BZ resta sans voix, éperdu d’admiration.
— Je me sens idiote, BZ, dit-elle en secouant la tête, plus radieuse que jamais.
— Ma dame… (Comme un seigneur de l’Empire, il lui prit la main, l’effleura de son front. Et reine des pieds à la tête. ) Devant toi, je m’agenouillerais avec joie.
Moon sourit sans comprendre. C’était son sourire à elle, pas celui d’Arienrhod.
— Qu’est-ce que tu en penses, Herne ? demanda fièrement Persiponë qui portait sur le bras la tunique de nomade de Moon. Est-ce qu’elle passera ?
— C’est toi qui lui as fait ça ?
Elle haussa modestement une épaule.
— Oh… Pollux m’a donné un coup de main. Il a bon goût, pour une mécanique.
Herne posa sa bouteille par terre.
— Arienrhod n’aime pas cette couleur… Mais elle passera. Dieux, oui, elle passera ! Venez, Majesté.
Il tendit les mains. Gundhalinu fronça les sourcils, sans lâcher Moon.
— Ne l’appelez pas comme ça !
— Il vaut mieux qu’elle s’habitue. Je ne vous ferai pas de mal, bons dieux ! Je ne vous toucherai même pas… Laissez-moi simplement vous regarder un moment.
Il laissa retomber ses mains. Moon lâcha celle de Gundhalinu et s’avança. Elle se retourna lentement, gênée par sa jupe mais plus par le regard de Herne. Il la dévora des yeux, la consuma, mais elle attendit avec une patiente dignité, sans protester, en permettant sans subir. Le moment s’éternisa et Gundhalinu observa, sans pouvoir analyser ses sentiments. Il se crispa quand Herne se leva brusquement, vacilla… et retomba lourdement, péniblement sur un genou devant Moon.
— Arienrhod…
Il murmura quelque chose, que personne n’entendit à part elle. Gundhalinu jeta un coup d’œil à Persiponë qui ouvrait de grands yeux, aussi stupéfaite que lui. Elle fit le geste de la folie, secoua la tête.
— Je sais, Starbuck, dit Moon avec pitié et elle aida Herne à se rasseoir sur le lit en le hissant avec une force très peu royale.
Herne se détourna en se rappelant soudain qu’il avait un public ; sa figure se durcit.
— Tu as eu tort, Marchalaube… Quand j’étais à terre, tu aurais dû me donner des coups de pied. Arienrhod a horreur des perdants, dit-il avec un plaisir masochiste. Maintenant, écoutez bien, pendant que je vous dis le reste.
— Vous avez toujours l’intention de l’aider dans cette entreprise ? demanda Gundhalinu avec indignation.
Herne eut un sourire énigmatique.
— C’est à la porte du chasseur que le gibier est le plus en sécurité. Vous devriez savoir ça, Bleu.
Moon se retourna, prise entre deux expressions. Ou bien as-tu simplement peur de le lui refuser ? Gundhalinu soupira ; cela lui fit mal dans la poitrine.
— Alors, ce sera parce que je suis le portier.
Moon sourit et il ne vit rien d’autre.
— Ah ! mon pauvre dos !
Tor s’étira dans l’intimité du magasin du casino. Les mots résonnèrent sur les murs nus ; il n’y avait presque plus de provisions et les clients faisaient de leur mieux pour achever de vider la pièce.
— Allez, Pollux, sors-moi de là cette dernière caisse de tlaloc avant qu’ils aient la langue noire. (Elle bâilla et entendit dans sa tête le craquement de ses mâchoires. Vide ? ) Je perds enfin la raison !
— Tu as raison, Tor.
Lourdement, Pollux traversa la pièce, obéissant comme un chien fidèle. Elle pouffa, ivre de fatigue.
— Je jurerais que tu fais ça exprès ! C’est pas vrai ? Tu peux me dire…
— Tu as raison, Tor.
Pollux heurta la caisse. Tor perdit le sourire, ses émotions dégringolèrent de leur altitude.
— Ah, merde, Polly, qu’est-ce que je vais devenir sans toi ? Tu vas vraiment me manquer, espèce de vieux tas de ferraille ! Il n’y a que deux choses qu’Oyarzabal peut faire pour moi que tu ne peux pas, et une fois que j’aurai quitté ce caillou, il n’en restera qu’une… que n’importe quel homme peut me donner. Pas étonnant qu’il soit jaloux.
