Elle en avait deux, de quatre et six ans, et son mari, Royal, dirigeait le département de sociologie d’une des universités new-yorkaises. Joanna, à son tour, parla de Walter, de Pete, de Kim et de ses photos.
Elles échangèrent leurs numéros de téléphone.
— Je me suis faite ermite tout le temps où j’ai travaillé sur Penny , dit Ruth-Anne. Mais je vous appellerai un de ces jours.
— Non, c’est moi qui vous téléphonerai. Si vous êtes occupée, n’hésitez pas à me le dire. Je tiens à vous faire connaître Bobbie. Je suis sûre que vous sympathiserez, toutes les deux.
Elles regagnaient leurs voitures respectives, qu’elles avaient laissées devant la bibliothèque – quand Joanna aperçut Dale Coba qui l’observait de loin. Un agneau dans les bras, il était accompagné d’un petit groupe d’hommes qui installaient une crèche près du cottage de la Société d’Émulation. Elle lui adressa un signe de tête, et lui, brandissant l’agneau plus grand que nature, lui rendit aimablement son salut.
Elle expliqua à sa compagne de qui il s’agissait et lui demanda si elle savait que Stepford comptait Ike Mazzard parmi ses habitants.
— Qui ça ?
— Ike Mazzard. Le dessinateur.
Ruth n’en avait jamais entendu parler, ce qui donna à Joanna le sentiment d’être très vieille. Ou très blanche.
* * *
La présence d’Adam au week-end se révéla un succès mitigé. Le samedi, les trois enfants jouèrent à merveille ensemble dans la maison comme au-dehors. Mais le lendemain, qui fut un jour couvert et glacial, lorsque Walter revendiqua la salle de séjour pour regarder son match dominical (ce qui n’était que juste après le dimanche précédent consacré à la luge), Adam et Pete se transformèrent successivement en vaillants défenseurs d’un fort consistant en une table masquée d’une couverture, en explorateurs de caves (Défense d’entrer dans la chambre noire !) et, dans la chambre de Pete, en pionniers de la Galaxie, toutes incarnations qui, assez étrangement, partageaient un ennemi commun appelé Kim l’idiote. Vociférant des injures, ils préparaient sans relâche leurs défenses, tandis que la pauvre Kim, en authentique idiote, était obnubilée par le seul désir de jouer avec eux et se refusait à dessiner, à aider à classer des négatifs et même – au grand désespoir de Joanna – à faire de la pâtisserie. Adam et Pete se montrèrent imperméables aux menaces, Kim aux cajoleries et Walter à tout ce qui se passait autour de lui.
Joanna fut ravie de voir Bobbie et Dave venir chercher Adam.
Mais elle fut ravie aussi de sa bonne action en constatant combien ils semblaient en forme. Bobbie qui s’était fait coiffer était resplendissante – soit à cause de son maquillage, soit d’avoir fait l’amour, les deux conjugués, sans doute. Quant à Dave, il avait l’air assuré, excité, heureux. Ils apportèrent dans l’entrée une revigorante bouffée d’air froid.
— Salut, Joanna, comment cela s’est-il passé, s’écria Dave en frottant ses mains gantées de cuir.
— J’espère qu’Adam ne vous a pas créé d’ennuis ? s’enquit Bobbie drapée dans son manteau de rat d’Amérique.
— Pas l’ombre, répondit Joanna. Mais vous paraissez merveilleusement en forme, tous les deux !
— C’est plus qu’une apparence, rectifia Dave.
— Nous avons passé un week-end formidable, raconta Bobbie, radieuse. Merci de votre concours.
— Rengaine tes remerciements, rétorqua Joanna. Je médite de vous coller Pete un de ces week-ends.
— Nous serons ravis de le garder, dit Bobbie.
— Quand vous le voudrez, vous n’aurez qu’un mot à dire, renchérit Dave. Adam, c’est l’heure de partir, A-Adam !
— Il est en haut dans la chambre de Pete.
Dave mit ses mains gantées en porte-voix.
— A-Adam ! Nous sommes là. Ramasse tes affaires !
— Ôtez vos manteaux, proposa Joanna.
