— Tout cela est bien étrange. Quand Hassil sera là avec l’avion, ou plutôt quand l’ Ulna sera revenue, il faudra faire quelques raids d’exploration. Je parle de l’ Ulna, car même si Hassil arrive à ramener l’avion ici, je doute qu’il puisse s’envoler de nouveau. Cela me fait penser qu’il est temps que je demande des nouvelles.
Il tira le communicateur de sa poche, lança un appel.
« Hassil ! Hassil ! Ici Akki. M’entends-tu ?
— … ci Hass… Tend mal… Essayé appel… plus… jours. Où es-tu ? »
Akki examina l’appareil. Un long sillon déprimait le métal sur un côté.
La flèche du Bérandien ! Pourtant, je m’en suis servi dans la forêt avec plein succès. Ello, Hassil ! Je suis aux Trois Lacs. Aux Trois Lacs. Aux Trois Lacs. Avec les brinns. Avec les brinns. Avec les brinns.
— Compr… ois lacs… brinns. Demain j’ess… joindre. Répar… finie, autant que possible. Pas vu de Bér… diens.
— Atterris près du lac central. Atterris près du lac central. Atterris près du lac central. Les brinns vivent dans la falaise. Les brinns vivent dans la falaise.
— Compris… tral… la fal… À demain. »
Akki essuya son front.
« J’ai eu peur que l’appareil ne finisse de se détraquer avant que nous ayons fini. J’espère que Hassil réussira. Les armes qui sont dans l’avion sont notre seul espoir de pouvoir tenir les Bérandiens en échec. Je ne doute pas du courage des brinns, ni des tiens, Otso. Mais même si ce que m’a dit Tehel-Io-Ehan est exact, même si près de trois cent mille brinns arrivent à se réunir – et comment les nourrira-t-on, à moins que l’intendance brinn ne soit elle aussi très en avance ? – il reste aux Bérandiens des canons, des mitrailleuses, et au moins un grand fulgurateur. »
Un groupe de jeunes filles approchait, portant de grands plats de bois.
« Voici notre dîner, dit Otso ; réveillons Boucherand et Clotil. »
Chapitre II
La trace de nos os
Le matin suivant, Akki fut réveillé par le chef lui-même. Il se leva à regret de sa couche de peaux et d’herbes sèches. La fatigue accumulée pendant la traversée de la Forêt Impitoyable durcissait encore ses muscles.
« Le jour est déjà grand, et un guetteur a signalé dans le ciel un oiseau géant. Ne serait-ce point ta barque volante ? »
Akki se rua au-dehors. Très loin, au-dessus de la savane, mais bas, une tache noire se détachait.
« Tu vois, dit le brinn, on distingue deux ailes immobiles.
— Je n’ai pas ta puissance de vue ! »
Il prit ses jumelles. C’était bien là l’avion. Son vol semblait lourd et difficile. Il saisit le communicateur.
« Hassil ! Hassil ! Nous t’attendons.
— … tends mal. Merci… iche-moi la paix. Trop occupé… piloter. A… heure ! »
L’appareil grossissait maintenant très vite, et Akki put apercevoir, dans la coque, le trou béant fait par le projectile bérandien. Puis il fut au-dessus de leurs têtes, et commença sa descente vers la prairie en pente qui s’étendait devant le village. Mais, comme il n’était plus qu’à une centaine de mètres de haut, la descente se transforma en chute. Au dernier moment, il se rétablit, et, filant vers le lac, reprit de la hauteur.
« … à faire ! Le groupe paragravitogène… Vais essayer de lancer des armes… du lac… boue… ortira le choc.
— Au diable les armes ! Pose-toi sur le lac ! Tehel, des pirogues, vite ! »
Le chef lança un ordre, et une vingtaine de brinns coururent vers les embarcadères. L’avion décrivait maintenant des cercles, puis il piqua vers le rivage, perdant de la hauteur, et, au moment où il passa au-dessus des hautes herbes, un gros paquet tomba sur le sol fangeux avec un bruit mou.
