« Pas un signe de vie !
— Ah ! Te voilà, Hassil. Comment va Roan ?
— Bien, maintenant, mais il était temps. Il a fallu utiliser les rayons biogéniques. C’est l’affaire de quelques jours de repos.
— Tant mieux. C’est un des rares humains sur cette planète qui vaillent quelque chose. J’aurais été navré qu’il mourût.
— Et la duchesse, Akki ?
— Nous ne pouvons rien pour elle actuellement. Ils doivent se trouver dans les bois, et les repérer serait impossible. Nous les rejoindrons plus tard. J’ai confiance en Boucherand. Nul ne semblait les poursuivre, et ils ont maintenant assez d’avance pour ne plus être rejoints. J’ai d’ailleurs dans l’idée que Nétal se vantait, quand il affirmait que toute la Bérandie était sienne. Nous devons maintenant accomplir la deuxième partie de notre mission, mais les Vasks sont du même type que les Bérandiens, je sais bien quelle sera ma décision !
— Eh là ! Sur cette pente, des animaux ! Et un homme, je crois.
— Vu ! Nous descendons. »
L’avion piqua silencieusement, glissa sur une prairie en faible pente, s’immobilisa. Akki sauta à terre.
« Hassil, tu restes ici avec Roan. Je vais en reconnaissance. »
Il se faufila entre de gros éboulis parsemant la pente. L’herbe était verte et souple sous ses pieds, familière, à peine différente de celle de Novaterra ou d’Arbor. Une fois de plus, il s’émerveilla du manque d’imagination de la nature. Il avait beau savoir que c’était là le résultat nécessaire de l’identité des lois physico-chimiques dans tout l’Univers, cette constatation l’étonnait toujours. Bien sûr, il existait des mondes différents, où, dans une atmosphère de chlore, de méthane ou d’ammoniac avaient évolué des êtres très distants de lui-même, les Xénobies. Mais sur les planètes de type terrestre, les formes supérieures de vie étaient toujours assez voisines. Certes, les k’tall avaient six membres et six yeux, mais leur métabolisme se comparait fort bien à celui des humains, et leur sang était rouge. Les hiss avaient le sang vert, mais étaient complètement anthropomorphes, malgré leurs sept doigts. Les hommes-insectes avaient leurs homologues moins évolués sur Terre I, ou sur Arbor. Les misliks… Évidemment, les misliks… Mais venaient-ils de cet Univers ?
Une voix joyeuse, appelant quelqu’un ou quelque animal, le tira de ses pensées. Il se glissa derrière un bloc, observa. C’était un tout jeune homme, presque un enfant, de haute stature, mais encore grêle. Il était habillé de vêtements de cuir, laissant à découvert des bras et des jambes minces, aux longs muscles. Une chevelure ébouriffée, très brune, surmontait un visage triangulaire, aux pommettes larges, au nez long et arqué, au menton proéminent. Il jouait avec un chien, et l’animal sautait, essayant d’atteindre un bâton que le jeune homme tenait très haut.
« Apporte, Lamina, apporte ! »
Le bâton décrivit une parabole, passa au-dessus d’Akki, roula sur le sol. Le chien courut, freina des quatre pattes, ouvrit la gueule pour saisir le bâton, puis levant la tête, prit le vent. Un jappement bref, et il était près d’Akki, babines retroussées montrant les crocs.
« Eh bien, Lamina, tu l’apportes ? »
Le chien gronda. Le jeune homme sauta derrière un rocher, reparut, arc à la main. Flèche prête, il avança.
Akki sortit de sa cachette, mains levées en signe de paix. Une expression de méfiance passa sur le visage du jeune homme, il tendit à moitié son arc, et, d’une voix sèche, il demanda en une langue sonore que le coordinateur ne reconnut pas :
« Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que voulez-vous ?
— Je suis Akki Kler, je viens en paix d’une planète lointaine. Je veux prendre contact avec votre nation.
