L’espace d’un instant, il se dit qu’il va débander, et puis il la regarde au fond des yeux. Dans ses iris bleus, qu’encadrent des pattes d’oie presque totalement effacées, il perçoit une lueur de désespoir, et une idée prend forme dans son esprit : elle le veut, Dieu sait pourquoi, mais elle le veut, elle a tellement faim de lui qu’elle ferait n’importe quoi pour lui – elle s’effondrerait si jamais il décidait de la planter là, elle pleurerait pendant des heures, elle est prête à devenir sa chose s’il le faut.
Si elle s’est conduite comme la plus vulgaire des putes, ce n’est pas parce que ça lui plaisait mais parce qu’elle voulait savoir s’il allait la repousser. Il comprend tout cela en un éclair, sans savoir comment il y est parvenu.
Il aimerait se croire doué d’empathie, capable de percevoir ses craintes parce que Naomi a fait naître les mêmes dans son cœur, mais c’est faux. S’il a compris tout ça, c’est parce qu’il sait que Naomi désapprouverait sa conduite, qu’elle serait humiliée d’apprendre que ce vieux débris va lui donner plus de plaisir que n’ont pu lui en procurer sa gentillesse et sa sensibilité.
Et il se sent investi d’une soudaine puissance : même s’il traitait Synthi de vieux débris, elle se mettrait en quatre pour assouvir tous ses désirs. Et par-dessus le marché, il sait que cette femme peut se payer en un mois plus de choses qu’il n’en possédera durant toute sa vie, qu’elle peut faire sur un coup de tête plus de choses qu’il ne pourrait en accomplir au prix de plusieurs années d’efforts… et si elle le peut, c’est grâce à lui, grâce à des gogos comme lui qui fantasment sur son corps refait à neuf. Il a envie de le lui faire payer, rien qu’une fois, de lui infliger tout ce qu’il a rêvé de lui infliger quand il se branchait sur Rock, sur Quaz ou sur ses autres partenaires.
Même s’il ne les formule pas consciemment, ces sentiments sont profondément ancrés en lui. Il a envie de lui faire mal et ça lui plaît. Il l’agrippe par les cheveux et plaque ses lèvres sur les siennes en un baiser brutal auquel elle ne résiste même pas ; elle s’empare de sa main libre, la glisse entre ses cuisses, et il lui enfonce le pouce dans le vagin, violemment, espérant qu’elle sera sèche et qu’il lui arrachera un cri…
Mais elle est déjà mouillée, déjà ouverte, et elle se coule autour de son doigt et gémit de plaisir. Elle déboucle la ceinture de son jean, l’abaisse, libère son pénis, et elle est brutale, elle aussi, elle lui fait mal, mais il est trop excité pour s’en soucier. Elle se dresse sur la pointe des pieds, puis s’empale lentement sur lui, et leur première étreinte ne dure qu’une minute – il n’a même pas eu le temps doter son pantalon.
Elle ne lui accorde aucun répit, ne lui laisse même pas le temps d’examiner son corps meurtri ; en moins d’une seconde, elle le prend en bouche et lui abaisse jean et slip sur les chevilles, si vivement qu’il manque tomber par terre.
La demi-heure suivante reste floue dans son esprit ; elle se montre violente, brutale, et il ne dispose pas d’un seul instant pour reprendre son souffle. Il a les larmes aux yeux tellement son pénis lui fait mal, tellement ses testicules sont épuisés ; pour se venger, il frappe ses seins grotesques, la prend à la hussarde et, sur la fin, pour voir jusqu’où elle est prête à s’abaisser, il lui enfonce le poing dans l’anus.
Et puis vient le moment où elle tente pour la énième fois de le faire bander et où la douleur devient insoutenable. Il a mal à la tête, il a mal au ventre, et si ça continue comme ça, il va sûrement se mettre à vomir. Il se tourne vers elle, désormais vide de tout désir – et de toute colère –, et il ne voit en elle que la faim et le désespoir, et il l’écarte brusquement, sans ménagement.
Elle reste figée, haletante, les yeux fous, puis lui demande :
— Tu te sens bien ?
