L’hydrothérapie était connue de l’Antiquité. Hippocrate lui-même savait les propriétés sédatives de l’eau froide ; il en recommandait l’usage contre l’hémorragie, l’inflammation, l’érésipèle, et les tumeurs articulaires non accompagnées de plaies. Quant à Celse, son homologue latin du temps d’Auguste, praticien si bien dissertant qu’on l’appela le Cicéron de la médecine, il recommandait l’hygiène domestique, la gymnastique, les exercices du corps, les bains, les onctions, et les lectures à haute voix. C’est Celse qui affirma le premier : « Rien ne fait tant de bien à la tête que l’eau froide ; il faut donc, lorsqu’on a cette partie faible, y recevoir chaque jour, en été, une forte douche. »
Puis vint le temps des barbares, et des grands dégueulasses : « Ni les médecins arabes ni ceux du Moyen Âge ne soupçonnèrent les propriétés de l’eau », déplore Pierre Larousse. De fait, il fallut attendre le milieu du XVIII e siècle pour que l’humanité occidentale redécouvrît les bienfaits de l’eau sur les personnes agitées — particulièrement lorsqu’elle est appliquée en puissantes giclées soudaines et brèves, glaciales de préférence, sur la peau nue. Le XVIII e siècle inventa la douche.
On l’employa dès lors à qui mieux mieux dans le traitement des maladies mentales, établissant dans le grand public l’idée bien ancrée qu’il fallait friser la démence pour se soumettre à pareil choc. « Une douche qui descend de cinquante pieds (15 mètres) sur la tête d’un maniaque, n’a pas d’effet si rapide pour le rendre à son bon sens… » écrit Vidocq ( Mémoires, 1828.)
Il nous est malaisé de concevoir aujourd’hui, avec les habitudes de toilette que nous avons, que la douche est demeurée une prescription exclusivement médicale jusqu’aux premières années de ce siècle-ci. La propreté du corps était laissée aux ablutions ordinaires : au bain dans les meilleurs cas, au tub, qui était une grande cuvette plate dans laquelle on se tenait debout, au baquet, à l’occasionnelle rivière, ou à rien du tout… Autrement dit on ne prenait pas une douche pour se laver, mais pour se calmer les nerfs, pour se tonifier, en un mot pour retrouver son assiette. Voici du reste les recommandations que le Nouveau Larousse Illustré de 1898 se croit obligé de fournir sur l’usage de ce qu’on appelait parfois, très joliment, les « pommes de pluie » : « En ce qui concerne les douches, les précautions à prendre sont les suivantes : être à jeun, ou à une distance de cinq à six heures du dernier repas, marcher avant, et si possible pendant (les douches dites en promenades sont très favorables à la réaction prompte chez les sujets rebelles), puis après la douche ; pour favoriser la réaction recourir aux massages, aux frictions ou aux exercices physiques, comme l’escrime, la gymnastique, la course, en général les sports. De plus, les douches doivent être courtes, dix à trente secondes quand elles sont froides, (+ 9 °C) ; elles sont alors toniques et sédatives ; chaudes (30 à 35 °C) elles sont excitantes quand elles sont courtes, sédatives, au contraire, quand elles sont prolongées (1 minute et plus). »
C’est du reste l’expansion du sport pendant le premier tiers du XX e siècle, la pratique des stades et des installations sanitaires collectives, qui ont peu à peu démédicalisé la douche et l’ont fait passer peu à peu dans l’usage courant. Les Bains publics des grandes villes, héritiers des anciennes « maisons de bains », ou « étuves », se transformèrent en Bains-douches dès avant la Première Guerre mondiale, avant de devenir un peu partout des Douches Municipales. On peut cependant mesurer le chemin parcouru depuis 1922, date à laquelle l’édition du Larousse ne décrit encore la douche que dans un contexte thérapeutique, donnant cette mise en garde : « La durée, la force du jet, la température, doivent être indiquées de façon précise par le médecin ; sinon, les douches peuvent parfois faire beaucoup de mal. »
