— Je me sens très bien, très bien, marmonna Masklinn. Personne ne m’a fait aucun mal.
— Tu as une mine épouvantable.
— On aurait dû discuter avec eux, Gurder, dit Masklinn. Ils ont vraiment besoin de nous.
— Tu es certain que tu te sens bien ? demanda Gurder en le considérant d’un air soucieux.
La tête de Masklinn semblait bourrée de coton.
— Tu sais, tu croyais en Arnold Frères (fond. 1905) ? parvint-il à articuler.
— Oui, répondit Gurder.
Masklinn lui adressa un sourire triomphal et fou.
— Eh bien, lui aussi, il croyait en toi ! Qu’est-ce que t’en dis ?
Et Masklinn se ratatina sur lui-même, tout doucement.
Le Vaisseau : La machine utilisée par les gnomes pour quitter la Terre. Nous ne savons pas encore tout ce qu’il faut en savoir, mais nous y parviendrons un jour, parce qu’il a été construit par des gnomes qui se servaient de la Science.
Encyclopédie scientifique pour l’édification des jeunes gnomes curieux, par Angalo de Konfection
La rampe se rembobina. La porte se ferma. Le Vaisseau s’éleva dans les airs jusqu’à être très haut au-dessus des bâtiments.
Et il resta là, tandis que le soleil se couchait.
Au-dessous, les humains essayèrent de lui envoyer des faisceaux de lumières colorées, de lui jouer des morceaux de musique et, pour finir, de s’adresser à lui dans toutes les langues connues de l’homme.
Il parut ne rien remarquer.
Masklinn se réveilla.
Il se trouvait sur un lit très inconfortable. Un lit tout mou. Masklinn avait horreur de dormir sur plus mou que le sol. Les gnomes du Grand Magasin aimaient utiliser de jolies pièces de moquette pour leur sommeil, mais Masklinn avait préféré employer un morceau de bois à cet effet. Comme couverture, il s’était servi d’un bout de chiffon, en se répétant qu’il sombrait dans le luxe.
Il se redressa sur son séant et considéra la pièce. Elle était plutôt vide. Le lit, une table et une chaise.
Une table et une chaise.
Dans le Grand Magasin, les gnomes s’étaient fabriqué des meubles à base de boîtes d’allumettes et de bobines de coton ; quant aux gnomes qui vivaient Dehors, la notion même de meuble leur était inconnue.
Ceux-ci ressemblaient à des meubles d’humains, mais ils étaient à l’échelle des gnomes.
Masklinn se leva et traversa pieds nus le sol métallique jusqu’à la porte. Une porte à la taille d’un gnome, là aussi. Un passage construit par des gnomes pour que des gnomes l’empruntent.
Elle débouchait sur un couloir bordé de portes. Tout cela dégageait une impression de grand âge. Non qu’il soit poussiéreux ou sale. Mais il en émanait l’atmosphère d’un endroit qui est resté propre pendant très très longtemps.
Un objet se dirigea vers lui en ronronnant. C’était une petite boîte noire, ressemblant un peu au Truc, mais montée sur de petites chenilles. Une petite brosse rotative installée sur le devant balayait les saletés pour les faire entrer par une fente. Enfin… Elle les aurait balayées s’il y en avait eu. Masklinn se demanda combien de fois l’objet avait industrieusement nettoyé ce couloir, en attendant le retour des gnomes…
L’objet se cogna contre son pied, lui adressa un bip avant de partir dans la direction opposée avec un air affairé. Masklinn le suivit.
Au bout d’un moment, il croisa un deuxième engin. Il se déplaçait au plafond avec un léger cliquetis, et le nettoyait.
Masklinn tourna au coin du couloir et faillit percuter Gurder.
— Tu es debout !
— Oui. Heu ! On est à bord du Vaisseau, c’est ça ?
— C’est invraisemblable… ! commença à dire Gurder.
Il avait les yeux fous et ses cheveux étaient dressés sur sa tête.
— Je veux bien le croire, lui dit Masklinn pour le calmer.
