William Gibson - Mona Lisa s'éclate

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Mona Lisa s'éclate: краткое содержание, описание и аннотация

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Une nouvelle macroforme est apparue dans le Conurb :
. Un gigantesque empilement de biopuces capables de reconstituer tous les savoirs, toutes les données de l’univers. Un fantastique instrument de pouvoir !
Tous les pirates de cyberspace sont à sa recherche. Mais qui le détient réellement ? Bobby, un génie du logiciel ? Dame 3Jane, l’héritière clonée de l’empire Tessier-Ashpool ? Ou Angie, vedette de cinéma, fille du savant Mitchell, le célèbre créateur des biopuces ?
L’enjeu est de taille ! Ils l’ignorent encore mais celui qui, au risque de sa vie, saura se rendre maître de l’aleph possèdera les clés d’un monde nouveau, un monde au-delà de l’humanité…

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Il y avait eu une période où il était devenu incapable de se souvenir de quoi que ce soit.

C’était pour cela qu’il avait construit le Juge, parce qu’il avait fait des âneries – des vétilles, mais il s’était fait pincer, deux fois – et on l’avait jugé pour ça, et condamné, et puis la sentence avait été exécutée et il ne pouvait plus rien se rappeler, plus rien du tout, plus de cinq minutes d’affilée. Volé des voitures. Volé des voitures aux gens riches : c’était son seul souvenir. Ils s’arrangeaient pour qu’on n’oublie pas son forfait.

Maniant le manche à balai, il fit pivoter le Juge et l’envoya dans la salle voisine, par une allée entre deux rangées de socles en béton tachés d’humidité qui avaient autrefois supporté des tours et des postes de soudure à l’arc. Tout en haut, dans la pénombre des cornières poussiéreuses, pendaient des rampes d’éclairage mortes où nichaient parfois les oiseaux.

La Korsakov, c’était le nom du traitement qu’ils faisaient subir à vos neurones pour empêcher la mémoire à court terme de s’y imprégner. De sorte que le temps qu’on purgeait était du temps perdu, mais il avait entendu dire qu’ils ne l’appliquaient plus, du moins plus systématiquement, pour le vol qualifié. Les gens qui ne l’avaient jamais subie trouvaient ça plutôt sympa, la taule et ensuite on efface tout, mais ça ne marchait pas du tout ainsi. Quand il était sorti, quand ç’avait été terminé – trois années étirées en une longue et vague chaîne clignotante de terreur et de confusion découpée en intervalles de cinq minutes, et c’étaient moins des intervalles que des transitions dont on se souvenait… Quand ç’avait été terminé, il avait eu besoin de construire la Sorcière, le Hache-corps, puis les Enquêteurs et, finalement, aujourd’hui, le Juge.

Tandis qu’il guidait celui-ci pour lui faire gravir la rampe vers la salle où l’attendaient les autres, il entendit Gentry faire vrombir son moteur, dehors, sur la Chienne de Solitude.

Les gens mettaient Gentry mal à l’aise, songea la Ruse en se dirigeant vers l’escalier, et c’était réciproque. Les étrangers sentaient la Forme brûler derrière les yeux de Gentry ; son idée fixe déteignait sur tous ses actes. La Ruse ne savait pas du tout comment il se débrouillait lors de ses virées à la Conurb ; peut-être qu’il rencontrait simplement des gens aussi allumés que lui, des solitaires errant aux franges des marchés de la drogue et du logiciel. Le sexe ne semblait pas du tout le préoccuper, c’était au point que la Ruse n’arrivait pas à s’imaginer ses éventuels penchants au cas où la chose l’aurait soudain intéressé.

Pour la Ruse le sexe était le principal inconvénient de la Solitude, surtout l’hiver. L’été, parfois, il pouvait trouver une fille dans un bled pourri quelconque ; c’était d’ailleurs ce qui l’avait mené à Atlantic City et conduit à être le débiteur du Kid. Ces derniers temps, il avait fini par se dire que la meilleure solution était encore de se concentrer sur son travail mais, en grimpant l’escalier métallique branlant de la passerelle qui menait au domaine de Gentry, il se surprit à se demander à quoi pouvait ressembler Cherry Chesterfield sous toutes ses superpositions de vêtements. Il songeait à ses mains, si nettes et vives, mais cela lui évoqua aussitôt le visage inconscient de l’homme sur la civière, le tube introduit dans sa narine gauche, Cherry occupée à éponger ses joues creuses avec une serviette en papier ; l’image le fit grimacer.