Il ne s’attendait pas à ça. Il examine son pénis et le découvre couvert d’hématomes et d’estafilades, parsemé de taches de sang. Et il prend conscience de sa douleur, le palpe prudemment.
— Oh, mon Dieu.
— Je suis navrée.
— On ne t’a jamais dit que tu étais complètement barjo ?
Il y a eu échange de sang, ce qui fait qu’il a de grandes chances d’avoir attrapé une saloperie quelconque contre laquelle il n’a pas été vacciné, il a l’impression que sa bite a été passée à la moulinette, et il n’arrive pas à croire que c’est à lui que ça arrive. Il doit filer d’ici et se trouver un toubib.
Et aussi aller pisser. Il paraît qu’on peut éliminer pas mal de saletés en pissant tout de suite. Il regarde autour de lui, localise la salle de bains, s’y précipite et pisse un long jet – parfumé à la bière et à la terreur – qui le brûle comme de l’acide.
— Nom de Dieu, avec combien de mecs as-tu fait ce numéro ? Qu’est-ce que tu as dans le crâne ?
Elle se met à sangloter.
— Il n’y a eu que toi. Rien que toi.
— Tu me prends pour un crétin ? dit-il en enfilant sa chemise. Nom de Dieu, mais qu’est-ce qui m’a pris de faire une telle connerie ? Je n’arrive pas à y croire…
Elle pleure à chaudes larmes.
— Je n’ai rien, je te le jure, tu es le premier mec que je rencontre depuis que je suis ici, et le net nous oblige à passer des tests tous les trois jours. Je suis navrée de t’avoir fait mal, mais je ne t’ai pas tué, je ne t’ai pas…
Son visage est carrément hagard.
Il a ramassé son pantalon et cherche à y retrouver son slip, mais il hésite un instant ; elle semble sincère.
— Je suis en dessous de tout, dit-elle. Je ne t’ai même pas demandé ton nom.
— Jesse Callare, répond-il alors qu’il réussit à dénicher son slip. Tu n’aurais pas de la pommade quelque part ? J’ai vraiment mal.
— Oh, merde, je suis vraiment navrée, Jesse.
Elle file dans la salle de bains et en ramène un tube d’onguent pour les hémorroïdes, un vaporisateur d’antibiotiques et une serviette jetable.
— Laisse-moi au moins te désinfecter et te panser. Je te promets de faire ça en douceur. Je ne voulais pas te blesser.
Elle s’agenouille devant lui et, avant qu’il ait eu le temps de réagir, elle lui applique la serviette. Il pousse un petit cri de douleur, mais elle fait preuve d’autant de douceur que d’efficacité pour nettoyer son pénis, puis elle l’asperge d’antibiotique.
— Mon Dieu, j’espère que ça ne saignait pas quand tu m’as enculée, sinon il y aura de sérieux risques d’infection… Tu as un médecin traitant ? Je peux te recommander le mien et je paierai la note…
— Tu sembles vraiment regretter ce que tu as fait.
La douleur s’est un peu atténuée, et Jesse ne peut s’empêcher d’être ému par la sollicitude dont elle fait preuve. Quand elle lui applique la pommade, le soulagement est tel qu’il finit par se détendre.
— Jesse, je n’arrive pas à croire que j’aie pu agir comme je l’ai fait. Est-ce que ça va mieux ?
— Ça peut aller.
Il se dégage doucement et achève de se rhabiller. Sa souffrance et sa terreur se sont dissipées.
— Tu vas me trouver idiote, mais j’aimerais vraiment que tu restes pour dîner. J’aimerais t’expliquer ce qui m’a pris et me réconcilier avec toi.
Les sentiments qui habitent Jesse ont changé de nature, mais encore une fois il hésite à se tirer : il meurt de curiosité, voilà tout.
— Okay. De toute façon, personne ne me croira si je raconte ce qui m’est arrivé, alors autant aller jusqu’au bout du délire.
— Laisse-moi le temps d’enfiler quelque chose. J’espère que tu n’as rien contre les gros pulls et les pantalons lâches : c’est la tenue que je préfère et j’ai laissé toutes mes robes du soir en Alaska.
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