Pour l’anecdote, au XIX e siècle, Larousse appellera ce h « un vestige graphique qui ne change rien à la prononciation ».
116. POURQUOI ÉCRIVONS-NOUS PARFOIS ÁTRE ET PARFOIS ATRE ?
Parce que tous les psychiatres ne sont pas sauvages !
Pour dénoter le côté sauvage d’une plante, les Romains ajoutaient aster. Oleaster désignait l’« olivier sauvage », quand oleus était un « olivier » ordinaire. Ce diminutif va se généraliser. Par exemple, matraster ( mater + aster ) désigne la deuxième femme du père, que nous préférons appeler « adorable belle-mère ». Ce mot est à l’origine de notre « marâtre ». Les Romains appelaient salmaster une eau un peu salée, ce mot a donné notre « saumâtre ». Quand Cicéron décrit un type un peu surdaster , il l’estime « dur d’oreille ». Cet aster est à l’origine de notre « âtre », qui prend un accent circonflexe en souvenir du s . « Rosâtre » est un peu rose, un « opiniâtre » a des opinions solides.
En revanche, les mots « pédiatre », « psychiatre », « gériatre »… viennent du grec iatros , qui signifiait « médecin ». Comme il n’y a pas de s en grec, nous n’avons pas mis de circonflexe. À quoi ça tient !
117. POURQUOI ÉCRIVONS-NOUS « CLUB » ?
Pour titiller les Québécois !
Au XVIII e siècle, l’Angleterre fascine nos philosophes : la monarchie y est moins absolue, les élites y font contrepoids au roi au lieu de se prosterner à Versailles. Ils préfèrent l’ habeas corpus aux lettres de cachet et le Parlement de Westminster à la cour de Versailles, même s’ils adorent y être invités. Ils entament une mode appelée à un grand succès, l’importation d’anglicismes. Ils rapportent ainsi de Londres les mots club et budget que les envahisseurs normands avaient pris dans leurs bagages. D’autres mots britanniques sont francisés, comme riding-coat qui devient « redingote » et free mason , « franc-maçon ».
À une époque où la cour d’Angleterre, à l’instar de toutes les cours d’Europe, aime montrer qu’elle sait parler le français, nos philosophes se doutent-ils que cette mode des anglicismes deviendra le signe de l’emprise actuelle de la langue de Shakespeare sur celle de Molière ? Mais n’ayons crainte : l’Histoire entière nous montre qu’une telle prééminence est toujours fugace !
118. POURQUOI DISONS-NOUS « JE N’AI PAS L’HEUR DE LUI PLAIRE » ?
Pour reprendre ceux qui ont un drôle d’air !
Les philosophes du XVIII e siècle nourrissaient une certaine fascination pour les vieilles expressions imagées. Voltaire proposa à ses collègues académiciens de recenser les expressions de Montaigne ou de son ami, moins fameux que La Boétie, Charron.
Le mot « heur » vient du latin augurium , un présage tiré du vol des oiseaux (pensez à l’expression « de bon augure »). Nous le trouvons en ancien français sous la graphie eur . Le h fut ajouté par analogie avec le mot « heure », qui en possède lui un car il vient du latin hora . Ce mot va peu à peu signifier la chance : je n’ai pas l’heur de lui plaire veut dire « je n’ai pas la chance de lui plaire ». Vous me direz que nous n’utilisons ce mot que très rarement ! Certes, mais il explique à lui seul le h de « bonheur », « malheur », « heureux »…
119. POURQUOI MÊME LES MAITRES ÈS LETTRES HÉSITENT-ILS SUR « VIS-A-VIS » ET « FAIRE BONNE CHÈRE » ?
Parce que nous aimons voir notre vis-à-vis faire bonne chère !
Certains mots disparaissent parce qu’on les confond entre eux. Le mot « visage » avait ainsi deux synonymes trop tôt disparus : chère , qu’on confondait avec « chair », et vis , trop semblable à la forme verbale « je vis ». Voilà pourquoi « visage » a triomphé. Quoique ! Ces synonymes sont conservés dans deux expressions : un « vis-à-vis » (visage face à un visage) et « faire bonne chère » (faire bonne figure devant un bon plat), équivalent du miam miam cher à nos bandes dessinées.
Notre langue est friande de ces archaïsmes, par exemple ès . Il s’agit à l’origine d’une abréviation : celles-ci sont courantes dès le Moyen Âge. De le donna del puis « du ». À le s’abrégea en al puis « au ». De les est toujours « des », quand à les fut as, aus puis « aux ». Il y avait aussi en le qui donna el, eu et on , avant de tous disparaître. En les s’abrégeait ainsi en ès . Cette forme a disparu aussi, hormis dans l’expression « maître ès lettres ».
Un dernier exemple d’archaïsme pour la route : jacere (« être couché », en latin) a donné « gésir », que l’on emploie surtout dans deux expressions : « ci-gît », et sa conséquence, « le gisant ».
120. POURQUOI « QUOIQUE » ET « QUOI QUE » NOUS ENNUIENT-ILS ?
Pour pouvoir faire douter notre ami en lui disant : « Quoi que tu chantes, je t’adore ! »
Nous savons tous que « quoique » s’écrit en un mot quand il signifie « bien que ». Il n’en fut pas toujours ainsi. Au XVI e siècle, Robert Estienne ne mentionne pas l’existence de « quoique ». En revanche, dans ses exemples, il le cite en l’écrivant en deux mots : quoy qu’il en soit .
En 1694, l’Académie fera de même dans la préface de son Dictionnaire : « Quoy qu’on se soit proposé en general de ne point employer les vieux mots dans le Dictionnaire, on n’a pas laissé d’y en conserver quelques-uns, sur tout quand ils ont encore quelque usage. » Si nous analysons son quoy que , il signifie « bien que ». Néanmoins, elle présente dans le corps du Dictionnaire quoyque , dont elle donne l’exemple : quoyquil soit pauvre .
En 1718, elle les sépare en deux entrées. Elle écrit quoy que et reprend l’exemple « quoy qu’il soit pauvre ». En 1740, elle les ressoude et redonne l’exemple « quoy qu’il soit pauvre ». En 1835, notre « quoique » définitivement installé peut enfin torturer les élèves. Il était temps ! Nous avons failli attendre.
121. POURQUOI METTONS-NOUS PARFOIS É ALORS QUE NOUS PRONONÇONS È ?
Par amour de la réglementation !
À l’origine, les accents étaient surtout utilisés pour distinguer le son euh du son é et non pour différencier les sons é et è .
Voyons tout d’abord le é .
À la Renaissance, l’imprimeur vénitien Manuce crée une mode en accentuant les textes latins. Leur origine grecque accentue la popularité de ces accents : la langue de Platon est alors fort à la mode !
En France, l’imprimeur Geoffroy Tory défend l’accent qu’il est allé chercher en Italie et regrette qu’en « nostre langage Francois nauons [n’avons] point daccent figuré en escripture [écriture] & pour le default que nostre langue nest [n’est] encores mise ne [ni] ordonner a certaines Reigles comme les Grecque & Latine ».
Il est partisan de l’accent circonflexe sur le o , de l’aigu sur le e , de l’apostrophe. Représentant une aile modérée qui finalement l’emportera, Geoffroy ne prône pas l’écriture phonétique, mais voudrait utiliser les progrès de l’imprimerie pour faciliter la lecture de notre langue.
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