— Mais y a plein de… Et puis y a d’énormes… et puis, mais alors, vraiment d’énormes… Et tu ne me croirais pas si je te disais la largeur que… et y a tant de…
La voix de Gurder s’éteignit. Il avait l’air d’un gnome qui devra apprendre des mots nouveaux avant de pouvoir décrire les choses.
— C’est trop grand ! éclata-t-il enfin. (Il saisit Masklinn par le bras.) Allez, viens, dit-il.
Et il commença à descendre le couloir, en courant presque.
— Comment êtes-vous montés ? lui demanda Masklinn en tentant de rester à sa hauteur.
— C’était incroyable ! Angalo a touché une espèce de panneau et ça a coulissé et on s’est retrouvés à l’intérieur, et y avait une espèce d’ascenseur et on a abouti dans une grande pièce immense où y avait un siège, alors Angalo s’est assis et tout un tas de lumières se sont allumées et il a commencé à appuyer sur des boutons et à remuer des bidules !
— Tu n’as pas essayé de l’en empêcher ?
Gurder leva les yeux au ciel.
— Tu connais Angalo, dès qu’il y a des machines. Mais le Truc essaie de le persuader d’être raisonnable. Sinon, on serait déjà en train de se cogner contre les étoiles, ajouta-t-il sur un ton sinistre.
Il le guida à travers une nouvelle arche dans…
Bon. C’était forcément une pièce, puisqu’on se trouvait à l’intérieur du Vaisseau. Heureusement que je sais ça, songea Masklinn, parce que sinon, je me serais cru Dehors. Elle s’étendait à perte de vue, aussi vaste qu’un rayon du Grand Magasin.
Des écrans immenses et des panneaux à l’aspect compliqué couvraient les murs. La plupart étaient éteints. De noires ténèbres s’étendaient en tous sens, à l’exception d’une petite flaque de lumière au beau milieu de la pièce.
Elle éclairait Angalo, presque perdu sur son grand fauteuil capitonné. Le Truc se trouvait devant lui, posé sur un panneau de métal incliné, constellé de boutons. Ils étaient de toute évidence en pleine dispute – lorsque Masklinn entra, Angalo lui jeta un regard furieux et s’indigna :
— Il ne veut pas faire ce que je lui dis de faire !
Le Truc se fit aussi compact, noir et cubique que possible.
— Il veut piloter le Vaisseau, dit-il.
— Tu es une machine ! Tu dois faire ce qu’on te dit ! s’écria Angalo.
— Je suis une machine intelligente et je ne tiens pas à me retrouver aplati au fond d’un trou très profond, déclara le Truc. Tu n’es pas encore capable de piloter le Vaisseau.
— Qu’est-ce que tu en sais ? Tu refuses de me laisser essayer ! J’ai pourtant bien conduit le Camion, non ? C’est pas ma faute si tous les arbres et les feux rouges et tout ça se mettaient en travers de mon chemin, ajouta-t-il après avoir surpris le regard que lui jeta Masklinn.
— Je présume que le Vaisseau est un tantinet plus compliqué, suggéra Masklinn, diplomate.
— Mais j’apprends sans arrêt. C’est facile. Tous les boutons portent de petits dessins. Regarde…
Il appuya sur un bouton.
Un des grands écrans s’alluma, montrant les foules d’humains à l’extérieur du Vaisseau.
— Ils attendent depuis une éternité, expliqua Gurder.
— Mais qu’est-ce qu’ils veulent ? s’étonna Angalo.
— Tu m’en demandes trop, répondit Gurder. Qui peut savoir ce que veulent les humains ?
Masklinn contempla la foule au-dessous du Vaisseau.
— Ils ont essayé plein de choses, expliqua Gurder. Des lumières qui clignotent, de la musique et tout et tout. Et la radio aussi, c’est le Truc qui dit ça.
— Vous n’avez pas essayé de leur répondre ? demanda Masklinn.
— Non. J’ai rien de spécial à leur dire, répondit Angalo.
Il toqua avec les phalanges contre le Truc.
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