Joan Vinge - La reine des neiges

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Après cent cinquante ans de règne, la belle Arienrhod, la Reine des Neiges et de l'Hiver, n'est pas encore lasse du pouvoir. Et pourtant voici que vient le temps de l'Été et des Étésiens. Alors Arienrhod a recours à de secrets clonages... Des êtres naîtront en qui elle pourra se réincarner.
Ce redoutable rôle échoit à Moon, une toute jeune Étésienne pour qui n'ont existé jusqu'ici que les joies de la mer et l'amour de son cousin Sparks…
C'est à elle qu'apparaît la Sybille, porte-parole de la Reine, pour lui annoncer les épreuves qu'il lui faut affronter.
Et Moon est précipitée, seule, dans une autre Galaxie… Reverra-t-elle jamais Sparks ?

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— Je n’arrive pas à y croire… Moon… Moon ne ressemble à personne. Elle n’a rien d’Arienrhod ! Elle est pleine de tendresse, de pitié, de compassion pour tous et tout… et chacun le sent en elle. S’il y a la moindre étincelle d’honnêteté ou de noblesse dans un être, elle en fait un brasier. Tout le monde l’adore, on ne peut s’en empêcher.

— Pour l’amour des dieux, BZ, personne n’est aussi parfait !

— Si, elle. Allez simplement lui parler.

— Je ne veux même pas la regarder, si elle est tout ce que tu prétends. Pas étonnant qu’on dise que l’amour est aveugle… Ta perspective est désynchrone, BZ, c’est tout. Tu as besoin d’un solide repas et de beaucoup de sommeil, et de temps pour te rendre compte que tu es de retour dans le monde auquel tu appartiens.

D’un geste brusque, il frappa le plateau d’instruments qui tressautèrent et scintillèrent.

— Ne me traitez pas avec condescendance ! Je sais ce que je suis et ma place n’est plus ici ! Je ne suis pas digne d’être inspecteur de police, je ne suis pas digne d’appartenir à l’espèce humaine. Tout ce que je veux, c’est tenir la seule promesse que je suis encore capable de tenir, à la seule personne qui ne se moque pas de ce que je suis devenu. Et, maintenant, vous venez me dire qu’elle est un monstre, que je dois l’empêcher d’avoir ce qu’elle veut alors que c’est presque dans ses mains !

— Je te dis que ton devoir d’officier de police est de protéger l’Hégémonie. Elle doit passer en premier. Tu ne peux pas tourner la loi selon tes convenances personnelles. Ça ne marche pas ( et je suis bien placée pour le savoir ) .

— Alors je démissionne.

— Je n’accepte pas ta démission. Tu n’es pas en état de la donner et tu es trop précieux pour moi. J’ai besoin de tous mes hommes, jusqu’à ce que le dernier vaisseau décolle. (Elle savait en le disant qu’il y avait beaucoup plus que cela en jeu : une carrière, la fierté d’un homme, peut-être même sa vie.) Écoute-moi, BZ, je t’en prie. Tu sais que je ne t’aurais pas dit tout cela si je ne le croyais pas. Arienrhod est un danger ! ( Et un monstre et une maladie. ) Elle est une menace pour l’Hégémonie, alors Moon aussi. Et Starbuck est un dangereux assassin, qui a tué ce qu’était Sparks Marchalaube aussi sûrement qu’il a tué mille ondins. Réfléchis, BZ, pense à ça ! Tu es encore un bon policier, tu ne peux pas nier que tu négliges ton devoir. Et tu ne rends pas service à Moon en la leur livrant.

De la raison parut revenir dans les yeux de Gundhalinu ainsi qu’une sombre résolution. Reste avec moi, BZ.

Moon reparut sur le seuil, la figure crispée de dépit et de déception. Derrière elle, Sirus quittait l’antichambre. Jerusha pesta tout bas mais vit avec soulagement que l’expression de Gundhalinu ne changeait pas.

— BZ, chuchota-t-elle, inutile que ce soit toi. Je la ferai arrêter par quelqu’un d’autre. Reste ici et fais-toi soigner. Tu as besoin de repos et…

— Je le ferai.

Il glissa de la table, vacilla un peu sur ses jambes et rassembla ses forces pour faire son devoir.

— On m’a déjà soigné. Je vais bien, commandant. Je dois le faire maintenant, avant de changer d’idée.

Ses taches de rousseur ressortaient comme des étoiles, d’un blanc anémique sur sa peau foncée.

Moon le regarda, fit quelques pas et s’arrêta.

