— Ah, oui ? Alors, j’ai un billet de loterie pour vous ! Vous voyez ? Quelle veine ! Vous tombez comme ça et j’ai précisément ce qu’il vous faut. Ça ne coûte que vingt ours [12] L’animal symbole de la Californie. (N.d.T.)
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Je lui ai tendu un billet d’un dollar canadien.
— Ah ! je n’ai pas la monnaie.
— Gardez tout. Ça me portera chance.
Elle a pris le billet.
— Chérie, vous êtes quelqu’un qui me plaît. Quand vous viendrez chercher votre argent, nous prendrons un verre. Et vous, monsieur, vous avez trouvé le numéro qui vous plaît ?
— Pas encore. Je suis né le neuvième jour du neuvième mois de la neuvième année de la neuvième décennie. Est-ce que vous avez une solution à me proposer ?
— Mmm ! Quel mélange affreux ! Je vais essayer… Et si je n’y arrive pas, je ne vous vends rien, d’accord ?
Elle a plongé dans ses piles de billets et de diagrammes en chantonnant doucement. Puis elle a regardé sous le comptoir, a farfouillé un peu partout. Finalement, elle a refait surface avec un sourire rayonnant, en brandissant un billet de loterie.
— Je l’ai ! Regardez un peu ça !
Le numéro était le 8109999.
— Je suis très impressionné, a déclaré Georges.
— Impressionné ? Mais vous êtes riche ! Il y a les quatre neuf dont vous avez besoin. Maintenant, ajoutez les nombres impairs. Vous avez neuf encore une fois. Faites la division. Encore une fois neuf. Ajoutez les quatre derniers chiffres. Ça nous fait trente-six. Non… quoi que vous fassiez, vous trouverez toujours les données de votre naissance. Qu’est-ce que vous désirez, monsieur ? Des danseuses ?
— Je vous dois combien ?
— Là, le chiffre est spécial. Vous pouvez avoir n’importe quel autre numéro pour vingt ours. Mais celui-là… Je vous propose une chose : mettez de l’argent devant moi jusqu’à ce que je vous fasse un sourire.
— Ça me semble correct. Et si vous ne souriez pas au moment où je pense que vous devriez sourire, je reprends mon argent, c’est ça ?… Et je m’en vais.
— A moins que je ne vous rappelle.
— Non, pas question. Si vous ne me proposez pas un prix fixe, je ne vous laisserai pas discuter.
— Eh ! vous êtes plutôt dur. Je voulais seulement…
L’hymne américain a éclaté tout à coup dans tous les haut-parleurs, suivi du Golden Bear Forever californien.
— Attendez ! Ça sera bientôt fini ! a crié la jeune femme.
Une foule de gens a franchi le seuil et traversé la coupole en suivant le couloir principal. J’ai repéré aussitôt notre Chef emplumé mais, cette fois, il était bien entouré et un assassin éventuel aurait eu du mal à l’atteindre.
Quand il fut possible d’entendre de nouveau quelque chose, la jeune femme nous a dit :
— Il est sorti il y a moins d’un quart d’heure. Si ça n’était pas pour quelque chose de sérieux, je me demande bien pourquoi il n’a pas envoyé quelqu’un à sa place. Tout ce boucan, ça n’est bon pour personne. Et alors, vous avez décidé quel prix vous étiez prêt à mettre pour être enfin riche ?
— Oh, oui ! a déclaré Georges d’un air grave en posant un billet de trois dollars devant elle sans la quitter des yeux.
Pendant plusieurs longues secondes, leurs regards se sont affrontés. Puis elle a dit d’un air triste :
— Je souris. Oui, je pense que je souris. (Elle a pris les trois dollars d’une main et tendu le billet de loterie de l’autre.) Je crois quand même que j’aurais pu vous soutirer un dollar de mieux.
— Ça, on ne le saura jamais, pas vrai ?
— Quitte ou double ?
— Avec vos cartes ? a demandé doucement Georges.
— Je crois que vous allez m’épuiser. Disparaissez avant que je ne change d’idée.
— Les toilettes ?
— Au fond du couloir à ma gauche. Eh ! admirez le dessin en passant.
