Si le minet en question est bien un chat, que diable peut bien être ce potron ? Ni pot, ni potiron, certes. Les mots savent se déguiser. Celui-ci paraîtra plus clair, si l’on y ajoute un s, puis un e : cela donne posteron, où l’on peut voir une variante de postérieur, pur latinisme, de post « après », car ce qui vient après, pardi, c’est le derrière. Mais ce potron n’est plus compris depuis longtemps, d’où la variante patron-minet, ou patron-minette, rendue célèbre par Victor Hugo.
Comme d’autres expressions anciennes, potron-minet concerne une grammaire qui n’a plus cours : le potron minet, c’est le postérieur du minet, parfois remplacé — mais on a oublié cette manière d’appeler — par Jaquet, le « petit Jacques », l’écureuil. Comme le chat, l’écureuil se fait remarquer par sa queue. Et celle-ci peut cacher ou montrer son derrière.
Il faut admettre que les anciennes façons de s’exprimer, par leur obscurité même, apportent plus de poésie que la langue actuelle. Dès qu’on voit le cul du chat, pour « au petit jour », n’est même pas drôle, alors que potron-minet amuse et intrigue.
À titre d’exemple
« Dans la vieille langue populaire fantasque qui va s’effaçant tous les jours, Patron-Minette signifie le matin, de même que Entre chien et loup signifie le soir. »
Victor Hugo,
Les Misérables, 1862.
Être fier, orgueilleux comme un pou
être très orgueilleux
Étrange, que cet insecte franchement disgracieux et, par surcroît, parasite très désagréable des cheveux soit associé à la fierté et à l’orgueil ! On sait bien que « comparaison n’est pas raison », mais quand même ! On aurait pu penser à fier comme… une guêpe, une sauterelle, mais sûrement pas au pou, insecte à propos duquel on dit plus logiquement laid comme un pou .
Cette expression, en réalité, nous apprend que la forme des mots, leur sonorité, leur musique peuvent avoir plus d’importance que leur sens. Quel animal a la réputation d’être fier, de se dresser sur ses ergots, de « chanter clair » avant les autres, de jouer les machos à régner sur un harem de gallinacées femelles ? Le coq, bien sûr.
Mais il se trouve que plusieurs animaux familiers ont changé de nom au cours du Moyen Âge. La galline (celle des gallinacées ), parfait latinisme, est devenue poule, le goupil (vulpes) est devenu renard, et ce que nous avons l’habitude de désigner par ce mot sonore, coq, s’appelait le poul, ou pouil, mot logiquement apparenté à poulet — qui est donc le « petit poul » —, et le mâle de la poule. Une famille parfaite : le poul, la poule, les poulets !
On a dit fier comme un poul, comme un pouil sur son fumier, et, paraît-il, fier comme un pou sur un chignon, en transposant l’arrogance du coq en triomphe du parasite sur son domaine, le cheveu. Une image de domination, une homonymie (imparfaite, d’ailleurs, pou — poul ! ) : il n’en fallait pas plus pour inventer cette image incongrue.
À titre d’exemple
« Bientôt l’Angleterre aura la collection complète de deux mille puces qui représente, en l’état de la science, le total des espèces connues. Le British Muséum en est fier comme un pou. Tel est le progrès. »
Alexandre Vialatte,
Les Champignons du détroit de Behring, 1988.
Jeter de la poudreaux yeux
chercher à éblouir, souvent par de fausses apparences
Ceux qui jettent de la poudre aux yeux éblouissent mais suscitent la méfiance. Comme le marchand censé jeter du sable dans les yeux des enfants pour les endormir, les jeteurs de poudre aux yeux endorment la vigilance d’autrui afin d’atteindre leur but. L’esbroufe est ce qui se donne l’apparence du brio : le bluffeur en jette, en met plein la vue pour faire illusion.
Cette poudre au centre de l’expression, c’était en réalité de la poussière, avant que poudre ne désigne d’autres matières plus spécifiques, comme la poudre à canon ou celle dont on se farde. C’était surtout la poussière des routes avant l’ère du bitume. Par temps sec, le passage d’un attelage soulevait ainsi les particules de terre qui couvraient les chemins. Et quand Charles Perrault écrit dans Barbe Bleue « je ne vois rien que le Soleil qui poudroie », c’est parce que le Soleil fait briller cette poudre, poussière en suspension.
Telle serait l’origine de jeter de la poudre aux yeux, qui ferait référence à la course a pied sur des chemins en terre depuis les Jeux antiques. Certains coureurs, dit-on, remportaient la victoire parce qu’ils avaient gêné les concurrents qui les suivaient en soulevant la poussière. Ils devaient leur réussite à un procédé déloyal plus qu’à leur talent.
Les sportifs dopés font-ils aujourd’hui autre chose ? D’une poudre à l’autre, le monde de la compétition continue d’inviter à briller par des moyens douteux, pourvu qu’ils soient invisibles. L’expression, cependant, a quitté les pistes et les chemins poudreux pour investir les prestiges trompeurs de la parole. On n’éblouit plus pour arriver en tête, mais pour se faire élire ou pour vendre. Propagande et publicité sont autant de poudres jetées devant nos yeux.
À titre d’exemple
« Ils gagnent un argent fou, mais ils mènent trop grand train, disait maman. Tout passe dans les écuries, dans la livrée. Ils préfèrent jeter de la poudre aux yeux, plutôt que de mettre de côté. »
François Mauriac,
Le Nœud de vipères, 1932.
sans préparation, brusquement
Dans la petite société proustienne, Madame de Guermantes se prit un jour à citer de mémoire la grande littérature française et « c’est l’œil brillant de satisfaction que M. de Guermantes avait écouté sa femme parler de Victor Hugo “à brûle-pourpoint” et en citer quelques vers. » La mondaine n’aurait pas préparé son coup, et ce serait spontanément et inopinément qu’elle déclama ces vers manifestant sa culture et sa mémoire.
L’expression garde son mystère si l’on ignore ce qu’est un pourpoint. Disparu depuis plusieurs siècles, le pourpoint était un vêtement masculin couvrant le torse jusqu’à la ceinture. C’était de la belle couture, et le mot venait du verbe poindre, qui signifiait « piquer ». Les chevaliers revêtaient un pourpoint de cuir sous l’armure, les élégants portaient pourpoint tailladé. L’habit faisait si bien corps avec le porteur qu’on en vint à dire le moule du pourpoint pour désigner le corps (masculin). Et on mettait un homme en pourpoint quand on le dépouillait de son bien. De nos jours, il se retrouverait en chemise ou en slip. Quant à l’aptitude de ce vêtement à prendre feu, c’est une autre bizarrerie.
Notre duchesse citant Hugo à l’improviste, aurait-elle affronté quelque danger au milieu des flammes ? Peut-être car tirer à brûle-pourpoint consistait à tirer à bout portant, si près que la poudre brûlait l’habit de la victime. D’après ce coup de feu qui ne pouvait rater sa cible, on qualifia d’ à brûle-pourpoint un argument imparable. L’efficacité du coup a été retenue avant son caractère soudain et meurtrier. C’est en ce sens qu’on utilise aujourd’hui la formule.
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