— BZ… ?

— Moon, fit-il d’une voix douce. Moon, vous êtes en état d’arrestation.

36

Moon était blottie tout au bord du siège, collée à la vitre arrondie, tandis que la navette sortait sans bruit de la station de l’astroport. Il y avait une poignée d’autres gens dans le véhicule, en majorité des techniciens quittant leur service et allant rejoindre en ville la foule du Festival. Escarboucle… Elle arrivait au bout du si long voyage, qui lui avait tant coûté. Elle regardait droit devant elle dans l’obscurité traversée d’une progression d’anneaux d’or palpitants et clignait des yeux chaque fois que la navette franchissait un cercle comme une aiguille… elle clignait sans cesse des yeux pour garder la vue claire. Trahie. Trahie !

En proie à une rage impuissante, elle se tordait les mains et sentait les froides menottes s’enfoncer dans ses poignets. Gundhalinu était assis à côté d’elle ; ils étaient séparés par un infranchissable gouffre de trahison et de Devoir. Elle se demandait ce que cette femme lui avait dit ou s’il avait toujours eu cette intention. Elle se détourna vivement en voyant qu’il l’observait. Il y avait de la détresse dans ses yeux, ils étaient doux et compatissants, ce n’était pas l’acier sans miséricorde de l’inspecteur Gundhalinu, contre lequel elle aurait pu riposter avec une rage bien franche. Elle ne supportait pas de voir sa douleur, elle avait peur de s’y perdre, de se laisser attirer dans le souvenir de ces yeux trop humains qui lui caressaient la figure à l’aube, qui la désiraient, qui demandaient sans jamais exiger… le souvenir de son propre regard quand elle avait failli répondre… presque…

Qu’il souffre ! Sale menteur, salaud, j’avais confiance en vous. Comment pouvez-vous me faire ça ? Elle se tapait le front contre la vitre, en cadence. Il l’emmenait en prison ; et dans quelques jours, les siens l’emmèneraient de ce monde à jamais, il l’abandonnerait à un exil éternel sur une autre planète. Il avait même menti à Pala-Thion en racontant qu’il avait été soigné, afin de se charger lui-même de cette mission. Et elle l’avait entendu se porter volontaire – oui, volontaire ! – pour arrêter aussi Sparks, pour faire pénitence en laissant son unique amour être inculpé de meurtre et jeté dans une colonie pénitentiaire dans un monde d’enfer, jusqu’à la fin de ses jours… si on le trouvait à temps. Et si on ne le trouvait pas…

Elle avait tout dit au Premier secrétaire Sirus en essayant de ne pas le détester, et elle avait vu l’écho lumineux d’un temps lointain, en ce même monde, qui paraissait émaner de lui quand elle lui parlait de son fils, de la médaille portant son nom…

— Il l’a toujours portée, il a toujours voulu être comme vous, apprendre les secrets de l’univers.

Il avait ri, surpris, il voulait savoir où était son fils à présent, s’ils pourraient se voir. En hésitant, elle lui avait dit qu’il verrait Sparks à la cour de la reine. Comme Sparks, Sirus était né à la suite des fêtes d’une visite officielle de l’Assemblée à Samathe ; à la visite suivante, le Premier ministre avait emmené avec lui, par caprice, son fils adulte. Elle voyait les possibilités pour son propre fils se former dans l’esprit de Sirus et, à la fois craintive et pleine d’espoir, elle avait dit le reste.

— … et Starbuck sera sacrifié avec la reine à la fin du Festival, à moins qu’on le sauve… Vous pouvez le sauver ! Il est le petit-fils du Premier ministre, votre fils, personne n’oserait l’exécuter si vous ordonniez de lui laisser la vie sauve !

Mais Sirus avait reculé, avec un triste sourire.

— Je regrette, Moon… ma nièce. Sincèrement. Mais je ne peux pas vous aider. Je le voudrais mais… Il n’y a rien que je puisse faire. Nous ne sommes que des figures de proue, Moon ! Des images, des idoles, des pantins. Nous ne gouvernons pas l’Hégémonie, nous la décorons simplement. Il vous faudrait changer le Changement lui-même, et ce rite est bien trop important pour en transgresser les règles selon ma volonté.

— Mais…

— Je regrette, dit-il en soupirant. S’il y a quelque chose que je peux faire pour vous aider qui soit en mon pouvoir, je le ferai, vous n’aurez qu’à me le faire savoir. Je regrette que vous m’ayez révélé cela.

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