— So, so. And how is it gowing on here ?
— It is O. K., dit-il flegmatiquement.
Au bout d’un certain temps, je lui demandai ce qu’il faisait ici. Au début il se montra réticent, puis il bavarda. Il me dit qu’à gauche du fossé, l’humanité vivait ses derniers jours sous la botte de robots cruels. Les robots étaient devenus plus intelligents que les hommes, s’étaient emparés du pouvoir, jouissaient de tous les agréments de la vie et avaient relégué les hommes sous terre, et là, les malheureux travaillaient à la chaîne. A droite du fossé, sur le territoire qu’il gardait, les hommes avaient été réduits en esclavage par des êtres venus d’une planète voisine. Eux aussi s’étaient emparés du pouvoir, avaient imposé un régime féodal et usaient pleinement du droit de cuissage. Ils menaient la belle vie, et les hommes qui étaient dans leurs bonnes grâces récoltaient quelques faveurs par-ci, par-là. A vingt milles d’ici, dans la direction du fossé, se trouvait un pays où les hommes avaient été réduits en esclavage par des créatures, débarquées d’Altaïr, des virus doués de raison qui envahissaient le corps de l’homme et l’obligeaient à se soumettre à leur volonté. Encore plus loin à l’ouest, il y avait une grande colonie de la Fédération Galactique. Les hommes, là aussi, étaient réduits en esclavage, mais leur vie était supportable, parce que son excellence le gouverneur général les engraissait pour la boucherie et enrôlait certains d’entre eux dans la garde personnelle de A-u 3 562, Sa Majesté l’empereur de Galaxie. Il existait aussi des régions colonisées par des parasites, par des plantes, par des minéraux doués de raison. Et enfin, au-delà des montagnes, s’étendaient des terres colonisées par des êtres au sujet desquels on racontait des histoires invraisemblables …
Il s’interrompit lorsque des soucoupes volantes passèrent au-dessus de nous en lâchant des bombes qui faisaient des loopings. « Ça recommence … », grogna l’homme. — Il se mit à plat ventre, leva sa mitraillette et ouvrit le feu sur les cavaliers qui cavalcadaient dans le lointain. Je reculai, fermai la porte et, le dos au mur, écoutai les bombes siffler, hurler et gronder. Le pilote en bleu et la fille en rose, sur les marches du Panthéon, ne se décidaient pas à conclure leur dialogue. Je regardai prudemment par la porte : les globes de feu des explosions grossissaient lentement au-dessus de la plaine. Les cloches métalliques se soulevaient l’une après l’autre, il en sortait des hommes barbus, pâles, déguenillés, tenant des leviers à la main. Des cavaliers en armure sabraient mon interlocuteur de tout à l’heure qui criait et se protégeait avec sa mitraillette …
Je fermai la porte et abaissai soigneusement le loquet.
Je me remis en selle. J’avais envie de parcourir des millions d’années encore, de voir la Terre agonisante décrite par Wells, mais quelque chose s’était détraqué dans ma machine, l’embrayage ne marchait pas. J’appuyai une fois, deux fois, puis une troisième fois de toutes mes forces, j’entendis une détonation, les blés mouvants se dressèrent, j’eus l’impression de me réveiller. J’étais assis sur l’estrade de la petite salle de conférences. Des regards admiratifs étaient posés sur moi.
— Que se passe-t-il avec l’embrayage ? demandai-je. en cherchant du regard la machine, disparue. J’étais revenu seul.
— Ça ne fait rien ! s’écria Louis Sedlovoï. Je vous remercie infiniment. Vous m’avez rendu un fier service … C’était vraiment intéressant, n’est-ce pas, camarades ?
L’auditoire fit entendre un murmure d’assentiment.
— Mais j’ai déjà lu tout ça quelque part, fit d’un ton sceptique l’un des grands maîtres du premier rang.
— Mais voyons ! Mais bien sûr, voyons ! dit Louis. Puisqu’il a voyagé dans un avenir décrit !
— C’était plutôt maigre comme aventures … dirent, dans le fond, les amateurs de bataille navale. Des parlotes, rien que des parlotes …
— Là alors, je n’y suis pour rien … répliqua Sedlovoï, très ferme.