— Nous aussi sommes venus, il y a bien longtemps, d’une planète lointaine. Les Bérandiens également, et nous ne désirons rien de ce qu’ils représentent, ni probablement de ce que vous représentez ! Nous avons quitté ce monde ancien pour rompre à jamais tous liens avec les autres hommes, ces hommes qui ont pris le chemin de mort ! Nous ne désirons aucun contact avec des étrangers, sauf s’ils sont prêts à prendre la Voie de Vie. Quelle voie suivez-vous, étranger ? »
Amusé, Akki sourit, baissa les bras.
« Les mains en l’air. Vite, ou je tire ! »
L’arc était tendu, la flèche prête. Ennuyé, Akki se souvint qu’il avait omis d’activer le champ de force qui l’eût rendu invulnérable. La détermination du jeune homme était évidente, et il n’hésiterait pas à tuer. Silencieusement, il lança un appel à Hassil. La distance était assez faible pour qu’il pût espérer, avec son bandeau amplificateur, être entendu.
« Ne lâchez pas votre flèche, jeune homme. Je le répète, je viens en paix. Mais j’ai une mission de la plus haute importance à remplir auprès de votre peuple, une mission qui peut changer ou affermir à jamais votre mode de vie.
— Notre mode de vie a été fixé une fois pour toutes par l’Ancêtre. Qui croyez-vous être, pour parler de changer la vie du Peuple libre ?
— Même les peuples libres…, commença Akki. Attention ! » Cria-t-il.
Derrière le jeune homme se profilait une forme monstrueuse. Haute de deux mètres, velue, noire, c’était une sorte de boule aplatie, portée par deux rangées de pattes courtes, à peine visibles. Trois petits yeux étincelaient dans la fourrure rase, au-dessus d’une bouche énorme, rouge, où luisaient des dents jaunes et pointues.
Le Vask se retourna, cria : « Un tarek ! » lâcha sa flèche. Elle s’enfonça jusqu’à l’empennage dans la masse velue. Hâtivement il en saisit une autre dans son carquois, hurlant : « Fuyez ! Fuyez ! »
Et, comme un éclair, la bête ne fut plus une boule, mais une longue chenille noire bandée comme un ressort, qui bondit. Sous cette masse, le jeune homme s’écroula. Akki tâta désespérément sa ceinture, à la recherche de son fulgurateur absent. Le chien, qui jusqu’alors rampait sur l’herbe, frissonnant et hurlant, se jeta au secours de son maître. Avec horreur, Akki vit l’énorme gueule s’ouvrir, se refermer, et le chien disparut.
Ondulant lentement, la chenille se retira de sur le corps humain qu’elle recouvrait, le saisit avec deux courtes pattes préhensiles. Lançant vers Hassil un appel sans espoir, Akki dégaina son poignard et avança.
La bête suspendit ses préparatifs, se ramassa. Il ne lui laissa pas le temps de bondir, glissa de côté et, de toutes ses forces, frappa. Le tégument élastique céda sous la pointe, et un jet de sang vert gicla dans ses yeux. Il retira la lame, frappa, frappa, avec l’énergie du désespoir, traçant de longs sillons dans la viande du monstre. Il reçut un choc violent, roula sur le sol. Un de ses flancs en lambeaux, mais semblant n’avoir rien perdu de sa force, la bête sauta. Akki para à demi l’attaque d’une détente des jambes, sentit quelque chose d’aigu déchirer son épaule, se redressa, couteau prêt, chancelant encore. Près de son oreille passa un mince rai bleu, et il entendit, comme une musique céleste, le bourdonnement d’un fulgurateur. Le tarek, sous le terrible faisceau, se contracta spasmodiquement, se roula en boule. Une odeur de chair brûlée emplit l’air, mais Hassil ne cessa le feu que quand le monstre ne fut plus qu’une masse carbonisée. Akki sentit un lancement sourd dans l’épaule, vit le ciel chavirer sur les montagnes, et sombra dans l’inconscience.
Il se réveilla, étendu sous le familier projecteur de rayons biogéniques. Il tourna la tête : son épaule était enflée, bleue, mais la douleur avait disparu. À côté de lui était étendu le Vask. Hassil manœuvrait les commandes, intensifiant le rayonnement. Une grande paix l’envahit, et il se laissa glisser dans le sommeil.
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