Geary calcula. « C’est là l’occasion ou jamais d’exceller, sénateur.
— Je vous demande pardon ?
— C’est un éventail d’ordres pour le moins exigeants, je veux dire. Mais je ferai de mon mieux, répéta-t-il. Tout comme, j’en suis persuadé, tous les hommes et femmes de la flotte.
— Cette réunion a donc atteint son but, déclara Suva.
— En ce cas, je ferais mieux de prendre congé pour gagner une position d’où je pourrai communiquer avec l’extérieur, afin de m’assurer que la situation est bien revenue à la normale. »
Navarro jeta un regard aux vaisseaux toujours immobiles sur l’écran figé, mais Suva ne quittait pas Geary des yeux. « Vous recevrez la confirmation de ces ordres par le QG de la flotte, amiral.
— J’aurai peut-être besoin qu’on m’octroie davantage d’autorité pour traiter avec le QG et veiller à ce qu’on me fournisse bien les vaisseaux et les équipements nécessaires afin de mener cette mission à bien. »
Suva le rassura d’un sourire. « Certainement. »
Cette promesse lui avait été faite trop facilement. Ne fais jamais confiance à personne davantage qu’il n’est nécessaire , chuchota la voix de Victoria Rione dans sa tête. Mais il voyait mal ce qu’il pourrait gagner en poussant plus loin son avantage. Les politiciens se contenteraient de lui fournir verbalement d’autres assurances, sans rien confirmer par écrit. Mieux valait pour l’instant consolider la situation, puis, ultérieurement, mettre à nouveau l’accent sur ses besoins réels.
Seul Navarro l’accompagna jusqu’à l’écoutille et le suivit dans la coursive. « Fournissez à l’amiral Geary une escorte qui l’aidera à franchir le plus vite possible tous les postes de contrôle, ordonna-t-il aux commandos qui montaient la garde devant le sas.
— À vos ordres, sénateur. » L’officier responsable salua Geary et fit signe à quatre de ses hommes. « Si vous voulez bien nous autoriser à vous escorter, amiral ?
— J’en serai très honoré. Mais il faut nous presser.
— Oui, amiral ! »
Ils traversèrent au pas de course les trois premiers postes de contrôle ; chaque fois, un des commandos signifiait d’un geste aux soldats de faction que tout allait bien, non sans s’attirer des sourires mal dissimulés. La tension semblait se dissiper à mesure qu’ils progressaient et l’attitude des soldats se détendre alors même qu’ils gardaient une posture rigide et présentaient les armes au lieu de simplement laisser passer Geary. Il leur retournait leur salut en s’efforçant d’interdire à ses propres inquiétudes de transparaître.
En franchissant le troisième poste, il devait avoir également émergé de la zone de brouillage car l’unité de com du commandant se mit à carillonner. L’officier lui jeta un regard interrogateur, auquel il lui fut répondu par un bref hochement de tête affirmatif, et il décrocha. « Un appel général vous concernant, amiral. On vous demande de contacter d’urgence un certain capitaine Desjani.
— Puis-je vous emprunter votre unité de com ? » Fort heureusement, les unités de dotation du gouvernement étaient standardisées, de sorte qu’il n’eut pas à s’efforcer de deviner le fonctionnement d’un appareil des forces terrestres au moment de composer le numéro familier. « Tanya ?
— Où êtes-vous, amiral ? » s’enquit Desjani d’une voix hachée mais qui restait très calme.
Le brouillage de sécurité demeurait assez actif pour interdire une transmission vidéo, mais, au ton de sa voix, Geary comprit que le problème n’était toujours pas entièrement résolu. « À mi-chemin des cordons de sécurité et je me dirige vers vous. Que se passe-t-il ?
— Votre second message nous a été d’une grande aide, mais je ne contrôle la situation qu’avec un succès mitigé. Les rumeurs prolifèrent et se répandent plus vite que nous ne pouvons les étouffer. Certains vaisseaux continuent de quitter l’orbite qui leur est assignée pour piquer vers la station d’Ambaru.
