Sacrifier à Vénus
Malgré ses airs bon-chic-bon-genre et son allusion classico-ringarde à la déesse de l’Amour, cet euphémisme est apparu dans le langage populaire, et il ne date guère que des années 1920. On connaissait depuis longtemps « le coup de pied de Vénus », au sens de maladie vénérienne, et c’est sans doute par ce biais que fut inventé cet agréable sacrifice. « Parmi les habitudes que j’ai prises dans ma vie de Paris, enserré peu à peu entre les rets sans pouvoir dire au juste comment cela s’est fait, il y a celle, comme le veut la périphrase vulgaire, de “ sacrifier à Vénus ” le dimanche dans la matinée. » (M. Leiris, Biffures, 1948.)
L’expression, bien commode pour la presse de bon ton qui tient à modérer son style, n’est pas tombée en désuétude. Ainsi cet appel que relève le Canard Enchaîné du 5 mai 1982 : « Affolée d’avoir sacrifié à Vénus, la veille, elle demande votre secours pour en éviter la conséquence obstétricale. Donnez-lui deux solutions immédiates. » « La foutre dehors », répond le Canard.
Une partie de jambes en l’air
Dans l’état actuel des connaissances il est bien difficile de savoir avec précision à quel moment de l’Histoire sont apparues les « parties de jambes en l’air » !… Le plus probable c’est que la position joyeuse qu’évoque cette expression-là n’a pas d’âge. En tout cas la voici passablement décrite en 1618, dans le Cabinet Satyrique, où la « belle Margot » se donne du bon temps avec le Sieur de Sigogne :
Des jambes son col accolle,
Et pendant qu’au branle du cul
Ses pieds passaient la cabriole
Voici revenir son cocu.
L’expression faire une partie, sans précision, existait déjà dès le XVIII e: « Veux-tu faire une partie, Margoton ? Tiens, pose là ton inventaire. — Ah ben oui ! eune partie avec un croc de billard ! » (Rétif de la Bretonne.) La jambe en l’air n’a eu qu’à s’ajouter comme d’elle-même, probablement dans le dernier tiers du siècle passé. E. Chautard ( L’Étrange vie de l’argot) relève l’expression complète en 1883 : « faire une partie de jambes en l’air (1883), l’acte charnel. »
Ces habitudes lestes se sont heureusement transmises jusqu’aux temps présents. « C’était contre la cloison du 17 qu’il avait collé son oreille. De l’autre côté, ils avaient vraiment trop bu. Les filles gloussaient à tous propos, fin saoules. On entendait des bruits de baisers sonores. Puis les rires avaient été plus étouffés, plus plaintifs, les silences plus longs. Le lit grinçait (…) Après, ç’avait été une fameuse partie de jambes en l’air. M. Hermès n’en avait pas dormi de la nuit. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)
Les expressions s’allègent parfois avec le temps, la « jambe en l’air » tend maintenant à faire cavalier seul : « Paraît qu’elle en a dépanné plus d’un pour la bricole, la Rolande. Paraît que beaucoup lui doivent leurs débuts dans la jambe en l’air. Et même pas mal de ceux qui la chambrent au passage. Des ingrats, en fait. » (Berroyer, J’ai beaucoup souffert, 1981.)
Tirer un coup
On entre là dans les rudesses des métaphores balistiques. Il faut savoir qu’avant la propagation des armes à feu on rompait des lances, expression de joute et de tournois qui fut courante pendant tout le XV e siècle pour les ébats du lit ; Montaigne disait encore en 1580 : « Le marié ayant envie de rompre un bois en faveur de sa nouvelle épouse… »
La notion de coup, sexuellement parlant, remonte au moins au XV e siècle ; témoin ce passage des œuvres de Coquillart, avec la vieille expression « coup à demi pécune », qui signifiait : « faveur d’amour à moitié donnée, à moitié vendue. »
Elle est bien si estourdie
Que de cuider, ou de penser
La chair d’un homme assouvie,
D’une femme et de s’en passer,
Que de baiser et d’embrasser,
Voire à Dieu, passer sa fortune,
Assez, assez, trop d’avancer
Pour ung coup à demi pécune.