Elle remit sa perruque d’aplomb, rit tristement. Oyarzabal lui avait dit qu’il l’épouserait uniquement si elle acceptait d’abord de se débarrasser de Pollux. Elle avait dit oui et senti qu’un nouveau maillon se forgeait dans la chaîne qu’il façonnait pour faire d’elle son esclave. Il veut ce que je suis… alors pourquoi essaie-t-il de le changer ? Elle repoussa sa perruque, la remit d’aplomb.
— Zut, qui est-ce qui va me garder propre, d’abord ? Trimballer des caisses, transformer les mangeuses de poisson étésiennes en reines, c’est tout un pour toi, hein ? Tu ne te poses jamais de questions sur toi-même, Pollux ? Est-ce que tu peux vraiment faire tout ça sans jamais te demander comment ni pourquoi ? Ou si la gosse va sauver son amant des griffes de la reine, ou si elle est folle de vouloir une ordure comme Sparks Marchalaube ?
La tête sans visage du robot la contempla avec un simulacre d’attention mais il ne dit rien. Elle lui montra le poing.
— Aaaah ! Je dois vraiment avoir perdu l’esprit. Tu ne sais même pas que je suis ici ; qu’est-ce que ça pourra te faire que je n’y sois plus ? Alors pourquoi est-ce que je m’inquiète ? (D’un coup de pied rageur, elle écarta un carton vide de son chemin.) Quand tu en auras fini avec ça, reviens chercher le dernier baril de sève fermentée, et installe-le pour Herne.)
Pour Starbuck. Le vieux Starbuck et le nouveau Starbuck ; je les connais tous les deux. Et la jumelle de la reine. Grâce aux dieux, je vais bientôt quitter Escarboucle, avant de me mettre à marcher à reculons.
Arrivée à la porte, elle entendit des voix dans la pièce de l’autre côté du couloir, celle dont la porte était aussi discrètement verrouillée que la chambre forte de la banque de Newhaven, celle qu’elle n’avait jamais ouverte. Mais, en ce moment, ses voyants étaient verts, elle n’était pas gardée et même légèrement entrouverte et elle reconnut une des voix, celle d’Oyarzabal. Pollux s’éloignait dans le couloir dans un fracas métallique, sans faire attention, et elle traversa impulsivement pour aller pousser la porte.
Une demi-douzaine de têtes se tournèrent vers elle, tous des hommes, tous des extramondiens. Elle en reconnut immédiatement trois, des lieutenants de la Source ; Oyarzabal s’approcha, irrité et même légèrement affolé.
— J’avais dit de verrouiller cette porte ! gronda un des inconnus.
— Ça ne risque rien, c’est elle qui dirige cette boîte, elle est au courant de tout, répliqua Oyarzabal et il chuchota à Tor : Qu’est-ce que tu fais là ?
Elle le prit par le cou, étouffa ses protestations sous un baiser mouillé.
— J’ai faim de mon homme, c’est tout.
Et s’il y a une chose que je ne supporte pas, c’est une porte verrouillée.
— Merde, Persiponë ! Pas maintenant, grommela-t-il en se dégageant. Nous avons à faire un gros travail pour la Source, ici en ville. Plus tard, je…
— Quelque chose pour la reine ?
— Comment le sais-tu ?
Un ballon d’essai…
— Ma foi… Tu viens de dire que je suis au courant de tout, dit-elle en lui faisant une grimace qu’il ne vit pas. Je ne veux pas te faire mentir. J’ai vu Starbuck rendre visite à la Source, aujourd’hui, alors j’ai pensé que la reine l’avait envoyé, dit-elle, marquant un autre point.
— Tu sais aussi qui est Starbuck ?
— Bien sûr. Je suis hivernienne, n’est-ce pas ? Et je travaille pour la Source, tout comme toi, répliqua-t-elle en le regardant en face. Alors de quoi s’agit-il ? Qu’est-ce que la reine achète, une dernière surprise pour sa soirée d’adieu ? Tu peux me le dire. Je suis ta femme, presque.
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