Robert Wilson - La cabane de l'aiguilleur

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La cabane de l'aiguilleur: краткое содержание, описание и аннотация

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À la mort de sa mère, Travis Fisher est recueilli par sa tante, Liza Burack, à Haute Montagne. Malgré la Grande Dépression, la vie y est simple, rythmée par le travail à la fabrique de glace, les sermons à l’église baptiste et les sorties avec Nancy Wilcox. Travis en viendrait presque à oublier son statut d’inadapté. Mais il y a la mystérieuse Anna Blaise, elle aussi hébergée par les Burack. Qui est-elle vraiment ? Quel secret cache-t-elle dans sa chambre systématiquement close ?
Premier roman de Robert Charles Wilson,
contient déjà en germe les ingrédients qui feront le succès de l’auteur, notamment avec
 : une écriture intimiste au service de personnages attachants confrontés à une réalité qui leur échappe.

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— Maintenant ? » Le visage du gamin s’illumina.

« Tout de suite. »

Cette conversation s’était déroulée avant le repas.

Le gamin se mit aussitôt à laver les quais de chargement avec de l’eau bouillante et de l’ammoniaque. Revenant alors par petits groupes, les ouvriers observèrent avec une curiosité muette Greg et la manière enthousiaste dont Creath jouait au contremaître avec lui. Ils finirent par comprendre et lui trouver eux-mêmes des menues tâches à effectuer, restant nonchalamment appuyés aux planches souples de la glacière tandis que Greg Morrow en rentrait ou sortait les gros blocs de glace avec des pinces inadaptées. Leur rire réprimé se fit audible, et à un moment, Greg regarda autour de lui, le regard sombre de surprise et de soupçon. Mais tout le monde s’était détourné.

Après la cloche de cinq heures, le gamin revint dans le bureau de Creath fumant de sueur et de toute évidence épuisé. Normal, se dit Creath, il a travaillé pour deux.

« À quelle heure je commence, demain ?

— Fais la grasse matinée. » Creath lui adressa un grand sourire. « Le poste n’est pas disponible.

— Mais, bordel…

— On n’embauche pas. Merci quand même.

— Espèce de salaud, vous me devez un jour de paie.

— Je ne me souviens pas avoir signé quoi que ce soit, dit doucement Creath. Et surveille ton langage. »

Greg bouillit longuement de colère, mais finit par se retourner pour partir. Creath ressentit une immense satisfaction perverse. Le gamin avait accompli un sacré boulot avec cette serpillière !

Mais Greg, après une hésitation, se retourna vers lui avec un vague sourire, adoptant à nouveau une posture insolente.

« T’es trop stupide pour trouver la porte ? demanda Creath.

— Je suis peut-être bon à quelque chose, après tout. »

Creath se tint aussitôt sur ses gardes. « Je ne comprends pas.

— Vous voulez qu’elle revienne ?

— Qui donc ?

— Vous savez bien. »

L’insinuation était claire.

Creath sentit des gouttes de sueur lui perler au front. La culpabilité et le doute fondirent aussitôt sur lui. Mon Dieu, pensa-t-il, j’ai mis tout ça derrière moi.

Les démons de la chair, pensa-t-il. Ceux de… de…

« Je peux la retrouver », assura Greg Morrow, qui arborait désormais un sourire secret et insidieux. « Je sais où elle est. Je peux la retrouver. »

J’ai mis tout ça derrière moi.

« Je ne veux pas savoir, protesta Creath sans conviction. Je ne veux pas savoir !

— Possible. D’accord. Je mets les voiles. » Il ouvrit la porte.

« Non, s’entendit dire Creath. Attends…

— Oui ?

— Viens à neuf heures », céda Creath d’une voix éteinte.

Greg Morrow se contenta de hocher la tête.

Il partit, et Creath se rencogna dans sa chaise en s’épongeant le front avec son grand mouchoir à carreaux. Au bout d’un moment, il sortit la bouteille de whisky de maïs du Saskatchewan qu’il gardait dans le tiroir du bas, prohibition ou pas, et y but directement au goulot. Récidive. Mais il existait pires démons que ceux de la boisson.

La réunion évangélique lui revint en mémoire avec une force aveuglante… associée à l’agréable euphorie ayant alors fleuri derrière ses yeux comme un épineux sauvage. Les deux extases se livrèrent bataille en lui. L’extase du péché, celle de la foi. Il sentit son cœur hésiter dans sa poitrine.

Je sais où elle est , avait affirmé le garçon. Je peux la retrouver.

