Il réprime à grand-peine son fou rire quand il constate qu’elle a les seins aussi gros que la tête. C’est si grotesque qu’il s’en veut d’être excité.
— Tu n’as jamais pincé un nichon de star ? lui demande-t-elle.
— N… non. Pour… pourquoi…
— Chut. Pas encore. Tu vois ces deux types ?
— Oui.
Deux ouvriers ordinaires de cette ville ordinaire ; ils ont fini leur journée, ils sont rentrés chez eux pour jouer un peu avec leurs enfants, bavarder un peu avec leur femme, et à présent ils vont manger un morceau et boire un coup…
Il espère qu’elle n’a pas l’intention de les inviter à se joindre à eux.
Une petite voix dans son crâne lui fait remarquer qu’elle ne le menace en aucune manière, qu’il pourrait parfaitement lui dire : « Euh… Synthi… ou miss Waterhouse, peu importe… ça devient trop bizarre pour moi et je crois que je vais vous laisser…»
C’est ce qu’il devrait faire, et il le sait. Ce genre de fantasme est okay sur la XV, mais premièrement, et même s’il est à jour de ses rappels, le SIDA, l’ARTS et la SPM mutent tous les cinq ou six mois, et s’il y a une partenaire susceptible de lui refiler le modèle dernier cri, c’est bien celle-ci. En outre, vu sa conduite, elle est sûrement à moitié cinglée, et Dieu sait ce qu’elle va faire quand ils se retrouveront tout seuls – le blesser, sortir son Self-Defender, son rasoir ou autre chose. Comment réagiraient les flics en découvrant un Gauchiste tué par balle et une star de la XV porteuse d’échantillons de son sperme et affirmant avoir été violée ? Est-ce que les flics du coin sont équipés pour répondre au signal radio d’un Self-Defender ?
Il frissonne et elle en profite aussitôt pour glisser sa main sous le soutien-gorge. À son grand étonnement, il découvre que le sein qu’il est en train de palper n’est ni doux au toucher, ni rebondi comme ceux de Naomi, mais qu’il évoque un pneu légèrement sous-gonflé. Il sent sous la peau de fins câbles plutôt souples : les ligaments artificiels qui assurent le maintien de l’ensemble.
Elle lui donne un coup de hanche, et les deux hommes ouvrent de grands yeux étonnés en voyant son manège. Sans cesser de se trémousser, elle chuchote : « Vas-y, vas-y à fond. » Comme hypnotisé, Jesse glisse sa main sous le tissu, enfouissant son visage dans la masse de cheveux roux – une drôle d’odeur monte à ses narines, et il comprend qu’elle a un peu forcé sur le parfum –, et se retrouve à caresser un mamelon aussi gros qu’une balle de ping-pong.
Elle glapit, se cambre, gémit, hoquette. Sa main se referme sur celle de Jesse, et elle se frotte de bas en haut, haletante et grognante.
Les deux hommes continuent de les regarder. Jesse a envie de garder les yeux baissés, mais s’il le fait, son attention sera fixée sur les gémissements de Synthi, sur le sein qu’il empoigne. Il dirige son regard vers les deux témoins, découvre leurs souliers cirés, leurs pantalons au pli impeccable, leurs chemises d’un blanc immaculé… et leurs yeux fascinés. Ils ne semblent ni excités ni jaloux – le spectacle qui s’offre à eux, se dit Jesse, n’est ni plus ni moins que celui d’un couple de gringos mal élevés.
Synthi semble en proie à un orgasme de première grandeur ; les deux hommes la contemplent comme si elle n’était qu’un phénomène de foire, et l’un d’eux fait un petit signe à Jesse, comme pour le féliciter d’une telle conquête. Il a envie de leur dire que ça ne lui ressemble pas, qu’il n’est pas du genre à s’exhiber ainsi… mais ils se sont déjà éclipsés.
Elle se calme, lui retire la main de sa poitrine et la pose sur son épaule.
— Bon Dieu, ça fait du bien de feindre l’orgasme sans être espionnée par dix millions de branchés à qui on ne la fait pas. Alors, que dis-tu de mes nichons de synthèse ?
