Il prit une tranche sur le plateau offert. Ça avait un goût de citron et de noisette.
— Ça s’est bien conservé, étant donné les circonstances, fit-il remarquer, un peu pris de court. Où as-tu trouvé ça ?
En fait, cela venait d’une machine, dans un couloir tout proche. Son fonctionnement paraissait assez simple. Il y avait des centaines d’images différentes de choses à manger. Quand on en touchait une, on entendait un ronronnement bref et la nourriture tombait sur un plateau par une ouverture. Masklinn appuya sur quelques images au hasard et obtint plusieurs variétés de fruits, une espèce de légume qui couinait dans la main et un morceau de viande qui avait un goût proche du saumon fumé.
— Je me demande comment il fait ça ? s’interrogea-t-il à haute voix.
Une voix dans le mur derrière lui expliqua :
— Si je te parlais de démantelage moléculaire relayé par un réassemblage à partir d’une gamme étendue de matériaux de base, est-ce que tu comprendrais ?
— Non, reconnut franchement Masklinn.
— Eh bien alors, c’est la Science qui le fait marcher.
— Ah bon ? Oh ! ben, dans ce cas, c’est parfait. C’est bien toi, Truc, non ?
— Oui.
Mâchouillant sa viande/poisson, Masklinn regagna benoîtement la salle de contrôle et proposa un peu de nourriture à Angalo. Le grand écran ne montrait que des nuages.
— C’est pas là-dedans qu’on verra la carrière, constata-t-il.
Angalo tira légèrement un levier vers l’arrière. La sensation d’un poids accru régna brièvement.
Ils contemplèrent l’écran.
— Mince ! fit Angalo.
— Ça me rappelle quelque chose, observa Masklinn.
Il tapota ses vêtements jusqu’à ce qu’il retrouve la carte pliée, froissée qu’ils avaient emportée avec eux depuis le Grand Magasin.
Il l’étala et ses yeux allèrent de la carte à l’écran.
— Tu as la moindre idée de ce que ça peut être ?
— Non, mais je sais comment on en nomme certaines parties, répondit Masklinn. Celle-là, épaisse en haut et toute mince en bas, on l’appelle Amérique du Sud. Regarde, elle ressemble à la carte. Sauf qu’il devrait y avoir les mots « Amérique du Sud » écrits dessus.
— Mais je ne vois toujours pas la carrière.
Masklinn contempla l’image en face d’eux. Amérique du Sud. Grimma en avait parlé, non ? C’est là que vivaient les grenouilles dans leurs fleurs. Elle avait dit que, quand on connaissait l’existence de choses comme les grenouilles qui vivent dans des fleurs, on n’était plus le même.
Il commençait à comprendre ce qu’elle avait voulu dire.
— Laissons tomber la carrière un moment, dit-il. Ça peut attendre.
— Nous devrions aller là-bas le plus vite possible, pour le bien de tous.
Masklinn y réfléchit un instant. C’était la vérité, il devait le reconnaître. N’importe quoi pouvait arriver en ce moment, chez eux. Il fallait ramener le Vaisseau rapidement, pour le bien de tous.
Et puis, il se dit : J’agis depuis longtemps pour le bien de tous. Pour une fois, une seule, je vais faire quelque chose pour mon propre compte. Je ne crois pas que nous réussissions à trouver d’autres gnomes avec ce Vaisseau, mais au moins, des grenouilles, je sais où en trouver.
— Truc, dit-il, conduis-nous en Amérique du Sud. Et sans discussion.
Grenouilles :Certains pensent qu’il est important de connaître les grenouilles. Elles sont petites et toutes vertes, parfois jaunes, et elles ont quatre pattes. Elles coassent. Les petites grenouilles s’appellent des têtards. À mon avis, c’est tout ce qu’on a besoin de savoir sur les grenouilles.
