Les Grecs indiquent le son i grâce à deux lettres : iota et upsilon . Lorsque nous reprenons un mot grec muni d’un upsilon , nous écrivons un y qui porte bien son nom. Le grec cryptos , qui signifie « caché », explique le y de « chaîne cryptée ». Kyclos , qui désigne le « cercle », justifie le y de « bicyclette » (littéralement « deux roues »). Le y de « gymnastique » s’explique par le mot grec gymnos qui caractérise quelqu’un de « nu » ( no comment !).
À terme, cette distinction permettra de créer ces nuances que notre langue adore. « Disproportion » vient du latin dis qui signifie « séparé de » (des proportions différentes) et « dysfonctionnement » de la racine grec dys , qui désigne le « mauvais état » et que nous retrouvons également dans « dysenterie ». Au cas où vous ne l’auriez pas trouvé, entron désigne le « ventre ». Nous pourrons aussi distinguer la « policlinique » du grec polis qui désigne la « cité » (une policlinique est une clinique tenue par la ville) de la « polyclinique » du grec polys qui signifie « nombreux » (une polyclinique est une clinique qui offre plusieurs spécialisations).
Enfin, le y permettait de distinguer le i du j . C’est d’ailleurs l’emploi qu’en firent les juristes de Saint Louis. Ils écrivaient « yeux » pour être sûrs qu’on ne lise pas « jeux ». À leur exemple, Robert Estienne avait tendance à mettre le y sur oi et ai suivis d’un i . Écrire « nous voiions » aurait pu se lire voijons . Mettre un y évitait toute confusion. Partout où ai, oi, ui sont suivis d’une voyelle, Robert Estienne met un y . Il écrit ainsi « essayer », « noyau », « ennuyer »… Non parce qu’on prononce deux i comme nous l’apprenons aujourd’hui à l’école, mais pour montrer qu’il s’agit d’un i et non d’un j . Un siècle plus tard, l’idée de justifier ce y par les deux i s’imposera. Mais, à l’origine, ce n’est pas la vraie raison. Voilà pourquoi nous ne généraliserons pas cette habitude qui ne deviendra donc pas une règle. C’est la raison pour laquelle, quand nous écrivons « l’an passé pendant que vous criiez », nous ne mettons pas de y .
86. POURQUOI LE VERBE « AVOIR » AURAIT-IL PU ÊTRE PIRE ?
Pour se consoler !
En effet, la conjugaison du verbe « avoir » aurait pu être encore plus dure !
Le grammairien Sylvius écrit havoir à cause de habere qui avait le même sens. Robert Estienne, qui détestait l’accent grave, préconisait d’écrire il ha afin de ne pas confondre avec la préposition à . En revanche, il estimait que l’ajout de ce h justifié par le latin était inutile quand il n’y avait pas de risque de confusion. Voilà pourquoi il n’en mettait pas à « il y a » car il est impossible qu’un y précède le à . Mais Bonaventure Des Périers, poète au service de la reine de Navarre, écrit ha même dans l’expression « il y a ».
Deux petites remarques ! Le « il y a » de Robert prouve que, même chez les puristes, l’orthographe reste encore empirique et instable. Ensuite, remercions l’accent grave de nous avoir épargné ce h à géométrie variable.
87. POURQUOI ÉCRIVONS-NOUS « DOUCEÂTRE » ?
Parce que la cédille est trop amère !
Avant l’imprimerie et l’invention de la cédille, nos juristes gardaient le c devant a, o et u en référence aux Romains. « Reçu » se dit en latin receptum . Pline prononçait rekeptu . Pour signaler que le c se prononce s , les clercs médiévaux utilisaient parfois cz et souvent ce . Ils écrivaient nous lanceons . Nous avons gardé cette astuce pour le g : « la gorge de Georges ».
Au XVI e siècle, Robert Estienne refuse la cédille proposée par l’imprimeur Tory parce que les Romains ne la connaissaient pas. De temps en temps, mais pas toujours, il mettra un e après le c pour signaler la prononciation s : commencea, receu .
Finalement, grâce à la persévérance des imprimeurs, la cédille triomphera au XVIII e siècle. Naturellement, il nous fallait garder un vestige de ce ce ! Voilà pourquoi nous écrivons « douceâtre ». Un vestige plein de douceur !
88. POURQUOI « TOUT » PERD-IL SON T AU PLURIEL ?
Parce qu’il cachait des atouts dans son jeu !
Robert Estienne reprend et relance la tendance qui perdurera jusqu’au XIX e siècle de supprimer la dernière lettre lors du passage du singulier au pluriel. Il ôte souvent le t au pluriel : appétit, des appetis ; petit, petis ; tout, tous ; une dent, des dens ; un enfant, des enfans ; un parent, des parens . Mais il ne le fait pas systématiquement : un mot, des mots .
D’ailleurs, en 1747, l’abbé Girard, dans ses Vrais Principes de la langue (cité par Chervel), critique cette habitude : « J’avertis seulement que ceux qui voudront le supprimer [le t ] auront une règle de plus à savoir que ceux qui voudront le conserver. »
En 1835, la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie remettra le t . Néanmoins, nous appliquons cette règle lorsque nous écrivons le pluriel de « tout ». Tout un vestige !
89. POURQUOI NE PRONONÇONS-NOUS PAS LE I DE « OIGNON » ?
Un vestige à faire pleurer !
Les Romains prononçaient le gn de signum comme notre « diagnostic ». Au fil des siècles, la prononciation latine s’est transformée en ni et nous disons « signe ». Naturellement, il n’est pas question d’écrire ni puisque les Romains mettaient gn : l’étymologie l’emporte.
Durant une longue période, on a placé un i avant le gn pour indiquer qu’il fallait prononcer ni , et non gn comme dans « stagner ». C’est ainsi que l’on écrivait montaigne afin d’indiquer qu’il fallait prononcer montagne . D’ailleurs, pour que l’écrivain Montaigne réponde à un appel, il fallait veiller à bien dire montagne . En effet, c’est ainsi qu’il prononçait son patronyme. Certains universitaires continuent d’ailleurs à suivre son exemple. Quand la tradition se mêle au snobisme, l’université exulte !
« Poignet » se prononça longtemps pognet . D’ailleurs, certains grammairiens critiqueront notre manière de le dire qui, pourtant, triomphera. Peu à peu, le i disparut de tous les mots où on ne s’était pas mis à le prononcer. Tous ? Non ! Comme vestige, nous l’avons tout de même gardé dans « oignon ».
90. POURQUOI ÉCRIVONS-NOUS « CAR » ?
Par ignorance !
Les juristes, suivis par Robert Estienne, écrivaient « car » parce qu’ils étaient persuadés que ce mot venait du grec gar que nous traduisons par « en effet ».
En réalité, il dérive du latin quare qui signifie « c’est pourquoi ». S’ils l’avaient su, nous aurions dû apprendre à écrire quare .
91. POURQUOI ÉCRIVONS-NOUS « LEGS » ?
Parce que Robert était timide !
Ce mot vient du latin laxare qui veut dire « lâcher » et a donné notre « laisser ». Les juristesdu XIII e siècle se mettaient le doigt dans l’œil jusqu’au coude en croyant qu’il provenait du latin legatum qui signifiait justement « legs », mais dont la ressemblance de prononciation n’était due qu’au hasard.
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