— Non. merci, répondit Lawler. J’ai déjà eu le privilège de l’entendre s’exprimer longuement sur ce sujet.
Ils restèrent tous deux silencieux pendant quelque temps.
— Valben, dit brusquement Sundira. C’est un drôle de nom, Valben.
— Un nom de la Terre.
— Non, certainement pas. John, Richard, Elizabeth sont des noms de la Terre. Léo a un nom de la Terre. Mais je n’ai jamais entendu le nom de Valben.
— Cela signifie-t-il pour autant que ce n’est pas un nom de la Terre ?
— Tout ce que je veux dire, c’est que je sais reconnaître les noms de la Terre et que je n’ai jamais connu personne qui s’appelait Valben.
— Alors, ce n’est peut-être pas un nom de la Terre. C’est pourtant ce que mon père m’avait affirmé, mais il s’est peut-être trompé.
— Valben, répéta-t-elle en jouant avec les sonorités. C’est peut-être un nom propre à votre famille, un nom qui vous est particulier. En tout cas, il est nouveau pour moi. Préférez-vous que je vous appelle Valben ?
— Si je préfère ? Non. Vous pouvez m’appeler Valben si vous en avez envie, mais personne ne le fait.
— Alors, comment aimez-vous qu’on vous appelle ? Vous aimez bien doc ?
— Oui, ça me va, répondit-il en haussant les épaules. On m’appelle aussi Lawler. Et quelques-uns Val. Mais ils sont très peu nombreux.
— Val. Oui, je trouve que cela sonne mieux que doc. Vous voulez bien que je vous appelle Val ?
Seuls ses plus vieux amis l’appelaient Val, des gens comme Nicko Thalheim, Nimber Tanamind ou Nestor Yanez. Cela ne sonnait pas bien dans la bouche de Sundira. Mais quelle importance ? Il s’y habituerait. Et puis Val était quand même préférable à Valben.
— Faites comme vous voulez, dit-il.
Trois jours plus tard, ils eurent à affronter une autre lame de fond qui, cette fois, venait de l’ouest. Elle était plus forte que la première, mais le magnétron leur permit d’écarter sans problème le danger. S’élever, passer par-dessus la crête, retomber dans le creux, une petite secousse à l’amerrissage et c’était tout.
Le temps demeurait frais et sec. Le convoi poursuivait sa route.
Il y eut au beau milieu de la nuit un choc sourd et violent contre la coque, comme si le navire venait de heurter un récif. Lawler se dressa sur son séant en bâillant et en se frottant les yeux. Il se demanda s’il n’avait pas rêvé. Tout était silencieux. Puis il y eut un autre bruit sourd, encore plus violent. Ce n’était donc pas un rêve. Il était encore à moitié endormi, mais déjà à moitié réveillé. Il compta une minute, une minute et demie. Un autre coup. Il perçut des craquements et des vibrations dans la membrure du navire.
Complètement réveillé, Lawler passa quelque chose autour de sa taille et se dirigea vers l’escalier des cabines. Des lumières s’étaient allumées, des silhouettes sortaient du poste d’équipage, le visage ensommeillé, dont un couple dans le plus simple appareil, sans doute comme il avait été surpris dans son sommeil. Lawler monta sur le pont. Le quart de nuit – Henders, Golghoz, Delagard, Niklaus, Thane – courait fébrilement en tous sens, se précipitant d’un côté à l’autre du navire, comme pour suivre les mouvements d’un ennemi attaquant par-dessous.
— Ils reviennent à la charge ! s’écria quelqu’un.
Un nouveau choc sourd ébranla les bordages.
Sur le pont le heurt était plus violent – le navire sembla tressaillir et s’incliner – et le bruit de l’impact sur ses œuvres vives plus net, un craquement sec, d’une intensité surprenante.
Lawler s’approcha de Dag Tharp qui se tenait devant le bastingage.
— Que se passe-t-il ?
— Regardez là-bas et vous comprendrez.