Encyclopédie scientifique pour l’édification des jeunes gnomes curieux, par Angalo de Konfection
Repérez une planète bleue…
Mise au point
Voici une planète. Sa surface est en majorité couverte d’eau, mais on l’appelle quand même la Terre.
Repérez un pays…
Mise au point
… sous le soleil, du bleu, du vert et du brun, et de longues traînées de nuages que déchiquettent les montagnes…
Mise au point
… sur une montagne, verte et ruisselante, et voici un…
Mise au point
… arbre, chargé de mousse et couvert de fleurs et…
Mise au point
… sur une fleur qui contient une petite mare. C’est une broméliacée épiphyte.
Ses feuilles – mais ce pourrait être des pétales – frémissent à peine quand trois minuscules grenouilles très dorées se hissent à leur hauteur et contemplent avec stupeur l’eau fraîche et claire. Deux d’entre elles regardent leur chef, attendant de lui une déclaration historique à la mesure de l’événement.
Ce sera « .-.-.mipmip.-.-. ».
Puis elles se laissent glisser le long de la feuille jusque dans l’eau.
Si les grenouilles savent faire la différence entre le jour et la nuit, leurs notions de temps restent assez floues. Elles savent que certains événements se produisent après d’autres. Des grenouilles vraiment intelligentes peuvent se demander si quelque chose empêche que tout se passe simultanément, mais ça ne va jamais plus loin.
Aussi, il est difficile de savoir, d’un point de vue de grenouille, combien de temps s’écoula avant qu’une nuit inhabituelle tombe en plein milieu de la journée…
Une grande ombre noire se déplaça au sommet des arbres et s’arrêta. Au bout d’un moment, on perçut des voix. Les grenouilles les entendirent, bien qu’elles ne sachent pas ce qu’elles disaient, ni même ce qu’elles étaient. Ce n’était pas le genre de voix dont les grenouilles avaient l’habitude.
Ce qu’elles entendirent, ce fut à peu près ceci :
— Y en a combien de montagnes, enfin ? Franchement, c’est ridicule ! Il n’y a pas besoin d’en avoir autant ! Moi, je dis que c’est du gaspillage. Une seule aurait largement suffi. Une montagne de plus et je deviens fou. Et il va falloir en fouiller encore combien ?
— Moi, elles me plaisent.
— Et certains de ces arbres n’ont pas la bonne taille.
— Eux aussi, ils me plaisent, Gurder.
— Et je n’ai pas confiance quand c’est Angalo qui conduit.
— Je crois qu’il s’améliore, Gurder.
— En tout cas, j’espère qu’il n’y aura plus d’aéroplanes pour nous tourner autour, c’est tout.
Gurder et Masklinn se balançaient dans un panier grossier fait de bouts de métal et de fil de fer. Il était suspendu sous une écoutille carrée béant sous le Vaisseau.
Il y avait encore d’immenses pièces du Vaisseau qu’ils n’avaient pas encore explorées. On trouvait partout des engins bizarres. Le Truc avait dit que le Vaisseau servait à l’exploration.
Masklinn n’avait pas très confiance. Il y avait sûrement des machines capables de descendre et de remonter facilement le panier, mais il avait préféré nouer la corde autour d’un pilier du Vaisseau et, avec l’aide de Pionn resté à l’intérieur, monter et descendre le panier à la pure sueur de fronts gnomiques.
Le panier se cogna doucement contre la branche de l’arbre.
Le problème, c’était que les humains refusaient de les laisser en paix. Dès qu’ils trouvaient une montagne prometteuse, aéroplanes et hélicoptères commençaient à bourdonner autour d’eux, comme des mouches autour d’un aigle. Ça les empêchait de se concentrer.
Masklinn regarda la branche. Gurder avait raison. Ce serait leur dernière montagne, il le fallait.
Mais il y avait des fleurs ici, aucun doute sur ce point.
Il rampa le long de la branche jusqu’à atteindre la première fleur. Elle était trois fois plus grande que lui. Il trouva un appui pour poser le pied et se hissa.
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