— Eh, Gentry… lança-t-il dans le vide métallique de la Fabrique, je monte…

Il y avait trois choses chez Gentry qui n’étaient pas sèches, étroites et fines : ses yeux, ses lèvres et ses cheveux. Grands et pâles, ses yeux passaient du gris au bleu, selon la lumière ; ses lèvres étaient pleines et mobiles ; ses cheveux ramenés en arrière formaient une grande queue blonde ébouriffée qui oscillait lorsqu’il marchait. Sa minceur n’était en rien comparable à l’émaciation de l’Oiseau, résultat d’une alimentation carencée et de nerfs malades ; Gentry était simplement étroit de carrure, avec des muscles denses sans un gramme de graisse. Sa tenue était à l’avenant : cuir noir brodé de perles noires. Un style que la Ruse avait connu au temps où il faisait partie des Diacres bleus. Les perles, surtout, lui donnaient à penser que Gentry avait la trentaine : à peu près le même âge que lui.

Gentry le regarda passer la porte et déboucher sous l’éclat des dix ampoules de cent watts, en s’arrangeant pour bien lui faire comprendre qu’il était un nouvel obstacle entre lui et la Forme. Gentry était en train de déposer une paire de sacoches de moto sur la longue table d’acier ; elles semblaient lourdes.

La Ruse avait pas mal scié et soudé pour Gentry au cours de son premier été sur la Chienne de Solitude. Il avait découpé des panneaux de toiture, étayé là où c’était nécessaire, recouvert les trous de feuilles de plastique rigide, puis jointoyé au silicone les lucarnes ainsi ouvertes. Là-dessus, Gentry était arrivé avec un masque, un pulvérisateur et quatre-vingts litres de peinture au latex blanche ; il ne s’était pas soucié de nettoyer ou de dépoussiérer quoi que ce soit, appliquant simplement une épaisse couche de peinture sur toute la poussière, la crasse et les fientes de pigeon séchées, engluant en quelque sorte le tout, et repassant plusieurs couches jusqu’à ce que ce soit plus ou moins blanc. Il avait tout peint, sauf les lucarnes, puis la Ruse avait commencé à hisser au palan le matériel resté au rez-de-chaussée de la Fabrique : une petite cargaison d’ordinateurs, de consoles de cyberspace ; une vieille table d’holoprojection, énorme, qui avait failli faire péter le treuil ; des générateurs d’effets, et des douzaines de caisses en plastique ondulé pleines des milliers de fiches accumulées par Gentry dans sa quête de la Forme ; des centaines de mètres de fibre optique, sur leurs bobines en plastique flambant neuves, indice révélateur pour la Ruse de vol industriel. Et puis des livres, de vieux livres aux couvertures en toile collée sur du carton. La Ruse ne s’était jamais douté à quel point ça pouvait être lourd, des livres. Ils avaient une odeur triste, ces vieux bouquins.

— Tu tires encore plus d’ampères qu’avant mon départ, dit Gentry en ouvrant la première de ses deux sacoches, dans ta chambre. T’as mis un nouveau radiateur ?

Il se mit à fouiller rapidement dans le contenu du sac, comme s’il cherchait quelque chose de bien précis qu’il aurait mal rangé. Ce n’était pas le cas, pourtant, la Ruse le savait ; il masquait ainsi sa peur de sentir quelqu’un, même une connaissance, envahir son domaine à l’improviste.

— Ouais. Faut que je chauffe encore l’entrepôt. Fait trop froid pour bosser, sinon.

— Non, dit Gentry en levant brusquement la tête, ce n’est pas un radiateur dans ta chambre. L’intensité ne correspond pas.

— Non.

La Ruse sourit, tablant sur la théorie que le sourire incitait son interlocuteur à le prendre pour un idiot facile à mater.

— « Non » quoi, Henry la Ruse ?

— C’est pas un radiateur.

D’un geste sec, Gentry referma la sacoche.

— Tu me dis ce que c’est ou je te coupe le courant.

— T’sais, Gentry, j’serais pas dans le coin, t’aurais bien moins de temps pour… tes trucs.

La Ruse haussa les sourcils, d’un air entendu, en direction de l’encombrante table de projection.

— Le fait est que j’ai deux personnes installées chez moi… (Il vit Gentry se raidir, ses yeux pâles s’agrandir.) Mais tu les verras pas, tu les entendras pas, rien du tout.

— Non, dit Gentry, d’une voix crispée, en contournant la table, parce que c’est toi-même qui vas me les foutre dehors, pas vrai ?

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