Joan Vinge - La reine des neiges

Elle le toucha enfin, sentit à son contact une décharge électrique remonter dans son bras.

Il se détacha brutalement, comme si elle l’avait brûlé.

— Espèce de garce ! Fiche-moi la paix, Arienrhod, ce n’est pas drôle, ça ne l’a jamais été !

Il retourna dans le couloir. Moon le suivit dans la lumière, en essayant à tâtons de dégrafer son collier.

— Sparks ! Regarde-moi ! (La fermeture s’ouvrit, le collier tomba dans ses mains.) Regarde-moi !

Il se retourna, de mauvaise grâce ; elle porta une main à sa gorge. Il revint vers elle, en clignant des yeux. Elle vit toute couleur disparaître d’un seul coup de son visage.

— Non ! Dieux, non… elle est morte. Tu es morte ! Je t’ai tuée !

Il la montrait du doigt en s’accusant.

— Non, Sparks. Je suis vivante, s’écria-t-elle en lui prenant une main pour la tirer, la poser sur son épaule. Vivante ! Touche-moi, crois-moi… Tu ne m’as pas fait de mal.

Ou si tu m’en as fait, je ne m’en souviens plus.

Il cessa de résister, sa main se referma lentement sur l’épaule de Moon, glissa le long de la manche jusqu’au poignet. Il baissa brusquement la tête.

— Ah, mes mille dieux… Pourquoi es-tu venue ici, Moon ? Pourquoi ? cria-t-il farouchement, avec angoisse.

— Pour te trouver. Parce que tu avais besoin de moi. Parce que j’ai besoin de toi… parce que je t’aime. Je t’aime…

Elle le prit dans ses bras, appuya la tête contre son torse. Mais il lui dénoua les bras, la repoussa brutalement.

— Ne me touche pas ! Ne me touche pas !

Moon trébucha, secoua la tête. Elle se plaqua les mains sur les joues et sentit vaguement la douleur de sa meurtrissure.

— Sparks, je… Parce que je suis une sibylle ? Mais ça n’a pas d’importance, Sparks ! Je suis allée en extramonde depuis, j’ai appris la vérité sur les sibylles. Je ne te contaminerai pas. Tu n’as pas à avoir peur de me toucher. Nous pouvons être ensemble comme nous l’avons toujours été.

Il la regarda fixement, ostensiblement incrédule.

— Comme nous étions ! Deux simples petits Étésiens, empestant le poisson, avec nos filets qui sèchent au soleil ? (Elle hocha la tête, en hésitant, sentant son cou résister au mouvement menteur.) Et je ne dois pas avoir peur que tu me contamines ! (Nouveau hochement de tête, sincère.) Et si je te contaminais, moi ? Hein ?

Il se frappa la poitrine, la força à le voir comme il voulait être vu : en chemise de satin feu aux élégants crevés, montrant des rubans de peau entre les rubans de soie, avec de lourds bijoux au cou et aux poignets, semblables à des chaînes d’esclave, en culotte serrée qui ne laissait rien ignorer.

— Tu… tu es encore plus beau que dans mes souvenirs.

Elle disait la vérité, noyée par une soudaine vague de désir qui l’effraya. Il se couvrit les yeux.

— Tu ne sais donc pas ? Pourquoi ne veux-tu pas comprendre, dieux des dieux ? C’est moi que tu as vu sur cette plage, qui tuais les ondins ! Je suis Starbuck… tu ne sais pas ce que ça veut dire, ce que je suis ?

— Je le sais, murmura-t-elle, la voix brisée. ( Un assassin, un menteur… un inconnu. ) Je sais ce que ça veut dire, Sparks, mais ça m’est égal. (Parce que le prix qu’elle avait payé pour cet instant était bien trop élevé pour des ruines et des cendres.) Tu ne le vois pas ? Ça m’est égal, ce que tu as vu, ou fait, ou été… maintenant que je t’ai trouvé, ça n’a plus d’importance pour moi.

Le temps, la mort, le passé n’existent pas, à moins que je les laisse nous séparer.