— Euh… je…
— Rien à voir avec le modèle naturel, pas vrai ? Mais attends de les voir s’agiter au-dessus de ta tête. Allez, viens, la petite maison que j’ai louée est juste au coin de la rue. Je t’avertis, les domestiques vont te faire la gueule – Mrs. Herrera est adorable, mais c’est une vingtiémiste pur jus, et son mari Tomás ressemble davantage à un jardinier qu’à un valet – aucune complicité de ce côté, si tu vois ce que je veux dire…
Il se laisse emporter, incapable de définir les sentiments qui l’habitent. Il a l’impression que des papillons volettent dans son estomac, comme s’il était sur le point de vomir, il a les jambes en coton, mais d’un autre côté, jamais il n’a eu une telle trique de sa vie.
Il se dit soudain qu’il suffit peut-être de plusieurs années de programmation pour le pousser à désirer ça plutôt qu’une vraie femme ; s’il avait le temps de réfléchir ne serait-ce qu’une minute, peut-être déciderait-il de prendre ses jambes à son cou…
Mais une petite voix lui souffle qu’il ne doit pas laisser passer une telle occasion s’il ne veut pas mourir idiot.
La « petite maison » qu’elle loue abriterait facilement quatre familles aisées de Tapachula ; en fait, il l’a déjà aperçue en se promenant dans le quartier et l’a prise pour un immeuble collectif. La porte s’ouvre devant eux dès qu’ils s’en approchent – apparemment, le petit homme musclé et bien vêtu qui les accueille n’a rien de mieux à faire que de regarder l’allée.
Contrairement à ce qu’elle lui a laissé entendre, son domestique ne semble ni surpris ni fâché.
— Miss Waterhouse, dit-il. Désirez-vous…
— Nous serons dans la chambre principale, señor Herrera, et peut-être que ce gentleman restera pour dîner.
Après avoir gravi un escalier de marbre au-dessus duquel il semble flotter, Jesse découvre une immense chambre qui lui évoque un décor de cinéma. Le velours cramoisi y figure en abondance et cette touche, qui était sans doute jadis considérée comme sensuelle, lui rappelle plutôt les salles de cinéma restaurées à l’intention des touristes que l’on trouve à Oaxaca et à San Cristóbal. Il a la tête qui tourne – peut-être est-il plus ivre qu’il ne l’a cru, et ils ont monté cet escalier un peu trop vite.
Un des avantages de la tenue des filles gauchistes, c’est qu’elle s’enlève en un tournemain et qu’elle ne présente aucun obstacle aux mains baladeuses. Synthi Venture (si c’est bien elle) met environ un quart de seconde à ôter ses sandales, à déboutonner son chemisier, à dégrafer son soutien-gorge et à se défaire de sa jupe et de son slip.
Jesse est stupéfait : non seulement ses cheveux sont rouge vif, mais en outre leur texture infirme l’hypothèse d’une teinture, et sa toison pubienne, qui dissimule à peine sa vulve rose pâle, est d’une nuance légèrement plus vive. Elle a un petit rire de gorge et, pour la première fois, il se rend compte qu’elle est complètement bourrée, ou alors défoncée (sans doute a-t-elle les moyens de s’offrir les drogues dernier cri), à moins que le centre de plaisir de son cerveau ne soit passé dans la zone rouge – il paraît que les stars de la XV sont programmées pour ça.
Elle exécute une petite pirouette, et il aperçoit de fines cicatrices sur son cul et ses cuisses, altérés pour acquérir une impossible perfection, et lorsqu’elle se retourne, il distingue une étrange plaque sous son ventre et comprend qu’on l’a pourvue d’une gaine sous-cutanée pour pallier les défaillances de sa paroi abdominale.
Et à présent qu’ils sont bien visibles, ses seins démesurés laissent eux aussi apparaître des cicatrices, traces des opérations destinées à les rendre conformes aux fantasmes mammaires de la gent masculine. Vue de loin, dans l’obscurité, ou à travers le filtre de la XV, elle semblerait d’une perfection quasiment magique ; mais ici, en pleine lumière, dans ce décor un peu kitsch, Jesse n’a aucune peine à la voir sous toutes les coutures, et la magie se dissipe.
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