À mon oncle Oliver Holmes « Rick » Ulrickson, qui a fait voile vers son dernier port en mai 2010. Fils cadet de la famille de ma mère, nanti de six sœurs plus âgées, il a réussi à survivre à son enfance pour servir dans la Navy, travailler dans l’aérospatiale (y compris au système de repérage de la Johnson Space Center Mission Control de la NASA) et enseigner à de nombreux étudiants de la Texas Christian University. C’était un historien amateur qui lisait beaucoup, chantait, et a activement participé au mouvement des droits civiques dans les années soixante et soixante-dix ; mais la réussite dont il a été le plus fier de toute son existence est indubitablement sa famille. On te regrettera, oncle Oliver.
À S., comme toujours.
D’innombrables étoiles pareilles à des diamants négligemment projetés dans l’espace infini scintillaient sur la coque du vaisseau de transport civil. Brillants mais froids, leur lumière par trop lointaine pour apporter de la chaleur, ces astres dessinaient des constellations où les hommes cherchaient à trouver un sens. En les observant, l’amiral John « Black Jack » Geary se disait que ces constellations changeaient certes en fonction de la position qu’on occupait, mais que leur signification globale, elle, restait la même.
Il regrettait seulement de ne pas la connaître. Il avait perdu une bataille voilà très longtemps et découvert bien après que cet échec avait signifié davantage que ce qu’il avait imaginé à l’époque. Plus tard encore, il avait remporté des batailles bien plus cruciales ; mais ce qu’elles signifiaient, la tournure que prendrait ensuite son avenir, restait tout aussi incertain que les messages inscrits dans le ciel par ces astres.
Les passagers du vaisseau étaient sortis du portail de l’hypernet près de l’étoile connue par les hommes sous le nom de Varandal. Durant les douze décennies qui avaient suivi sa construction, le vaisseau avait voyagé entre de nombreuses étoiles et, alors que ces luminaires avaient continué de briller, apparemment inchangés, le vaisseau, lui, avait éprouvé le poids des ans. Hommes et femmes avaient travaillé au maintien du bon fonctionnement de ses systèmes et de la solidité de sa coque, mais, alors que la vie des astres se mesurait en milliards d’années, l’espérance de vie des fabrications de l’homme dépassait rarement le siècle.
Le vaisseau était ancien et, s’il restait aussi agile qu’au début, ses matériaux n’en ressentaient pas moins l’accumulation de la fatigue des ans. On aurait dû le remplacer depuis beau temps. Néanmoins, une civilisation prise dans l’engrenage d’une guerre apparemment interminable ne pouvait guère se permettre de tels luxes ; elle préférait affecter ses ressources à la construction de bâtiments de guerre chargés de se substituer à ceux, innombrables, qu’elle perdait à l’occasion de batailles tout aussi innombrables.
Mais durant ce voyage, alors que la paix régnait désormais depuis un mois, l’équipage avait évoqué des rumeurs à propos de la construction de nouveaux vaisseaux. Nul ne savait avec certitude. Jusque-là, la paix n’avait entraîné aucune amélioration significative, n’avait rapporté ni l’argent ni les vies susceptibles de remplacer ce qui s’était perdu lors de la longue guerre contre les Mondes syndiqués. Personne ne savait exactement ce que recouvrait le mot « paix ». Personne n’avait vécu l’époque où l’humanité avait connu la paix pour la dernière fois, avant que les Syndics n’attaquent l’Alliance un siècle plus tôt.
Non, c’était inexact. Un homme au moins était encore vivant, qui avait miraculeusement survécu pendant cent ans en hibernation pour ensuite conduire la flotte à la victoire et apporter la paix ; cette paix qui, d’une certaine façon, ne semblait guère différente de la guerre, jadis interminable, qui l’avait précédée. Et, à présent, il contemplait les étoiles en se demandant quels nouveaux tournants allait prendre son existence.
Le gouvernement de l’Alliance prévient d’une menace posée par une espèce extraterrestre à toute l’humanité.
Geary baissa les yeux sur la titraille d’informations qui défilait sous son écran. « Quand nous avons quitté Varandal il y a quelques semaines, l’existence d’extraterrestres intelligents était encore censément un secret. »
Assise sur le lit voisin, le capitaine Tanya Desjani jeta un coup d’œil sur les infos avant de reprendre son examen d’une barre énergétique. « Nous avons livré une bataille contre eux. La flotte tout entière sait qu’ils sont là, quelque part. » Elle désigna d’un geste un autre écran encastré dans une paroi, faisant scintiller fugacement le saphir en forme d’étoile serti dans la nouvelle bague qui ornait son annulaire.
Une fenêtre virtuelle s’ouvrit sur l’écran, montrant une vue différente de l’espace autour du vaisseau ; mais, en l’occurrence, les étoiles innombrables, comme les planètes éclairées par la lumière de Varandal, étaient occultées par des symboles révélant des éléments invisibles à l’œil nu à cette distance. Des centaines d’images miroitantes, représentant chacune un vaisseau de la flotte de l’Alliance, cloutaient le fond noir de l’espace, apparemment immobiles bien que ces vaisseaux fussent en orbite autour de l’étoile. La scène suscitait deux impressions différentes, dont l’émerveillement vis-à-vis de l’envergure des accomplissements de l’espèce humaine. Mais, à rebours, paradoxalement, la conscience qu’en dépit des dimensions formidables, à l’échelle humaine, des cuirassés, croiseurs de combats et autres vaisseaux de guerre plus petits, ils restaient minuscules comparés à l’étendue du système stellaire, et parfaitement insignifiants devant l’immensité d’un secteur de la Galaxie.
Geary laissa son regard s’attarder sur ce spectacle, non sans se rendre compte à quel point ces vaisseaux encore invisibles, utilitaires et scarifiés par les combats, lui avaient manqué. Sa propre planète natale lui était devenue étrangère, mais, en dépit des changements qu’avait apportés un siècle éprouvant, il lui semblait toujours se sentir chez lui dans la flotte. Les hommes et les femmes qui avaient grandi pendant la guerre, avaient été témoins de toutes ses horreurs et en partie façonnés par cette sanglante expérience restaient des spatiaux comme lui. En outre, la cessation officielle des hostilités contre les Syndics aurait dû apporter un répit à leur besogne, mais cette mouture-là de la paix ne semblait guère susceptible de le leur offrir. « Il me semblait que nous cherchions un moyen d’éviter d’autres combats avec les extraterrestres. Pourquoi le gouvernement s’avise-t-il à présent de divulguer publiquement leur existence et la menace qu’ils représentent ?
— Lis les autres titres, suggéra Desjani avant de mordre dans sa barre. Ces rations Yanika Babiya ne sont pas mauvaises. Pour des barres énergétiques, en tout cas. »
Geary reporta toute son attention sur les nouvelles, s’efforçant de se remettre au courant après avoir résolument évité, au cours du mois passé, de se tenir informé des événements. Les partis dirigeants évincés du pouvoir à l’occasion d’élections spéciales organisées dans quatre-vingt-douze systèmes stellaires.
La Fédération du Rift vote pour renégocier ses liens avec l’Alliance.
Final est le trente-sixième système stellaire qui exige la réduction de son engagement dans la défense et de sa contribution fiscale au budget du gouvernement central de l’Alliance.
Black Jack Geary, lors de commentaires faits à Kosatka, n’offre au gouvernement actuel qu’un soutien restreint. « Quoi ? Un soutien restreint ? De quoi diable parlent-ils ? Quand ce type m’a demandé si je me plierais aux ordres du gouvernement, j’ai répondu par l’affirmative. »
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