— Comme parlotes, ça se pose là, déclarai-je en descendant de l’estrade. Je me rappelai mon interlocuteur à peau sombre, haché menu et je me sentis mal à l’aise.
— Non, pourquoi … intervint un bachelier. Il y a eu des moments intéressants. Cet engin, vous vous rappelez, à quateurs trigènes … Vous savez, c’est …
— Alors ? dit Poupkov-Zadny, j’ai l’impression que le débat est engagé. Quelqu’un a-t-il des questions à poser à l’orateur ?
Le bachelier posa immédiatement une question sur la transmission temporelle ( le coefficient d’élargissement du volume l’intéressait, voyez-vous ça ) et je m’éclipsai discrètement.
J’éprouvais une sensation bizarre. Tout me paraissait solide, consistant, substantiel. Quand les gens passaient, j’entendais craquer leurs chaussures, je sentais l’air qu’ils déplaçaient en marchant. Tous étaient avares de leurs paroles, tous travaillaient, tous pensaient, personne ne pérorait, ne récitait de vers, ne prononçait des discours pathétiques. Tous savaient qu’un laboratoire est une chose et qu’une tribune d’orateur en est une autre. Quand je croisai Vybegallo dans ses bottes de feutre, je ressentis pour lui comme un élan de sympathie, parce qu’il avait dans la barbe de la bouillie, qu’il se curait les dents avec un long clou et qu’il ne me salua pas. C’était un malotru bien vivant, visible et tangible, il ne faisait pas de grands gestes, il ne prenait pas de poses solennelles.
J’allai chez Roman, car j’avais très envie de lui raconter mes aventures. Roman, le menton dans la main, debout devant la table de laboratoire, regardait un petit perroquet vert. Le perroquet était mort, ses yeux étaient voilés d’une pellicule blanchâtre.
— Que lui est-il arrivé ? demandai-je.
— Je ne sais pas. Il est mort comme tu vois.
— Où l’as-tu trouvé ?
— Je suis étonné moi-même, dit Roman.
— Il est peut-être faux ? suggérai-je.
— Mais non, c’est bel et bien un perroquet.
— Vitia a dû s’asseoir une fois de plus sur l’oumklaïdet.
Nous nous penchâmes sur le perroquet pour l’examiner. Une de ses pattes était baguée.
— Photon, lut Roman. — Et des chiffres … Dix-neuf zéro cinq soixante-treize.
— Bien, fit une voix familière.
Nous nous retournâmes.
— Bonjour, dit U-Janus en s’approchant de la table. Il sortait de son laboratoire situé au fond de la pièce. L’expression de son visage était triste et fatiguée.
— Bonjour, Janus Polyeuctovitch, répondîmes-nous d’une seule voix avec toute la déférence possible.
Janus regarda le perroquet et dit : « Bien. » Il prit l’oiseau, très délicatement, très tendrement, caressa son aigrette rouge vif et murmura :
— Hé bien, que t’est-il arrivé, petit Photon ?
Il voulut ajouter quelque chose, mais il se tut après un bref regard dans notre direction. D’un pas lent de vieillard, il alla à un four électrique, ouvrit la porte et jeta le petit corps vert.
— Roman Pétrovitch. Ayez la bonté de l’allumer, s’il vous plaît.
Roman s’exécuta. Il avait l’air de quelqu’un qu’une idée insolite vient de frapper. U-Janus, la tête penchée, attendit quelques instants, puis il ramassa soigneusement la cendre chaude et, ouvrant la fenêtre, dispersa au vent les restes de l’oiseau. Avant de partir, il dit à Roman qu’il désirait le voir dans son bureau d’ici une demi-heure.
— C’est bizarre, murmura Roman en le suivant des yeux.
— Qu’est-ce qui est bizarre ?
— Tout est bizarre.
Moi aussi, je trouvais étrange la présence de ce perroquet vert que Janus Polyeuctovitch avait l’air de si bien connaître, cette crémation, ces cendres jetées au vent, mais je brûlais de l’envie de raconter mon voyage dans le futur décrit. Roman écoutait, distrait, le regard ailleurs, hochant la tête à contretemps. Soudain, il me dit : « Continue, continue, j’écoute … », se pencha pour prendre la corbeille à papier qui était sous la table et se mit à fouiller dans les paperasses et les morceaux de bande magnétique. Quand j’eus terminé mon récit, il me demanda :
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