DEUX ANS
Nous étions frères en ce temps-là toi et moi
Maman souvent au travail dix heures par jour
Pas de crèche pas d’amis pas de famille
Alors nous allions heureux et contents
Au jardin du coin entouré de murs
Où des nounous jamaïcaines nous regardaient jouer
Un œil sur leur rejeton abruties de chaleur
Des enfants partout maman suivant sa fille
Moi te suivant si prudent si propret
Des mains te rattrapaient sur la balançoire
Déterminé tu montais sur le pont de singe
Riais gargouillais à gorge déployée
Quand tu retrouvais la terre ferme et te tenais au bord
Regardant l’étendue que tu avais traversée
Plop sur l’herbe et premier déjeuner
Tu me taquines en mangeant et ris de plus belle
Fais mine de refuser le jus de pomme
Le repousse et ris en le voyant renversé
Et ris encore en voyant s’envoler un geai
Vers l’allée crépusculaire des bouquinistes
Retrouver les livres que tu as pris et abîmés
En les lançant par terre pour voir sourire les gens
Jusqu’à ce que je t’arrête et que tu piques une colère
Alors dans le sac à dos et c’est reparti
Ton front collé sur ma nuque vite à la maison
Chauffer le lait de Maman au micro-ondes
Quand tu te réveilleras avec une faim dévorante
J’aurai vérifié la chaleur d’un coup de langue
Te prendrai au creux de mon bras
Te regarderai téter jusqu’au dernier squick squick
Tu te rendors pendant que j’écris mon livre
Et pendant une heure je suis sur Mars
Ou à mon bureau perdu dans mes pensées
À regarder l’incessant défilé des voitures
Tes cris nous tirent tous les deux de ce rêve
Et nous voilà revenus au mouvement des étoiles
Pas plus régulier que notre routine
L’indicible ennui et pas que des couches
Des cris de te faire manger à la cuillère
Mais aussi du passage hebdomadaire des balayeurs
Des heures passées à jouer aux cubes
Je les empile tu les fais tomber normal
Et tout ce temps tu apprends à parler
Glossolalie pimentée de noms
Affirmations ordres implacables Aller promener
Me dire de faire les choses Un jeu
Qui te fait rire et de savoir aussi
Que des choses différentes peuvent être pareilles
Camion bleu ciel bleu et tu t’illumines
Ton sourire alors que ton langage s’enrichit
Que la description devient un mode de narration
Pouvoir je crache le soleil je ciel le bleu
Assis ensemble dans ce salon
Chacun dans son monde surpris par la nouveauté
Des objets éloignés perdus l’un pour l’autre
Habitués l’un à l’autre comme des frères siamois
Enfermés à la maison par le temps pluvieux
Je regarde le volley sur ESPN
J’écoute Beethoven je lis le Post
Tu fais rouler tes camions en babillant quand
Tu as l’impression d’une perte absorbée concentrée
Dans ton propre espace si bien qu’en te regardant
J’oublie mes si nombreux moi réduits à un seul
Essentiellement heureux que le passé ne soit plus
Je te demande David aimé de Dieu te souviens-tu
De Bethesda comme ma mère me l’aurait demandé
Te souviens-tu de Sion
Et David me regarde avec curiosité et dit Non
Papa pas vraiment je sais comment était la maison
Mais c’est grâce aux photos des albums de Maman
Tu sais Oui mes premiers souvenirs ne sont pas de Sion
Mais de Californie le Noël de mes trois ans
Le tricycle marron monté par mon père près de l’arbre
Mais mon père me dit qu’il était tout monté
Comment pouvons-nous dire ce qui est arrivé ou non
David en te regardant je tremble
Tu sais que le monde est compliqué
Tu sais que tu ne te rappelles pas
Ce moment et maintenant tu en sais si long
Sur la haine la peur la mort
Retrouveras-tu jamais l’exaltation
De voir les cygnes nager sous la jetée
Rires et cris de joie quand ils plongent sur le pain
J’espère que nous sommes plus fort ces moments
Que nous-mêmes plus fort que les souvenirs
Toujours reliés en nous Espérons
Qu’ils nous aideront à repousser l’angoisse
Mon frère mon enfant qui t’éloignes
J’essaierai de me souvenir pour nous deux
Du moment où tu savais être si purement heureux
JE DIS AU REVOIR À MARS
En randonnée seul dans la Sierra Nevada
Je m’arrêtai un soir au bassin du Dragon
Au-dessus des derniers arbres près d’un ruisseau
Coulant d’une fissure dans le granit
Au fond de cette faille
De petites pelouses de mousse verdoyante
Sur les berges des krummholz bonzaïs
Groupés sur de petites cascades noires
Gouttes d’eau transparente brillante
Debout là je regardais
Au-dessus du bassin une main de pierre
En coupe attraper les pierres
Incrustée d’une tapisserie de plantes
De lichen de carex et de saxifrage
Humectant de vert les gravillons dénudés
Sous les crêtes déchiquetées déchirant le ciel
À côté du ruisselet je dressai le bivouac
Tapis de sol mousse sac de couchage
Sac à dos oreiller réchaud à mes pieds
Dans la lumière déclinante mon dîner fumant
Au gargouillis de l’eau sous le ciel
Les étoiles alors surgirent
Sur la crête des montagnes
La lueur rose du couchant ponctuant l’indigo
La ligne frémissante entre les couleurs
Réduites à deux nuances de noir
Myriade d’étoiles la Voie lactée
Articulant parfaitement ma chute dans le sommeil
Jamais ne me suis senti fatigué
De rêver les mêmes rêves
J’entendais les pierres chuter rouler tonner
Dans la gorge de ces montagnes vivantes
Quelque chose me réveilla je mis mes lunettes
Je regardai allongé les étoiles Perséides
Météores striant en tous sens la nuit étoilée
Entre deux battements de cœur
Vite lent long court loin près
Blancs parfois rougeâtres
Parfois semblant siffler freiner exploser
Projeter des ailes d’étincelles
Dans leur sillage Je regardai appuyé au granit
Fasciné par une pluie de météores
Comme je n’en ai jamais vu Les étoiles
Encore à leur place éclairant
Les murailles de granit fracturé
Du bassin tout de pâle blancheur
En même temps que les feux d’artifice
Un trait dans l’air juste au-dessus des pics
Gerbe d’étincelles au-dessus du Fin Dome
Une étoile plongea juste au-dessus de moi
Je poussai un cri m’assis et regardai
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