« J’espère que les félicitations sont de mise.
— Moi aussi.
— L’ Indomptable en fait partie ?
— Oui. » Geary n’avait pas encore eu le temps de s’imprégner de cette idée, mais il se rendait compte à présent que ses ordres ne l’obligeraient pas à se séparer de Tanya.
Timbal fit la grimace. « Il ne nous reste pas beaucoup de temps avant d’arriver à la soute, mais je dois au moins vous confier une chose pendant que j’ai l’occasion de vous parler en privé. J’ai entendu des rumeurs à cet égard ; ce ne sont peut-être que des fadaises mais elles me paraissent légitimes. Vous êtes-vous demandé pourquoi vos ordres n’expédiaient pas l’ Indomptable et son commandant à un bout de l’Alliance et vous à l’autre ?
— En toute franchise, je ne me suis pas encore posé la question, répondit Geary. Mais cette éventualité m’a bel et bien turlupiné.
— Ce n’est nullement par égard pour votre bonheur. Desjani et vous avez maintenu une relation purement professionnelle tant que vous étiez encore célibataires. » Timbal parut s’excuser du regard. « Certaines personnes se demandent si vous en serez encore capables maintenant que vous voilà mariés. Séparés, vous ne pourriez faillir. Mais… ensemble…
— Nous pourrions dévisser ? » Il avait dépassé le stade de la colère et se demandait pourquoi, au lieu de s’attacher à résoudre des problèmes, certains esprits s’acharnaient à créer des ennuis à leur prochain.
« Ce n’est qu’un avertissement. On vous surveille. Et on n’attend que cela : trouver une faille dans la cuirasse de Black Jack. »
Un rire bref échappa à Geary. « Enfer, s’ils cherchent à se persuader que je suis humain, je peux volontiers le proclamer à la face du monde.
— Pas trop humain, le prévint Timbal. Votre mariage en a fait sourciller certains en dépit de ce qu’on savait ou soupçonnait des sentiments que vous éprouviez l’un pour l’autre. Mais vous n’aviez rien fait qu’on puisse vous reprocher et votre union a été parfaitement convenable et réglementaire. Si vous dérogiez maintenant, cela fournirait à certains individus un terrain favorable, et qu’ils regarderaient comme légitime, pour mettre en doute la correction de vos agissements antérieurs. »
Geary se rendit brusquement compte qu’il se moquait sincèrement des soupçons qu’on pouvait nourrir à son endroit, mais que, s’agissant de Tanya, c’était une autre paire de manches. Il ne pouvait permettre qu’on mît en cause son honneur, surtout pour un acte qu’il aurait lui-même commis. « Merci pour cette mise en garde. Nous n’avions pas l’intention de faire quoi que ce soit de déplacé à bord de l’ Indomptable, mais nous rappeler qu’on continue de nous surveiller ne saurait nuire. » En espérant nous voir faillir.
Passé le dernier poste de contrôle, Geary et Timbal commencèrent de croiser à nouveau des gens dans les coursives ; leur escorte de commandos progressait à présent fièrement devant eux pour dégager le passage. Les civils souriaient et leur souhaitaient la bienvenue, tandis que le personnel militaire les saluait aimablement. Geary n’arrêtait pas de retourner ces saluts et espérait qu’il atteindrait la navette avant que son bras ne commence à flancher.
Desjani patientait au pied de la rampe d’embarquement, au repos, sans que rien en elle ne trahît qu’une crise avait menacé un peu plus tôt. Les deux rangées de soldats leur faisaient de nouveau une garde d’honneur. Non loin, d’autres épais cordons de sécurité s’employaient à retenir les civils, dont les acclamations et les cris Black Jack ! Black Jack ! faisaient vibrer les cloisons.
Le commandant Sirandi et ses hommes escortèrent Geary jusqu’à la rampe puis le premier salua Desjani. « Capitaine, le 574 erégiment de commandos a l’honneur de rendre l’amiral Geary aux vaisseaux de la flotte.
