguerite en riant bonnement. Comme on a tort de ne pas se voir et s’entendre!… Georges, mon cher enfant, pardonnez-moi si je dispose de vous, il faut que vous emmeniez M. de Comayrol pendant dix minutes, ainsi que cette charmante demoiselle… Elle est de la famille?
Lirette s’était levée. Ce fut elle qui répondit:
– Oui, madame, je suis de la famille.
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