— Je m’en étais aperçu. Pourquoi n’ont-ils pas obéi à mon second ordre ? »
La voix de Desjani resta calme mais se fit plus froide. « On a mis en doute son authenticité. On s’est demandé si le gouvernement n’aurait pas balancé des désinformations pour rassurer la flotte. »
Geary eut un certain mal à maîtriser sa colère à cette annonce. « Où est l’amiral Timbal ?
— Dans le compartiment du commandement central. Il cherche à empêcher les autres forces militaires de Varandal de réagir aux manœuvres des vaisseaux. Je préconise instamment une autre déclaration de l’amiral Geary à la flotte, et dans les cinq minutes qui ont précédé. »
Geary fixa le bout de la coursive déserte qu’il arpentait à vive allure, escorté de part et d’autre par les commandos. « Vous n’êtes même pas encore informée des autres nouvelles que j’apporte.
— Quelles qu’elles soient, ça ne pourrait pas être pire que ce à quoi je dois me confronter », répondit Desjani.
Il tapota avec énervement sur son unité. « Je n’ai toujours pas la connexion avec l’extérieur par cette unité de com. Puis-je relayer ma transmission par la vôtre ?
— Je crois, amiral. Une seconde. C’est bon. Audio seulement. Vous aurez la connexion dans trois… deux… une… maintenant. »
L’icône de la transmission s’afficha brusquement sur l’écran de l’unité de com de Geary. Il ralentit le pas pour s’interdire de haleter d’essoufflement au moment de rapprocher l’appareil de sa bouche et s’efforça de s’exprimer distinctement : « À toutes les unités de la flotte de l’Alliance, ici l’amiral Geary. Tous les vaisseaux doivent regagner sur-le-champ la position orbitale qui leur a été assignée. Je ne veux pas avoir à répéter cet ordre. » Il avait permis à sa voix de pleinement trahir sa colère et son désappointement. Devait-il menacer de relever de leurs fonctions les commandants de ces vaisseaux s’ils refusaient encore d’obéir ? Non. Laissons plutôt clairement transparaître nos attentes et permettons aux officiers responsables de ces excès de bénéficier d’une solution de repli sans pour autant donner l’impression de perdre la face. Dans cette flotte où la notion d’honneur prévalait, toute menace risquait de se transformer en retour de bâton.
« Le message du QG qui informait la flotte de l’inculpation de nombreux commandants a été annulé avec effet immédiat », poursuivit-il. En réalité, les sénateurs s’étaient montrés beaucoup moins explicites, mais ce n’était pas le moment de laisser planer des ambiguïtés. « Je répète, le message du QG est annulé. Aucune des actions qu’il annonce ne sera entreprise et il ne sera pas rediffusé. Je vais regagner directement mon vaisseau amiral depuis la station d’Ambaru et, une fois à bord de l’ Indomptable, je tiendrai une conférence pour informer mes officiers de la situation. En l’honneur de nos ancêtres. Geary, terminé. »
Il inspira encore profondément et bascula la communication sur Desjani. « Comment c’était ?
— Acceptable.
— Merci. Nous allons avoir besoin d’une navette pour regagner l’ Indomptable, du moins si le calme est revenu.
— J’ai déjà ordonné son envoi. Elle devrait s’amarrer dans quinze minutes. Où voulez-vous qu’elle se gare ? »
Bonne question. Déjà épuisé, Geary envisageait plutôt une gentille soute militaire, sécurisée et davantage isolée. Mais il se rendit compte que la tension ne s’était pas encore entièrement dissipée à Varandal, loin s’en fallait. Plein de gens, même s’ils n’avaient pas remarqué les manœuvres des vaisseaux, avaient dû s’apercevoir que quelque chose allait de travers. Je dois montrer à tout le monde que tout va bien. Aussi bien aux civils qu’aux militaires. « Plutôt une soute civile. Demandez à l’amiral Timbal de déployer les mêmes soldats qui retenaient la foule quand nous avons débarqué afin de régler les problèmes dans la soute qui nous sera assignée. Ne cherchez pas à la sceller. Permettez aux gens de nous voir et de constater que tout se passe bien.
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