Quand il reprit conscience, le projecteur était éteint, et Hassil était assis à côté de la table d’opération.
« J’ai fait de mon mieux, mais ce fut long ! Tu es resté évanoui douze heures, et j’ai été obligé de dépasser le degré six pour toi !
— Le degré six ! Mais alors…
— Alors, il faudra que tu passes quelque temps au centre de cure de Réssan, quand nous serons revenus, pour qu’on y mate les quelques cellules anarchiques qui ont pu se développer. Je ne sais quelle sorte de venin cet horrible animal secrète, mais si, heureusement, son effet est lent, il est très difficile à combattre pour l’organisme. J’ai eu peur d’être obligé de te mettre en état de vie latente, et de rentrer tout de suite…
— Et le jeune homme ?
— Il dort encore, mais pour lui, ce fut simple. Il n’avait que quelques os brisés, et le degré deux a suffi.
— Roan ?
— Je suis là, cher ami. Votre science est vraiment merveilleuse. Jamais personne n’a survécu à la morsure d’un aspis ou d’un sugegorri, comme l’appellent parfois les Vasks, tarek étant le nom brinn. Ils sont heureusement rares, et vivent d’habitude bien plus au sud. »
Akki se leva.
« Où sommes-nous, Hassil ?
— À quatre mille mètres de haut, pour employer vos mesures novaterriennes. À huit brunns, dirions-nous sur Ella. Exactement au-dessus du théâtre de ton héroïque combat. J’y suis resté pour voir si quelqu’un se soucierait du sort de notre jeune ami. Jusqu’à présent, nul n’a paru. Tiens, il s’éveille ! »
Le Vasks se frottait les yeux, regardait autour de lui.
« Suis-je mort, demanda-t-il brièvement. Suis-je auprès de l’Ancêtre ? Mais non, il y a des machines ici, et il n’y a pas de machines, là ! »
Il regarda un moment Hassil, puis Roan, enfin Akki.
« Vous avez échappé, étranger ? Mais moi… j’ai été touché ! Je dois donc être mort !
— Vous êtes vivant. Mon ami Hassil est arrivé à temps et a tué le tarek.
— Je serais arrivé trop tard, dit le hiss, si Akki n’avait combattu la bête au couteau, perdant ainsi presque sa vie pour vous secourir. »
Il envoya une pensée à Akki.
« Pas de modestie ! C’est vrai, et il est bon, pour nos futurs rapports avec son peuple, qu’il le sache ! »
« Au couteau ! Vous l’avez tué ainsi !
— Non, blessé simplement. Hassil l’a achevé avec un fulgurateur.
— Si vous l’avez blessé, vous l’avez tué. Il n’aurait pas survécu.
— Dans ce cas, c’est vous avec votre flèche ! »
Le Vask eut un mouvement agacé des épaules.
« D’où venez-vous donc ! Une flèche ne peut tuer un tarek que si l’on touche le cœur. Sinon, la blessure est trop petite, le sang ne coule pas, et elle guérit. Il faut le couteau, mais bien rares sont ceux qui ont pu blesser un tarek à mort, et survivre ! »
D’un geste plein de noblesse, il tendit ses mains.
« Vous avez sauvé ma vie, et si vous n’êtes pas un Bérandien, je suis votre obligé, jusqu’à ce que je puisse vous payer de retour, et votre ami pour la vie.
— Et si j’étais un Bérandien ?
— Dans ce cas, je ne vous devrais que le prix : cinq barres d’or. »
Il se tourna vers Roan.
« Celui-ci est un Bérandien. Que vient-il faire ici ?
— Il fut obligé de fuir sa patrie.
— Clame-t-il refuge ?
— Au nom de la Terre, je clame refuge, dit lentement Roan.
— Allez en paix, alors.
— Que signifie cela ? demanda Akki.
— Cela signifie, mon cher ami, répondit le Bérandien, que pour vous éviter tout ennui, et aussi parce que je ne partage pas les préjugés de mon peuple contre les Vasks, j’ai demandé leur hospitalité, m’engageant ainsi à ne plus jamais porter les armes contre eux. Ce qui fait de moi, en ce qui concerne l’ancienne Bérandie, un proscrit perpétuel.
