Tremper son biscuit
Cette « métaphore naïve et transparente » développe l’idée de « faire une gâterie. » Il est possible que le choix de cette douceur ait été influencé par le vieux terme bistoquette, la pine. Dans le genre alimentaire la variante occasionnelle tremper sa nouille paraît d’assez belle venue :
« Mes copines ! Tu sais bien que je les connais pas plus que toi !
— Ah, c’est quand même toi qui les as convoquées. Moi, je t’épaule, c’est tout.
— Tu m’épaules ! Arrête ! Tu dis ça, mais tu seras bien content de tremper ta nouille si ça se présente ! »
(Berroyer,
Je vieillis bien, 1983.)
Aller au cul
On ne fait pas toujours dans la dentelle à notre époque. « Ils virent leurs fringues, elle garde son lance-pierres. Ils vont au cul. Du côté de chez Chaumeton, on ne fait pas l’amour, on va au cul. Faudra vous y faire. » (Berroyer, J’ai beaucoup souffert, 1981.)
Ces grossièretés ne sont toutefois pas entièrement neuves ; Jehan Rictus relevait déjà une expression similaire dans son journal du 29 avril 1899 : « Bailly est de mon avis. Il prétend toutefois ne pas oser “ prendre le cul” à toutes les femmes qui habitent chez lui. (…) Je n’en crois pas un mot. Je suis en ce qui me concerne quasi certain qu’il y met le doigt. »
VARIATIONS
Tailler une plume
Cette expression qui exprime la fellation a vu le jour chez les libertins lettrés, avant de se propager assez largement, mais modérément tout de même, dans des couches plus populaires au cours de la première partie de ce siècle. Jacques Cellard, qui a parfaitement analysé cette tournure, l’explique ainsi : « La métaphore porte sur la plume d’oie dont on humectait le bec de la langue pour pouvoir le tailler au canif, opération souvent confiée à une femme. Un roman de 1868 a pour titre : Cécile Coquerel, tailleuse de plumes. » (D.F.N.C., p. 645.)
L’une des premières attestations de la locution est fournie en 1906 par Guillaume Apollinaire qui la situe dans le corps enseignant : « Ah ! Hélène, comme ta langue est habile ! Si tu enseignes aussi bien l’orthographe que tu tailles les plumes, tu dois être une institutrice épatante. » (Les Onze Mille verges.)
Cette façon de dire est encore d’un usage assez fréquent ; elle semble même jouir d’un regain de faveur grâce à l’extrême popularité de « tailler des pipes », expression qu’elle a engendrée, et dont elle paraît être aujourd’hui une simple alternative farfelue pour l’auditeur non averti. « Je connais des gens qui, grâce à M. Hachette, ne mourront pas idiots en apprenant ces vieillottes expressions comme “bouton de rose” et sauront dire “ tailler une plume” en latin. C’est ça qu’est chic ! » ( Le Canard Enchaîné, 5 mai 1982.)
Faire des pompiers
Certes le verbe pomper, exprimant la fellation, était connu au siècle dernier. Alfred Delvau note en 1864 la série alphabétique : « Pomper le dard, Pomper le gland, Pomper le nœud », toutes expressions encore bien vivantes, tant au sens propre que pour exprimer l’exaspération. Les pompiers, par contre, ne se sont développés qu’au XX e siècle, la première attestation du mot étant donnée par Cellard pour 1928.
Écrivant avant 1963, date de sa mort, le légionnaire Flutsch, alias Antoine Sylvère, dit Toinou, raconte la Légion de 1906. Contrairement à d’autres tournures qu’il paraît citer expressément (voir : « proposer la botte »), il est difficile de savoir s’il emploie « faire des pompiers » comme un souvenir d’époque, ou bien parce que l’expression lui venait spontanément vers 1950 dans ce récit où un jeune garçon se plaint, par écrit, des sévices qu’il doit endurer de la part de ses co-détenus. Pour ma part je suis tenté de croire que cette façon de dire existait déjà dans les troupes d’Afrique en 1906, sans pouvoir être affirmatif : « Il y a que la nuit que c’est embêtant. On me ferme avec Mohammed qui a tué le juif et avec Ali qui a volé les moutons. Ils sont embêtants. Ils me réveillent quand je dors pour me faire faire… des pompiers. » (A. Sylvère, Le Légionnaire Flutsch, av. 1963.)