— Pas d’importance ? Ça ne te fait rien que je sois l’amant d’une autre depuis cinq ans ? Ça ne te fait rien, le nombre d’ondins sacrés de la Dame que j’ai massacrés pour rester éternellement jeune avec elle ? Ça ne te fera rien d’apprendre où je suis allé aujourd’hui avec le produit de notre dernière Chasse, ni ce qui va arriver dans quelques heures, à cause de ça, à ton peuple puant le poisson ? Ton peuple et le mien ? Et ça ne te fait rien du tout que je sois Starbuck ?

Il la saisit par le bras, le tordit. Elle recula, partagée entre le dégoût et la colère, incapable de répondre ni même de se débattre quand il la traîna dans le couloir.

Il s’arrêta devant une porte, frappa la serrure de la main, ouvrit d’un coup de pied et la tira à l’intérieur. Une vive lumière blessa les yeux de Moon. Il referma la porte, la verrouilla avec ses empreintes. Moon trouva son reflet sur tous les murs. Elle leva les yeux et se vit au plafond la tête en bas ; elle les baissa trop vite et chancela dans les bras tendus de Sparks. Il lui sourit, mais c’était un sourire qu’elle ne lui avait jamais vu et qui lui glaça le sang.

— Sparks… Qu’est-ce que c’est que cette pièce ?

— Qu’est-ce que tu crois, cousine ?

Il la retourna entre ses bras pour lui faire voir l’immense lit au centre. Elle voulut se débattre mais il la serra plus fort et chercha à lui prendre un sein.

— Ça fait longtemps pour toi, hein, ma jolie ? J’ai bien vu ça quand tu m’as regardé là dehors. Ainsi, tu as fait tout ce chemin pour être la maîtresse de Starbuck, hein ? Ma foi, de toutes les manières que tu voudras, mon chou…

Il ouvrit brusquement sa chemise et elle vit des cicatrices, comme de minces vers blancs le long de ses côtes.

— À ton service.

— Ah ! notre Dame, non…

Elle lui mit une main sur le flanc pour cacher ces traces.

— Non ? Alors nous ferons ça vite fait et sans complications, comme les Étésiennes en ont l’habitude.

Il la traîna vers le lit et l’y poussa, puis il la cloua de son corps au matelas. Elle garda les lèvres serrées sous sa bouche, résista à ses baisers grossiers, ravala un cri quand il lui serra douloureusement un sein.

— Ça ne devrait pas être bien long, marmonna-t-il en tâtonnant sur la fermeture de son pantalon, sans la quitter des yeux un instant.

— Sparks ! Ne fais pas ça ! Tu ne le veux pas, dit-elle en arrivant à dégager une de ses mains pour lui caresser la figure avec une tendresse désespérée. Et je ne…

— Alors pourquoi est-ce que tu ne luttes pas, bons dieux ? cria-t-il et il la secoua avec violence. Contamine-moi, sibylle ! Prouve que tu es quelque chose que je ne pourrai jamais être ! Bats-moi, mords-moi, fais-moi saigner… rends-moi fou !

— Je ne veux pas te faire de mal.

Elle leva les yeux vers son propre visage au plafond. Les cheveux de flamme de Sparks, son corps la recouvraient et elle ne voyait que la figure de Taryd Roh qui s’affaissait, ses yeux qui se voilaient, et puis l’image de Sparks identique… trop facile, trop facile ! Elle respira profondément.

— Je le peux ! Crois-moi, je le peux. Je peux te rendre fou. Mais je ne veux pas te faire de mal. (Elle ferma les yeux, se détourna, sentit le poids du corps de Sparks l’étouffer.) Elle t’a fait assez de mal à cause de moi.

Les yeux opaques, un mur, il lui saisit le menton et la tourna vers lui.

— Ne gaspille pas ta pitié avec moi, sibylle, parce que tu n’en recevras pas en échange. Tu es avec Starbuck. Tu voulais Starbuck et il n’y a rien au monde de plus vil que lui.

Mais cette fois, ce fut Sparks qui baissa les yeux sous le regard de Moon et elle comprit soudain que même s’il avait voulu aller jusqu’au bout, son propre corps s’y était refusé.

— Je voulais Sparks ! Et je l’ai trouvé. Tu ne portes pas de couronne de pointes, pas de masque noir, il n’y a pas de sang sur tes mains. Tu n’es pas Starbuck ! Jette-les, Sparks, tu n’as plus besoin de les porter.

— Je ne suis pas Sparks ! Et tu n’es même pas Moon…