Le mot a une origine connue, qui ne vient d’ailleurs pas du théâtre, mais de l’enseignement, et que M. Rat résume clairement : « L’expression s’applique à un professeur besogneux, et vient de ce qu’autrefois on appelait cachet la carte ou coupon de carte qu’un élève à domicile remettait à son professeur à chaque leçon qu’il recevait et qui permettait ensuite de régler le compte global des leçons, au bout d’un délai convenu. » Il fait une citation qui, le premier étonnement passé, n’est pas du tout de San Antonio mais d’un certain F. Soulier : « Béru était un grand violon, et il s’était longtemps crotté à courir le cachet. »
Comme on le devine par cet exemple l’expression s’est introduite dans le domaine du spectacle par les musiciens et les danseurs qui, à la fois interprètes et professeurs, donnaient des leçons à domicile. Ils couraient le cachet précisément lorsqu’ils n’avaient pas suffisamment d’engagements pour vivre.
Chauffe Marcel !
Il est agréable d’avoir une petite locution populaire bien connue, dont, pour une fois, l’origine est datable et identifiable. Chauffe Marcel ! terme d’encouragement un peu ironique parfois : « Vas-y, donne-toi à fond », est une expression contemporaine qui a été puisée dans le grand public par la télévision.
C’était au début des années 60 — 1964 peut-être — un sketch de deux fantaisistes, Dupont et Pondu, écrit par Jean-Louis Winkopp, qui fit rire au petit écran. Un soupirant chantait sous la fenêtre de sa belle, accompagné par un copain qui jouait de l’accordéon. Il ponctuait sa valse langoureuse de : Chauffe, Marcel ! répétés à l’adresse du musicien, parodiant dans une situation cocasse le « Chauffe ! » des musiciens de jazz, lesquels emploient ce terme d’excitation comme un équivalent du « Blow, man ! Blow ! » de la version originale.
Quelques années plus tard, le groupe Les Charlots, a repris le gag du sketch, et fait une chanson intitulée Chauffe Marcel ! qui a fini par populariser complètement le mot.
Je tiens ces renseignements de la bouche du chanteur Marcel Amont, amateur de langage, qui a observé d’autant mieux l’évolution de la chose qu’on lui répète sans cesse « Chauffe Marcel » depuis le début de cette invention, comme si le mot avait été créé pour lui.
Débonnaire mire fait plaies puantes.
Vieux proverbe (où le mire est un médecin).
On a tout dit sur la santé quand on a rappelé qu’il vaut beaucoup mieux être riche et bien portant que pauvre et malade. Jusqu’au XVII e siècle au moins la médecine agissait selon ce bon vieux précepte. Les docteurs étaient savants ; ils se référaient exclusivement à Aristote et aux textes des praticiens grecs et latins, avec leur maître Esculape. Si les maladies étaient bénignes, les gens guérissaient, avec la protection des saints qu’ils invoquaient, en plus, copieusement ; si elles étaient graves ils mouraient, avec la bénédiction des mêmes. Toute proportion gardée pour ce qui concerne la notion de gravité et de culte des saints, les choses ne sont pas très différentes aujourd’hui.
THÉRAPEUTIQUE
Reprendre du poil de la bête
Expression remarquable, qui de nos jours est comprise comme une marque de vitalité animale dans la santé reconquise, visible au lustre du poil et à la bonne mine du convalescent — « Oh ! mais je vois que vous avez repris du poil de la bête ! »…
Ce n’est pas exactement son sens véritable. Cette façon de parler constitue l’héritage d’une ancienne croyance qui remonte aux Romains, selon laquelle il fallait poser sur la plaie un poil du chien qui vous avait mordu. Autrement dit, guérir le mal par le mal. On disait autrefois « Aller au poil du chien » ou « retourner à la bête » : refaire ce qui nous a blessé ou provoqué du désagrément. Les Anglais, restés près de la tradition antique, disent : take a hair of the same dog that bit you (prenez un poil du chien qui vous a mordu), et l’appliquent volontiers au remède bien connu qui consiste à avaler un verre d’alcool le lendemain d’une cuite pour chasser la gueule de bois.
C’est dans ce sens que l’expression était également employée chez nous, comme l’explique Furetière en d’autres termes : « On dit aussi à celui qui a mal à la tête le lendemain qu’il a fait la débauche, qu’il faut reprendre du poil de la bête, qu’il faut recommencer à boire. » Le dicton était en usage dès le XV e siècle :
Il fault retourner aux bons vins
Comme à la beste
Qui vous a mis ces tintouins
Et ce mal dans la teste
(Basselin).
Plus tard Rabelais faisait lui aussi l’amalgame de la morsure et du flacon dans cette sentence célèbre :
— Remède contre la soif ?
— Il est contraire à celluy qui est contre la morsure de chien : courrez toujours après le chien, jamais ne vous mordera ; bevez tousjours avant la soif, et jamais ne vous adviendra.
Dorer la pilule
La pilule est un médicament utilisé de longue date sous la forme d’une petite boule (directement du latin pilula, petite balle) « qu’on façonne avec une pâte composée de substances diverses » — il faudrait ajouter : et de fort mauvais goût. Avaler la pilule a toujours été une opération à la fois nécessaire et dégoûtante qui provoque la grimace. On dit à juste titre que la pilule est amère. « Jupiter — dit Rabelais — contournant la teste comme un cinge qui avalle pillules, feist une morgue tant espouvantable que tout le grand Olympe trembla. » ( Quart Livre, Prol.).
« Pillule — dit Furetière — se dit figurément & bassement en Morale des fâcheuses nouvelles, des afflictions, ou des injures qu’on est obligé de souffrir. Il a eu beau se plaindre de cette taxe, il a été obligé d’avaler la pillule, c’est-à-dire de payer. »
On a donc très tôt essayé d’enrober ladite boulette avec des substances qui en masquent le goût, en particulier le sucre dont ce fut l’une des premières utilisations. Selon Fleury de Bellinen (1656), certains apothicaires seraient même allés jusqu’à les envelopper d’une mince feuille d’or… Procédé onéreux, mais qui devait être international, car les Anglais disent aussi to gild the pill, et les Espagnols dorar la pildura. À moins qu’il y ait là une extension d’un ancien verbe dorer, qui signifiait « oindre » d’un onguent, témoin ce pansement du XV e siècle au doigt d’un curé qui voulait se faire porter pâle : « Il faindit ung jour d’avoir tresgrand doleur en ung doy, celluy d’emprès le poulce qui est le premier des quatre en la main dextre. Et de fait le banda et envelopa de draps linges, et le dora d’aucun oignement très fort sentant… » ( Cent Nouv. Nouv. 1462.) On peut penser à une croûte de sucre mélangé de safran.
Toujours est-il que le sens figuré était établi dès le milieu du XVII e siècle, comme le prouve ce vers d ’Amphitryon :
Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule.
Jupiter et Louis XIV ! ainsi que le raconte Saint-Simon : (Le roi ôte le gouvernement de Bretagne au duc de Chaulnes) « Le Roi fit entrer un matin le duc de Chaulnes dans son cabinet, lui dora la pilule au mieux qu’il put, et toutefois conclut en maître. M. de Chaulnes, surpris et outré au dernier point, n’eut pas la force de rien répondre. »
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