Toujours est-il que l’expression était d’usage courant dès la Seconde Guerre mondiale : « Maintenant qu’elle était servie, qu’elle mordait hardiment dans ses biscottes, il n’y avait plus qu’à se retirer. Des lèvres à faire des pompiers qu’elle avait, pas d’erreur ! Je voudrais bien être biscotte… » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)
Le terme est aujourd’hui en perte d’usage, largement supplanté par les tournures qui suivent.
Faire des pipes
Cette expression est aujourd’hui de très loin la plus usuelle pour exprimer la fellation. Son emploi, cependant, n’est pas attesté avant les années 40, où elle alternait avec « faire un pompier », particulièrement dans le milieu de la prostitution où elle semble avoir pris naissance : « Une fois, par l’entrebâillement d’une croisée, il avait distingué une femme nue sous une robe ouverte. Dire qu’il n’était pas tenté… Tenté et intimidé, en même temps. Pourtant, il ne serait pas le premier. Elles étaient là pour ça. Et puis, il se ferait faire seulement une pipe. Comme ça, pas de risque ! » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)
« Faire une pipe » est à l’origine la façon courante, dans le langage populaire des années 20 et 30, de dire « rouler une cigarette » ; avant l’usage pour tous des cigarettes « toutes cousues » — lequel ne remonte guère qu’aux années 60 — il était habituel sur tous les chantiers de faire une petite pause, le temps de « s’en rouler une », de « se faire une pipe », et de l’allumer. Comment le sens a-t-il pu glisser de cette action banale à l’autre, parmi les plaisanteries des douillettes maisons closes de papa ? — Sans que rien soit assuré, on peut assez facilement rapprocher les deux choses : non seulement le roulage du tabac entre les doigts, à gestes méticuleux, évoque assez bien le tripotage d’une pine, mais surtout vient ensuite le léchage précis et délicat, du bout de la langue, tout au long de la cigarette, qui produit à lui seul une image assez irrésistible pour qu’elle jaillisse naturellement dans la gouaille des pipeuses professionnelles. « Tu veux que je te fasse pareil à ta petite queue, mon mignon ?… »
Il est du reste remarquable que la tabagie ait toujours été plus ou moins associée au libertinage, aux lieux de débauche, et en général aux filles de mauvaise vie. Une femme qui, autrefois, s’exerçait à « culotter la pipe » d’un homme — même sans sous-entendu paillard — la vraie pipe en terre, se donnait fort mauvais genre. Je rapporterai ici le portrait de la « grue » au milieu du XIX e siècle, paru dans le Tintamarre, et dû à un chroniqueur anonyme que je soupçonne être Alfred Delvau soi-même : « Aujourd’hui la courtisane, c’est-à-dire la grue, est fille de portière ou de blanchisseuse. Elle a fait son éducation dans une échoppe de savetier, et s’est d’abord exercée à piquer des bottines en attendant le jour où elle piquera l’assiette à la Maison-d’Or. Ensuite, elle s’est abattue dans le caboulot, où on lui enseigne à culotter des pipes. Aussi, avec quelle élégance elle lance la fumée du cigare ! avec quelle dextérité elle lève la jambe à la hauteur de l’œil ! Sa conversation est au même niveau : “Je me la brise… C’est topique… As-tu du chien ?… Tu peux te fouiller.” C’est un catéchisme adorable. » ( ln Pierre Larousse, t. 4, 1869.)
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