Tandis que nous nous dirigions vers les toilettes, Georges me dit tranquillement, en français, que des gendarmes étaient passés pendant que nous discutions, qu’ils avaient fouillé les toilettes, et qu’ils étaient revenus sous la coupole.
Je l’ai interrompu – en français également – pour lui dire que je savais cela mais que le coin devait être truffé d’Yeux et d’Oreilles et qu’il valait mieux ne pas parler.
Mais je ne voulais pas le rembarrer. Il avait réussi à discuter tranquillement du prix des billets de loterie pendant que les gardes nous cherchaient. Pas mal. Du vrai travail de professionnel.
Mais il ne fallait pas que je lui dise ça tout de suite. A l’entrée des toilettes, une personne de sexe indéterminé vendait des tickets. Je lui ai demandé où étaient les toilettes dames. Il ou elle ?… Les deux petits mamelons que je distinguais sous son T-shirt pouvaient être faux.
— Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Vous êtes dingue ou quoi ? Vous voudriez qu’on fasse de la discrimination dans les toilettes, c’est ça ?… Oh ! je crois bien que je devrais appeler un flic… (Elle me regarda plus attentivement.) Ou alors vous n’êtes pas d’ici… C’est ça ?…
Oui, j’admis que je n’étais pas du coin.
— Compris. Mais ne dites pas des choses comme celle que vous venez de dire. Ça risque de ne pas plaire. Nous vivons en démocratie, vous comprenez ? C’est la même chose pour tout le monde. Alors, vous prenez un ticket ou vous dégagez l’entrée…
Georges a pris nos deux tickets.
Sur notre droite, en entrant, il y avait une rangée de cabines ouvertes. Au-dessus de chacune, un holo annonçait :
CES TOILETTES SONT A VOTRE DISPOSITION POUR VOTRE HYGIENE ET VOTRE CONFORT, GRATUITEMENT, GRACE A LA CONFEDERATION DE CALIFORNIE – JOHN TUMBRIL, DIT « CRI DE GUERRE », CHEF DE LA CONFEDERATION.
Le tout était surmonté d’un holo grandeur nature du Chef.
Plus loin, les cabines avaient des portes et elles étaient payantes. Au-delà, des rideaux masquaient plusieurs autres portes. L’être qui présidait au bureau de renseignements était de sexe parfaitement déterminé, si j’ose dire : la gouine bouledogue parfait pedigree. Georges me surprit en achetant un flacon de parfum à bon marché et quelques tubes de maquillage. Ensuite, il demanda un ticket pour les cabines du fond, celles qui se trouvaient derrière les rideaux.
— Un seul ticket ? (La créature le regarda d’un air incisif.) Oh, le vilain ! Pas de cochonneries ici, mon grand.
Georges ne répliqua pas. Il lui tendit simplement un billet d’un dollar canadien qui disparut aussitôt.
— Bon, souffla-t-elle. Ne restez pas longtemps. Et si je sonne, essayez d’être présentable en une seconde, d’accord ? Numéro sept, au fond à droite.
Georges a tiré soigneusement le rideau, remonté le zip avant d’ouvrir l’eau froide en grand. Très vite, il m’a dit en français que nous allions transformer notre apparence sans avoir recours à des déguisements.
— … alors, ma chérie, je t’en prie, déshabille-toi et mets ce vêtement que tu as dans ton sac.
Ce qu’il voulait, m’expliqua-t-il plus avant sans cesser de faire du bruit, de tirer la chasse, d’ouvrir et de fermer les robinets, c’était que je porte mon Superskin, que je me maquille de façon outrée, que je finisse par ressembler à une prostituée de Babylone.
— Je sais que ce n’est pas ton métier, ma douce, mais fais ton possible.
— Je vais essayer d’être… « adéquate », c’est cela ?
— Et toc !
— Et tu as l’intention de porter les vêtements de Janet ? Je ne pense pas qu’ils t’aillent, très sincèrement.
— Non, pas question de jouer les travelos.
— Pardon ?
— Je veux dire que je ne vais pas porter des vêtements de femme. Je vais simplement me débrouiller pour avoir l’air efféminé.
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