« Coriaces, ces salauds ! reconnut Desjani.
— Ouais. » Geary gardait un œil sur les extraterrestres et l’autre sur les données qui lui parvenaient des croiseurs de combat. Comme l’avait fait remarquer un peu plus tôt Desjani, les systèmes de combat étaient conçus pour des engagements fulgurants, avec des séquences de tir ne permettant qu’une seule salve, deux au maximum. Les batteries de lances de l’enfer ne pouvaient s’activer que sur un très bref laps de temps avant de surchauffer, et il voyait à présent s’afficher des avertissements sur tous les croiseurs l’un après l’autre.
« Batteries de lances de l’enfer 1A et 2B en sévère surchauffe, rapporta également l’officier en charge sur l’ Indomptable. Délai maximum estimé avant désactivation provisoire : dix secondes.
— D’accord, laissa tomber Desjani. Et pour les autres ?
— Maximum une minute, commandant. Mais les systèmes de combat prévoient qu’il ne nous restera plus dans trente secondes que vingt pour cent des batteries de lances de l’enfer opérationnelles. Cinq secondes avant réarmement complet des missiles spectres.
— Tirez-les dès qu’ils seront parés. »
Les spectres bondirent de nouveau de l’ Indomptable au moment où les tirs de ses lances de l’enfer faiblissaient puis cessaient. Geary consulta les relevés des autres croiseurs de combat. Léviathan et Dragon avaient déjà perdu temporairement plusieurs batteries pour cause de surchauffe, et les tirs de leurs camarades commençaient de défaillir. Un nombre croissant d’appareils ennemis se volatilisaient sous le tir de barrage des croiseurs de combat, mais ils arrivaient toujours en force, leur nombre à peine entamé.
Bien qu’il sût que ça allait se produire, Geary eut un moment de surprise en constatant que l ’Indomptable et les autres croiseurs de combat se retournaient de nouveau pour présenter leur poupe à l’ennemi en même temps que s’éteignaient leurs principales unités de propulsion. Les systèmes de combat de la flotte avaient réussi à déterminer approximativement, à l’avance, le moment où les lances de l’enfer cesseraient de tirer pour cause de surchauffe, de sorte que les instructions de manœuvre s’étaient basées sur ce calcul. La vitesse d’approche de l’ennemi diminuait sans doute spectaculairement, mais les croiseurs ne pourraient pas engager le combat avec autant d’efficacité tant qu’ils lui tourneraient le dos.
Desjani observait la bataille, le menton en appui sur une main. « Et voilà la seconde équipe. »
Les instructions de manœuvre transmises un peu plus tôt à la flotte avaient enfin ébranlé la masse des escorteurs. Des dizaines de destroyers, de croiseurs légers et de croiseurs lourds pivotaient à présent pour présenter leur proue aux extraterrestres, et les croiseurs de combat entreprirent de les protéger. L’ennemi se rapprochant encore, destroyers et croiseurs joignirent leurs tirs à ceux de leurs batteries de poupe.
Les appareils adverses chancelaient sous les coups, disparaissant parfois en de fantastiques explosions tandis que d’autres étaient réduits en pièces. Mais d’autres arrivaient derrière chaque bâtiment détruit. Geary vit les relevés des lances de l’enfer de ses escorteurs virer très vite au rouge de la surchauffe, tandis que les croiseurs de combat tiraient leur troisième salve de spectres. Mais l’ennemi était maintenant si proche que les missiles avaient le plus grand mal à se verrouiller sur eux avant de s’évader du site du combat, et la plupart manquaient leur cible. « À toutes les unités. Cessez les tirs de missile, à moins d’une solution de tir acceptable sur un appareil ennemi. » Leurs lances de l’enfer réduites au silence par la surchauffe, croiseurs et destroyers pivotèrent de nouveau, présentant cette fois leur poupe à l’ennemi et accélérèrent à plein régime pour rejoindre les croiseurs de combat et tenter de se maintenir le plus loin possible des assaillants.
Geary se tourna vers Desjani. « Nous ne les décimons pas assez vite.