— Merci, répondit Desjani en se mettant à son tour au garde-à-vous pour lui rendre son salut. La Spatiale apprécie son retour sous votre garde. Nous aurions détesté le perdre. Amiral, je suggère que nous partions le plus vite possible afin de vous permettre de prendre les mesures nécessaires dans la flotte. »
Geary opina, non sans se demander ce qu’elle n’avait pas pu lui apprendre par le truchement de l’unité de com qu’il avait empruntée à Sirandi, remercia de nouveau les commandos qui rayonnaient sous le regard envieux d’autres soldats voisins, se contraignit à faire un grand signe à la foule, sourit, l’air à la fois serein et confiant, puis passa entre les deux rangées de soldats sans cesser de saluer, le bras endolori par l’exercice, avant de pénétrer dans le sanctuaire bienvenu de la vedette de la flotte.
Non, pas un sanctuaire, en fait. Rien qu’un bref sas entre une crise et la suivante.
Desjani resta coite plusieurs minutes après la fermeture de l’écoutille. « Ton adresse à la flotte signifie-t-elle officiellement que l’ Indomptable reste ton vaisseau amiral ? » demanda-t-elle finalement en regardant droit devant elle plutôt que de fixer Geary.
Oups ! « J’imagine. Avant de participer à cette réunion, je ne savais même pas quel commandement on me confierait ni si l’ Indomptable en ferait partie.
— Tu l’as annoncé à la flotte à ta sortie. Avant même de m’en faire part. »
Geary ne put s’empêcher de tiquer. « Tu m’as dit que je devais transmettre le plus tôt possible un message à la flotte. »
Elle lui jeta un regard en biais. « De quoi exactement l’ Indomptable sera-t-il le vaisseau amiral ?
— De la Première Flotte.
— Impressionnant, à t’entendre.
— Ça l’est, lui affirma-t-il. La plupart des vaisseaux qui nous ont accompagnés jusque-là seront de la fête.
— Pourtant, quelque chose te turlupine sincèrement, fit-elle remarquer en se tournant vers lui. Où est le piège ? »
Geary activa les champs d’intimité autour de leurs sièges. Les pilotes n’étaient pas censés écouter, et ces champs n’auraient sans doute pas raison de systèmes d’espionnage sophistiqués, mais il n’allait strictement rien lui dire qu’il ne confierait pas bientôt à ses autres commandants. Il lui fit part de son affectation et lui expliqua leur mission pendant qu’elle poussait de temps à autre des grognements d’exaspération.
Lorsqu’il eut terminé, elle secoua la tête. « Je n’aurais jamais cru que même les politiciens de l’Alliance pourraient rassembler autant d’ordres contradictoires dans une seule instruction. Comment es-tu censé t’engouffrer sans déclencher des hostilités dans un territoire appartenant à une espèce qui a donné la preuve de ses mauvaises intentions ? Comment comptes-tu établir avec elle des communications tout en respectant sa conception de l’intimité ? Et comment pourras-tu te débrouiller pour conclure un accord avec ces extraterrestres sans compromettre nos propres décisions futures ?
— Ça me dépasse, avoua Geary. Crois-tu que les hommes d’équipage vont nous poser de gros problèmes ? On les envoie remplir une telle mission alors qu’ils s’attendaient à bon droit à une longue permission chez eux.
— Des problèmes ? lâcha Desjani, manifestement agacée. Le gouvernement est conscient que tu es le seul chef qu’ils accepteraient de suivre parce qu’ils se fient à toi pour les ramener chez eux. S’il nommait quelqu’un d’autre à leur tête, alors là, oui, il y aurait de gros problèmes. »
Geary ne s’en sentit que plus mal. « Ils vont me suivre dans ce bourbier parce qu’ils se fient à moi.
— Amiral. » Le ton de Desjani contraignit Geary à la regarder droit dans les yeux. « Vous allez devoir mener votre barque dans les rapides. Sans vous, la flotte serait en train de ravager Varandal.
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