— Il existait quelque chose de ce genre chez les Krenns, avant l’unification de leur monde, dit Hassil. Tous les peuples primitifs, ou presque, accordent asile à l’ennemi qui le demande. »
Le jeune homme réfléchissait.
« Comment se fait-il que vous, qui n’êtes pas un Bérandien, et celui-ci, qui ressemble à un brinn sans en être un, parliez si bien le vask ? Pour lui (il désignait Roan), rien d’étonnant. Quelques Bérandiens connaissent notre langue.
— Nous ne parlons pas votre langue, répliqua Akki », et il expliqua comment il pouvait émettre et recevoir des pensées. Le jeune homme écouta, étonné.
« Et vous avez une mission à accomplir auprès de nous ? Laissez-moi aller, et j’en préviendrai le Conseil des Vallées.
— Nous irons plus vite avec notre avion. »
Ils passèrent dans le poste de pilotage, et Hassil activa l’écran inférieur. Loin en dessous, la prairie se dessina, tachée de formes mouvantes.
« Mes moutons ! cria le Vask. Mais nous volons, comme des aigles !
— Des aigles ? S’enquit le coordinateur. Est-ce l’oiseau terrestre, ou bien avez-vous donné ce nom à une forme volante de cette planète ?
— Ce sont des oiseaux terrestres, dit le Vask, orgueilleusement. Là où vivent les Vasks vivent les aigles. L’Ancêtre en a rapporté avec lui. Nous les avons nourris jusqu’à ce que les animaux sauvages terrestres se soient assez multipliés pour que les aigles pussent vivre libres ! D’ailleurs, maintenant, ils peuvent aussi manger les animaux de cette planète, certains en tout cas, tout comme nous. Déposez-moi à terre, je dois ramener mon troupeau, et le jour baisse.
— Pouvez-vous nous conduire à votre peuple ?
— Je dois ramener mon troupeau. Le village se trouve dans la haute vallée, derrière ce mont. Vous y serez les bienvenus… si j’arrive avant vous.
— Soit. Nous vous suivrons de haut. »
Chapitre II
Le village dans les cîmes
Dans le crépuscule, le village formait une tache plus sombre au flanc de la montagne, sur un replat, à cheval sur un torrent. Hassil activa l’écran de vision nocturne, et les maisons apparurent nettement, avec leurs toits larges, l’auvent de la façade, les poutres apparentes peintes en brun rouge. Au centre du village, sur une grande place, se dressait un mur blanc au sommet arrondi, duquel partait un autre mur perpendiculaire, plus bas. D’un peu toutes les directions convergeaient des troupeaux, moutons, bœufs, ou animaux inconnus spéciaux à la planète.
Ils attendirent que tous fussent rentrés, ne voulant pas effrayer le bétail, puis l’avion atterrit à la verticale sur la place. Un groupe d’homme s’avança, conduits par le jeune berger. Ils étaient de haute taille, minces mais larges d’épaules, et leurs visages reproduisaient les traits caractéristiques de celui du jeune Vask. Un vieillard, maigre et droit, tenant à la main un long bâton de bois sculpté, s’avança vers l’appareil.
« Étrangers, puisque vous venez en paix, les terres des Vasks vous seront hospitalières. Mais, n’étant pas Vasks vous-mêmes, vous ne pourrez vous y fixer, à moins de clamer asile, dit-il d’une voix solennelle.
— Je n’ai nulle intention de m’y fixer », répondit Akki.
Le vieillard sourit.
« Cela, ce sont les paroles que, en tant que Mainteneur des Coutumes, j’avais le devoir de dire. Maintenant, laissez-moi vous remercier d’avoir sauvé mon petit-fils Iker. Et vous dire aussi que, dans nos chroniques, on ne connaît que trois tareks tués au couteau. Les deux premiers le furent par l’Ancêtre !
— J’ai eu de la chance, et mon ami Hassil est arrivé assez tôt pour achever la bête avant qu’elle ne me tue.
— Iker me dit que vous avez une mission à remplir près de nous. Quelle qu’elle soit, elle est du ressort du Conseil des Vallées. En attendant qu’il se réunisse, vous serez mes hôtes. »
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