« Très bien, Hassil. Pose-toi sur le lac maintenant ! Sur le lac ! »
L’avion tourna, reprit un peu d’altitude, puis subitement piqua du nez. Une gerbe d’eau jaillit, qui sembla s’immobiliser pendant des minutes, avant de s’abattre en pluie. Akki courait, et arriva à temps pour sauter dans une pirogue.
« Vite ! Plus vite ! »
La queue de l’avion dépassait encore quand une tête apparut à la surface. Akki poussa un soupir de soulagement. Mais l’inquiétude le reprit : ce n’était pas la nage aisée d’un hiss, les meilleurs nageurs de tous les univers ! Hassil semblait peiner, il disparut sous les eaux, reparut.
« Il est blessé ! Plus vite ! »
La pirogue semblait pourtant à peine effleurer l’eau. Akki plongea, happa le hiss par la chevelure. Des bras vigoureux les hissèrent à bord. Hassil resta un moment étendu sur le dos, au fond de l’embarcation, haletant. Puis le mince sourire de sa race tendit ses lèvres.
« Il était temps ! Pas facile de nager avec un bras et une jambe cassés !
— Et nous n’avons plus le biorégénerateur !
— Comment ont fait mes ancêtres, et les tiens ? Je guérirai quand même. Ce qui est plus ennuyeux, c’est le manque d’anesthésiques. J’ai horreur de la souffrance inutile. Le paquet d’armes a-t-il bien atterri ?
— Je ne sais. J’irai voir. Le plus urgent est de te soigner…
— Le plus urgent est de ramasser les armes ! »
La pirogue toucha terre, et les brinns improvisèrent un brancard avec les pagaies et de longues herbes tressées. Akki y allongea le hiss.
« Va aux armes, maintenant. Je puis attendre. »
Déjà Otso approchait.
— Qu’a-t-il ? demanda le Vask.
— Un bras et une jambe brisés.
— Leurs os sont-ils très différents des nôtres ?
— Non.
— Alors, laisse-moi m’en occuper. Je sais réduire les fractures. »
Akki réquisitionna une dizaine de brinns et se dirigea vers le point de chute du paquet. Il s’était enfoncé dans la boue, mais son enveloppe de plastique n’était pas déchirée. Ils l’arrachèrent à la fange, et le traînèrent sur le sol ferme. Le coordinateur l’ouvrit : il y avait là trois fiilgurateurs légers, plusieurs communicateurs individuels, quelques charges d’explosifs, et un gros fulgurateur lourd, malheureusement brisé. Il y avait aussi une dizaine de batteries chargées pour ces armes.
Un peu rassuré, Akki courut vers le village. Au moment où il y arriva, les brinns posaient la civière devant la hutte, et Otso se mit immédiatement au travail. Aidé du coordinateur, qui dessina rapidement un schéma de l’ossature hiss, peu différente de l’humaine, il réduisit les fractures, et bientôt Hassil reposa paisiblement sur un lit de fourrures.
« J’ai mis dans le paquet tout ce que j’ai pu atteindre, Akki. Il y a un fulgurateur lourd…
— Il est hors d’usage, mais les trois légers et les batteries arrivent à point. Le mien est presque déchargé.
— L ’Ulna ne reviendra guère avant un mois. Et je suis là, cloué au lit, sans pouvoir t’aider ! Dis-moi, quelle est la situation ?
Akki la lui exposa.
« Tu as raison, ce n’est pas brillant ! Et ces brinns sont, pour le moins, curieux. Enfin, d’ici quelques jours, on pourra me porter au-dehors, et je verrai de mes yeux. Dis-moi, Akki, y a-t-il des orons aux environs des Trois Lacs ?
— Oui, je crois. Pourquoi ?
— Peux-tu en tuer un ou deux et faire préparer les os ? J’ai une idée.
— À quel sujet ?
— De tous les animaux de cette planète, ce sont les plus proches des brinns, n’est-ce pas ?
— Il y a sur le continent équatorial une sorte de gros oron qui marche sur le sol, dit Otso.
— Faute de mieux, je me contenterai des petits arboricoles d’ici. »
Anne attendait Akki sous l’auvent de l’abri, entourée d’une dizaine de jeunes filles brinns, jacassantes.
« Pouvez-vous me traduire ce qu’elles disent ? »
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