La mer était calme. Deux lunes brillaient au firmament, une de chaque côté du ciel, et la Croix, qui avait amorcé la lente descente nocturne qui se poursuivrait jusqu’à l’aube, était légèrement décalée vers l’orient. Les six navires de la flottille avaient rompu leur formation habituelle sur trois rangs et se trouvaient maintenant disposés en une sorte de cercle très lâche. Une douzaine de longues traînées phosphorescentes d’un bleu vif étaient visibles dans l’espace libre entre les navires, telles des flèches de feu fendant l’eau à une faible profondeur. Lawler observait les traînées phosphorescentes d’un air intrigué, quand il vit l’une d’elles se mettre en mouvement à une vitesse stupéfiante et filer comme une flèche dans l’obscurité droit sur l’embarcation naviguant à bâbord de son navire. Un son aigu et sinistre se fit entendre et son intensité s’accrut à mesure que le trait phosphorescent s’approchait de sa cible.
La collision eut lieu. Lawler perçut le craquement à l’impact et vit l’autre navire donner de la gîte. Des cris affaiblis lui parvinrent par-dessus l’eau.
Le trait phosphorescent recula et s’éloigna rapidement pour regagner le centre du cercle formé par les navires.
— Des poissons-pilon annonça Tharp. Ils essaient de nous envoyer par le fond.
Lawler agrippa le bastingage et se pencha vers la mer. Ses yeux commençaient à s’habituer à l’obscurité et il distinguait nettement les assaillants à la lumière que leur propre corps émettait.
On eût dit des missiles vivants, au corps effilé, longs de dix à quinze mètres, propulsés par une puissante queue à deux nageoires. Leur front arrondi était prolongé par une épaisse corne jaune, longue d’à peu près cinq mètres et aussi solide qu’un tronc d’algue-bois, à l’extrémité émoussée, mais à l’aspect redoutable. Ils nageaient avec frénésie dans l’espace dégagé entre les navires ; des mouvements furieux de la queue leur permettaient d’atteindre une vitesse incroyable et de projeter leur corne contre les flancs des navires dans l’espoir manifeste de les fracasser. Puis, avec une obstination frisant la démence, ils faisaient demi-tour, s’éloignaient pour prendre de l’élan et chargeaient avec une violence accrue. Plus vite ils nageaient, plus la luminescence irradiant de leurs flancs devenait intense et plus le son qu’ils émettaient se faisait aigu.
Kinverson apparut brusquement, traînant une sorte d’énorme chaudron de fer entouré de fibres d’algues.
— Voulez-vous me donner un coup de main, doc ?
— Où allez-vous avec ça ?
— Sur la passerelle. C’est un émetteur de vibrations sonores.
L’appareil ressemblant à un chaudron était presque trop lourd pour que Kinverson le déplace seul. Lawler saisit une petite corde à nœuds pendant de son côté et ils réussirent à eux deux à le transporter au bout du pont. Delagard les rejoignit au pied de la passerelle et ils hissèrent l’appareil en haut de la superstructure.
— Putains de poissons-pilon ! grommela Kinverson. Je savais bien qu’on aurait affaire à eux un jour ou l’autre.
Un nouveau choc fit vibrer la coque. Lawler vit un trait éblouissant de lumière bleue ricocher sur le bordage et s’éloigner à toute allure.
De toutes les étranges créatures que la mer avait envoyées contre eux, ces animaux qui se jetaient aveuglément à l’assaut des navires semblaient les plus terrifiantes. On pouvait en écraser certaines, en éviter d’autres, se méfier de filets à l’aspect bizarre, mais que faire contre ces torpilles attaquant sous l’eau en pleine nuit, ces énormes créatures acharnées à couler les navires et capables d’y parvenir ?
— Sont-ils assez forts pour percer la coque ? demanda Lawler à Delagard.
— Cela s’est déjà vu. Seigneur ! Seigneur !
La silhouette colossale de Kinverson se découpant sur le ciel à la clarté des lunes se dressait au-dessus de l’énorme chaudron qu’il avait installé à l’extrémité de la passerelle. Le pêcheur qui avait détaché un long bâton fixé sur le côté du chaudron le saisit à deux mains et l’abattit sur le couvercle du chaudron comme s’il frappait la membrane d’un tambour. Un roulement sourd et prolongé se répercuta au-dessus des flots.
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