— Il nous reste encore à passer prendre John et Kenny, protesta Dave.
— Je suis sûre que vous avez besoin d’un peu de paix et de tranquillité, ajouta Bobbie. Ça devait être infernal.
— Je dois avouer que j’ai connu des dimanches plus reposants, reconnut Joanna. Hier, toutefois, tout a marché comme sur des roulettes.
— Bonsoir tout le monde, lança Walter qui sortait de la cuisine, un verre à la main.
— Bonsoir, Walter, répondit Bobbie.
— Salut, vieux, s’écria Dave.
— Alors, cette seconde lune de miel s’est bien passée ? demanda Walter.
— Mieux que la première, répliqua Dave. Un peu plus courte, seulement, ajouta-t-il avec un sourire entendu à l’intention de Walter.
Joanna regarda Bobbie, dans l’attente d’une réflexion pittoresque.
Mais celle-ci se contenta d’un sourire et tourna la tête vers l’escalier.
— Bonsoir, lapin-lapino, s’écria-t-elle. Tu as passé un bon week-end ?
— Je veux pas partir, protesta Adam, qui était posté en haut des marches, tout de guingois pour empêcher son gros sac en papier de toucher le sol.
Pete et Kim se tenaient derrière lui.
— Il peut rester encore une nuit ? demanda Kim.
— Non, ma chérie, demain il a classe, répondit Bobbie.
— Allons ! s’écria Dave. Descends, mon bonhomme. Il y a encore le reste de la tribu à aller chercher !
Adam obtempéra, la mine boudeuse, tandis que Joanna allait sortir son manteau et ses bottes du placard.
— À propos, fit Dave. J’ai eu des renseignements sur ces valeurs dont tu m’avais parlé.
— Tant mieux, dit Walter en entraînant Dave au salon.
Joanna passa le manteau d’Adam à Bobbie, qui la remercia et présenta le vêtement tout ouvert à Adam. Celui-ci posa son sac et enfourna ses bras dans les manches ainsi offertes.
— Je te donne un sac pour ça ? demanda Joanna, les bottes d’Adam à la main.
— Non, ne te donne pas ce mal, répondit Bobbie en faisant pivoter Adam pour l’aider à se boutonner.
— Tu sens bon, constata le gosse.
— Merci lapin-lapino !
Il leva les yeux au plafond.
— Je n’aime pas ce surnom. Avant il m’allait, mais plus maintenant, je suis trop grand.
— Je te demande pardon. Je ne recommencerai plus, dit-elle tendrement, et elle déposa un petit baiser sur son front.
Walter et Dave reparurent. Adam ramassa son sac et fit ses adieux à Pete et à Kim. Joanna tendit les bottes d’Adam à Bobbie et posa fugitivement sa joue contre la sienne. Encore toute fraîche de l’air du dehors, Bobbie, effectivement, sentait très bon.
— On s’appelle demain, hein ? dit Joanna.
— Entendu, répondit Bobbie.
Elles échangèrent un sourire. À la porte, Bobbie s’approcha de Walter et lui tendit la joue. Il hésita – Joanna se demanda pourquoi – avant d’y poser un baiser.
Après avoir embrassé Joanna, Dave donna une petite tape sur la manche de Walter.
— À bientôt, vieux, dit-il en empoignant Adam pour l’obliger à suivre sa mère.
— On peut aller dans le living maintenant ? s’enquit Pete.
— Je vous le livre, répondit Walter.
Pete s’élança au pas de course, Kim sur ses talons.
Joanna et Walter s’attardèrent devant la vitre glacée pour regarder Bobbie, Dave et Adam monter en voiture.
— C’est fantastique ! constata Walter.
— Tu ne trouves pas qu’ils tiennent la forme ? demanda Joanna. Même à notre dîner, Bobbie n’avait pas cet éclat. À propos, pourquoi ne l’as-tu pas embrassée ?
Walter garda le silence.
— Oh ! je n’en sais rien, répondit-il. Ça fait tellement show-business, ces baisers sur les joues.
— Je n’avais jamais encore remarqué que tu étais contre.
— Mettons que j’ai changé.
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