Était-ce possible ? Qu’elle soit toujours là, toujours à Haute Montagne, cachée quelque part… était-ce vraiment possible ?

Non, pensa Creath. C’est une ruse, un stratagème, un mensonge. Ce n’est pas possible. Il ne faut pas.

Il tendit à nouveau la main vers la bouteille.

Dieu me pardonne , pensa-t-il. Je veux qu’elle revienne.

Sa main tremblait.

Greg Morrow n’avait toujours pas digéré son humiliation lorsqu’il conduisit avec ménagement sa spasmodique Ford T jusqu’à l’extrémité sud de L’Éperon, passa devant les tours galeuses des silos et arriva à la maison de son père, avec ses portes à ressorts comme des poches revolver déchirées et son cimetière des éléphants de machinerie agricole piquetée de rouille.

Son père dormait à l’intérieur. Le crépuscule rassemblait des ombres complexes autour de la silhouette prostrée sur le canapé du salon. Bien entendu, une bouteille de gnôle gisait près de lui sur le plancher.

Une bouffée de dégoût monta en Greg. Il ne nourrissait aucune illusion sur le genre d’homme qu’était son père. Vachement pauvre, pensa-t-il, vachement saoul… et vachement con.

Il entra d’un pas lourd dans la cuisine. Il y avait dans le placard des boîtes de conserve données par les églises, quelques-unes, pas beaucoup. Hoover, l’un des cinq chats vieillissants et incontinents de son père, était assis d’un air satisfait sur le comptoir en bois. Greg tendit le bras pour le chasser sur le linoléum craquelé.

Vachement con, pensa-t-il, oui, ça le résume bien. Ce village avait réduit son père à une espèce de ruine, à un analogue vivant des épaves pourrissant devant la maison, sans autre raison pour cela qu’une connerie aveugle et suffisante.

Greg ne s’était pas très bien débrouillé à l’école, qu’il avait de toute manière quittée dès l’âge de travailler. Mais il avait découvert une vérité simple qui le hissait au-dessus du niveau de son père.

Les petites actions, pensa-t-il, ont de grandes conséquences.

On tirait des ficelles. Voilà comment on faisait. Il avait observé les huiles du village, et c’était comme cela qu’elles procédaient. Rien de gros, de voyant. Un petit coup ici ou là.

Il avait aussi appris que n’importe qui pouvait le faire.

Aujourd’hui, par exemple. D’accord, il y avait eu cette humiliation à la fabrique de glace. Mais il s’était aussi trouvé un travail.

Et il a suffi pour cela d’un mot, pensa-t-il. Le bon mot.

Il lui arrivait de désirer communiquer cette vérité à son père. Si on te frappe, voulait-il lui faire comprendre, tu n’es pas obligé de rendre les coups, et tu n’es pas obligé de subir (même si son père avait abondamment fait l’un et l’autre), il suffit juste d’observer . Et de savoir . Et d’apprendre les mots à dire, les ficelles à tirer.

La revanche était possible.

Greg gardait en esprit une liste de chaque humiliation subie, de chaque coup reçu. Par lui ou par son père. Souvenirs polis à force de ressassement.

Il pensa à Creath Burack. Il pensa à Travis Fisher et à Nancy Wilcox.

Des ficelles, pensa-t-il. Un tas de ficelles, avec ceux-là.

Il ouvrit une boîte de haricots et chassa Hoover, qui miaulait, par la porte de derrière.

La nuit avait commencé à tomber.

Travis rêvait dans le noir sous le pont à chevalets.

Ses rêves manquaient de cohérence. Il délirait à cause du froid, des visions le dévastaient. Il rêva de la Femme Pâle, qu’il reconnut d’une vie de rêves : pure, virginale, vêtue de blanc, elle avait le visage de sa mère, et parfois celui d’Anna, ou, bizarrement, de Nancy. Il lui suffit de la regarder pour la savoir intacte, totalement féminine et désirable… et il eut honte de sa propre excitation. Il voulut la toucher, la profaner. Et dans le rêve, elle ne cessait de s’éloigner de lui, de battre en retraite, inapprochable ; sa pureté, comme une espèce de principe fondamental, était préservée.

Il s’éveilla en frissonnant dans l’obscurité au moment où le train de fret de nuit passa au-dessus de lui. Des étincelles plurent et le rugissement lui causa une vague douleur dans les oreilles. Une fois le train parti, il ne resta que le bruit du vent de la plaine vibrant dans les hautes poutrelles du pont.

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