(Coquillart, 1491.)
Au XVII e tirer un coup est déjà d’usage fréquent ; en voici un exemple agréable dans cette petite histoire du Cabinet Satyrique de 1618 :
Un bon mari, des meilleurs que l’on face,
Venu de loin plus tôt qu’il ne devait
Sa femme voit dormant de bonne grâce
Que ces reins frais sur la plume couvait.
Il y prend goût, d’un masque se pourvoit ;
Il niche et joue, elle le trouve doux.
Quand le bon Jean eut tiré ces grands coups
Se démasqua ; lors le voyant la belle
Et qu’est ceci mon mari ? (ce dit-elle),
Je pensais bien que fût autre que vous.
La métaphore n’a dès lors jamais failli jusqu’à nos jours. Je n’en donnerai qu’un bref florilège puisé aux meilleurs auteurs du siècle dernier : « J’ai passé vingt et un jours à Valence sans m’ennuyer, mais j’y ai tiré une trentaine de coups. J’avais quatre filles en activité de service, appelées toutes les quatre Vicenta, saint Vincent est le patron de la ville. » (Mérimée, Lettre à Stendhal du 30 avril 1835.) Jehan Rictus pour sa part note ainsi dans son journal, au 5 décembre 1898, la relation de sa visite à une chanteuse dans sa loge : « Elle a ma foi de fort beaux tétons et la peau fine et blanche. Apprivoisée, elle devient lubrique — et malgré les bruits et les rumeurs du couloir, nous tirons un coup, avec des soupirs étouffés et des rires. »
La forme tirer son coup donne à l’expression un tour plus personnalisé qui ne va pas sans une légère teinte d’égoïsme :
« En régie, un technicien envoie un bobineau préenregistré. Il consulte sa Seiko à quartz. Il dit à son collègue :
— Plus qu’une heure à tirer, mec.
Il bâille. L’air sec qui fait ça. Il dit aussi :
— Faut que je pense à acheter de la bière avant de rentrer à la maison. Je bois toujours de la bière quand j’ai tiré mon coup. »
(J. Vautrin,
La canicule, 1982.)
Tirer sa crampe
Depuis le XVII e siècle, au moins, une crampe désigne l’érection.
Le grivois, à l’aspect des lieux qu’il envisage
Où nichent mille attraits qu’il lorgne tour à tour,
Se sent atteint d’une crampe d’amour.
(J.-J. Vadé, 1747.)
Le langage populaire, et même dialectal, de l’époque faisait usage du mot. Le Coup d’œil purin, de 1773, parle d’un personnage qui « médecinait sa crampe » ; sa manière était d’autant plus efficace qu’il la soignait dans une « ferme », c’est-à-dire un bordel :
Pendant qu’i m’édchinoit sa cranque
A la ferme aveuc Furibond,
Su Soudart qu’est tireux de blanque, etc.
Tirer sa crampe, ou plus vaguement une crampe, s’est employé en argot dès le XIX e sur le modèle de « tirer son coup », en détournant d’ailleurs une expression identique qui signifiait « s’enfuir. » On trouve dans le Jargon parisien, de Rigaud, en 1878 : « Tirer sa crampe, faire l’acte. »
Cette expression demeurée longtemps assez souterraine est devenue d’une fréquence d’emploi remarquable : « Ils forcent la main aux gonzesses pour tirer des crampes. C’est pas glorieux. D’ailleurs deux de chez eux sont tombés pour viol. Cinq piges. Cinq ans à se branler, ça fait cher du coup de pinceau. » (Berroyer, J’ai beaucoup souffert, 1981.)
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