— Pas encore. Mais c’est au tour des grands garçons d’intervenir », répondit-elle, la voix de nouveau pétulante.
Une fois déployée en sous-formations, la flotte s’était lentement resserrée, comprimée en une couche épaisse, plus proche de l’ennemi, comprenant les croiseurs de combat et les escorteurs, tandis que cuirassés, transports et auxiliaires s’étiraient plus loin. Les cuirassés pivotaient à présent pesamment pour affronter l’ennemi, tout en décélérant assez pour que les lourds vaisseaux de guerre fussent rapidement dépassés par le reste de la flotte. Seuls les transports et les auxiliaires restaient légèrement en tête, vite rattrapés pourtant par la flotte et les appareils ennemis.
Les cuirassés vinrent se glisser en position parmi les croiseurs de combat et les escorteurs puis ouvrirent à leur tour le feu de leur formidable armement. Geary sentit ses lèvres se crisper en une grimace involontaire : l’énergie qui saturait l’espace alentour scintillait désormais au point de devenir visible ; les vagues de tête des appareils ennemis rescapés s’évaporaient sous le torrent de feu vomi par les cuirassés.
« Ça va être serré, déclara Desjani comme si elle discutait d’un plan de table. Ils sont beaucoup trop nombreux et ils continuent de se rapprocher. Nos batteries de proue se sont assez refroidies pour tirer plusieurs autres salves, mais, dès que nous pivoterons de nouveau, ces extraterrestres nous tomberont sur le poil.
— Compris. » Les manœuvres préétablies ne menaient pas plus loin. Il incomberait donc à Geary d’évaluer au mieux l’instant T où il passerait à l’étape finale chaotique de la bataille. Il regarda les extraterrestres se rapprocher encore, les tirs des cuirassés commençant à faiblir à leur tour. Ils sont si proches à présent. Mais je dois permettre à leurs survivants de se rapprocher encore un peu plus, afin de leur laisser moins de temps pour réagir à notre manœuvre suivante. À quelle distance des unités les plus éloignées de ma formation ? Tenons compte du temps qu’elles mettront à recevoir mes ordres. Fort heureusement, les assaillants continuent d’en viser le centre, si bien qu’une réaction légèrement retardée des flancs de notre formation ne nuira pas à ces vaisseaux. On y est presque.
« Amiral ? » demanda Desjani sur un ton relativement dégagé. Cela dit, le seul fait qu’elle posât la question trahissait, assez rare témoignage, la tension qu’elle cherchait si efficacement à dissimuler.
« Pas encore. » Il leva la main, l’agita lentement plusieurs fois comme pour compter puis appuya sur sa touche. « À toutes les unités. Effectuez une manœuvre d’évitement indépendante au maximum de votre capacité pour vous soustraire aux vaisseaux ennemis tout en continuant de les mitrailler avec toutes vos armes à courte portée. Exécution immédiate. »
Il sentit la pression le secouer en dépit des tampons d’inertie, Desjani venant d’engager l’ Indomptable dans un virage serré à sa vélocité maximale ; le croiseur de combat décrivit un grand arc de cercle dans l’espace avant de pivoter pour engager aussitôt le combat. « Tirez la mitraille en même temps que les canons se verrouillent sur leurs cibles ! ordonna-t-elle. Que toutes les lances de l’enfer se déchaînent et s’activent jusqu’à la disparition du dernier assaillant ! »
Des alarmes de collision hurlèrent des mises en garde, des centaines de vaisseaux adoptant en même temps une nouvelle trajectoire. L’écran de Geary passa au rouge tant ces alertes le recouvraient. Heureusement, les manœuvres initiales, alors que les vaisseaux de l’Alliance restaient encore très proches les uns des autres, étaient relativement prévisibles par les systèmes, puisque à peu près tous les vaisseaux se retournaient pour affronter le plus proche appareil ennemi. Ce facteur, s’ajoutant peut-être à l’assistance providentielle qu’avait implorée Geary, prévint toute catastrophe.
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