On ne peut pas s’étonner, par conséquent, de la valeur métaphorique prise et conservée par cette pluie hydrothérapique. Une douche, au figuré, c’est en 1898 : « Tout ce qui calme une exaltation, détruit des illusions : les déceptions, les critiques, autant de douches. »
La douche écossaise, dans ces circonstances, ne fait que continuer, en l’aggravant, la douche simple, au sens propre comme au figuré. Le mot et la chose apparaissent à la fin du XIX e siècle, dans le domaine médical évidemment, pour désigner une « douche alternative » sans doute inspirée par d’authentiques usages nordiques en vigueur chez les Écossais. « Douche écossaise, Douche d’abord froide, puis chaude », dit le Larousse de 1898. — Simple évolution, la définition de 1922 indique l’inverse : « Douche chaude, suivie brusquement d’une douche froide. »
En ce qui concerne la métaphore, recevoir une douche écossaise, au sens de douloureux renversement de situation, elle ne s’est développée semble-t-il que dans l’entre-deux guerres : conflits qui furent eux-mêmes, je ne puis résister au plaisir de le souligner, de fort beaux déluges sur les illusions de l’humanité ! « Mais oui, c’était ça ! Quand on avait fini de jouer avec le petit chien, on l’envoyait valser d’un coup de cothurne dans les gencives. Le procédé était le même. Et ça croit faire la leçon aux autres ! Et ça se prétend bien éducaillé ! Avait horreur de la douche écossaise. Elle pourrait lui en faire des risettes, si elle voulait. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)
Virer sa cuti
La cuti, c’est l’abréviation adoptée par les enfants des écoles de la cuti-réaction, procédé de dépistage systématique de la tuberculose. Au sens figuré, virer sa cuti, c’est changer radicalement sa manière d’être ou de penser, d’une façon soudaine et inattendue.
La technique de la cuti-réaction a été mise au point du vivant de Robert Kock (mort en 1910), à partir de la tuberculine de son invention. La cuti-réaction, le mot et la chose, a été exposée pour la première fois au public non spécialiste en 1907, dans le numéro d’octobre de la revue encyclopédique le Larousse mensuel, dont voici la présentation intégrale :
« Cuti-réaction. Réaction produite par l’introduction de tuberculine dans une scarification faite sur la peau d’un tuberculeux. — Si le sujet est sain, la réaction cutanée semble tout à fait rare ; au contraire, si le sujet est tuberculeux, vers le second jour, la plaque devient rouge, s’œdématise, et peu à peu apparaît une papule semblable à celle de la vaccine. En huit jours, tout disparaît. Ce serait un excellent moyen de diagnostic de la tuberculose. »
Quel que soit l’aspect prophétique de la dernière phrase de cet article, la mise en pratique d’une si bonne idée à grande échelle dut attendre que fût assouvie la rage de deux cataclysmes mondiaux, et consommé le massacre de plusieurs millions de bien portants ! En effet, ce n’est que dans les années 1947–1948 que le dépistage de la tuberculose amena les pouvoirs publics à faire procéder à des cuti-réactions systématiques sur tous les enfants des écoles. Ce fut d’abord par une légère scarification en haut du bras, pratiquée à la chaîne sur des queues-leu-leu de jeunes écoliers secrètement terrorisés, mais braves, puis, plus tard, à l’aide d’un « timbre » anodin collé à la diable sur leur tendre poitrail. Le rituel de « la cuti » devint dès lors un des symboles de l’enfance et de la scolarité partagée : « Lors des visites médicales annuelles, tu ne tremblais pas plus que moi au moment où la plume te zébrait la peau pour la cuti [..] et je n’oublie pas que tu participais volontiers aux concours de branlettes qui nous secouaient dans les vestiaires de la piscine. » (G. Mordillat, Vive la Sociale, 1981.)
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