Liefste Hannie (ainsi commençait-elle),
Ik hoop dat je deze brief krijgt. Ik probeer hem met de postboot vanuit Goose Bay te versturen.
Ik mis je heel erg. Dit is een afschuwelijke oorlog in een vreseleijk land… ijzig koud in de winter en walgelijk heet en vochtig in de zomer. De vliegen eten je levend, en de bestuurders hier zijn tirannen. Ik verlang er zo naar om je mijn armen te houden !
« Qu’est-ce que ça veut dire ? » ai-je demandé.
Le major Ramsden a davantage froncé les sourcils et m’a regardé avec animosité avant de répondre : « En gros, il parle de sa haine de l’Amérique.
— Il déteste l’Amérique ?
— Comme tous les Hollandais.
— Pourquoi nous déteste-t-il ? »
Le major Ramsden a jeté un coup d’œil au texte. « Pour nos libertés », a-t-il répondu.
Coïncidence, cela avait été le sujet du jour au service du Dominion : les libertés que nous avait octroyées Dieu et la haine instinctive que leur vouait l’ennemi. « Est-ce qu’il dit quelles libertés le contrarient à ce point ? Celle de réunion pieuse ? De parole acceptable ?
— Toutes celles-là.
— Et ça ? »
Je désignais la seconde feuille de la lettre, sur laquelle le Hollandais avait rapidement dessiné à la plume quelque chose d’ambigu : peut-être un animal, ou une patate douce, avec des taches et une queue. On trouvait écrit dessous :
Fikkie mis ik ook !
« Ça signifie : les Américains sont tous des chiens », a expliqué le major.
Je n’ai pu que m’émerveiller du fanatisme des Mitteleuropéens et de la haine irrationnelle que leurs dirigeants avaient insufflée en eux.
Durant les quelques mois qui ont suivi, notre régiment a en grande partie été dispensé de guerre, dont il a néanmoins subi les conséquences. On nous a expliqué au cours d’une série de rassemblements généraux que l’attaque hollandaise sur Montréal n’avait été en réalité qu’une feinte de quelques divisions mitteleuropéennes. Les véritables combats s’étaient déroulés sur le Saguenay, à l’endroit où il se jetait dans le Saint-Laurent à l’est de Québec. Notre marine d’eau douce, commandée par l’amiral Bolen, avait livré là-bas une bataille rangée contre une flotte de canonnières ennemies lourdement blindées, subrepticement assemblée sur le lac Saint-Jean par les Hollandais. Nous avions perdu de nombreux navires dans l’affrontement et on avait vu des épaves en feu, sur lesquelles flottaient encore parfois les Treize Bandes et les Soixante Étoiles, descendre le Saint-Laurent comme ces bougies flottantes que les Japonais mettent à l’eau pour honorer leurs morts [32] M. Easton décrit cette émouvante coutume dans son roman de 2168, Un marin de l’Union en Orient.
. Les Hollandais ont entrepris de bâtir près de Tadoussac des fortifications qui surplombaient le fleuve et dans lesquelles ils ont placé leur meilleure artillerie, dont un canon chinois, afin de harceler la navigation de l’Union et d’étrangler le commerce américain. Il n’a donc pas tardé à devenir évident que le but de la campagne de 2173 serait de réduire ces fortifications tout en maintenant un cordon protecteur autour de Montréal et de Québec.
Aussi a-t-on expédié la majeure partie de l’armée des Laurentides par bateaux dans l’Est afin de prendre part à la bataille terrestre. Il fallait toutefois garder des troupes stationnées à Montréal, responsabilité qui a incombé aux moins chevronnées d’entre elles, dont notre régiment de conscrits originaires de l’Ouest.
J’ai regretté de ne pas pouvoir livrer les batailles de l’été, sentiment dont Julian s’est toutefois moqué en disant que nous avions de la chance et que si celle-ci durait, nous serions peut-être rendus à la vie civile sans autre carnage que la bataille de Mascouche, ce qui serait parfait. Mon patriotisme, ou mon ingénuité, brillait cependant d’un feu plus vif que celui de Julian, et il m’arrivait de m’égarer à penser à tous les Hollandais tués par d’autres soldats et à la pénurie que cela créait pour le reste d’entre nous.
Il y avait toutefois des bons côtés : on nous a accordé beaucoup de permissions de détente à Montréal cet été-là, et je désirais vivement avoir une nouvelle occasion de rencontrer Calyxa, voire peut-être d’apprendre son nom de famille.
Notre première permission a cependant été annulée à cause d’un événement qui concernait Julian et qui a rembruni le camp tout entier.
Un colonel nouvelle mode, affecté depuis peu par New York, ayant décidé que notre campement arrivait trop près de nos parapets, j’ai été désigné avec d’autres pour déplacer les tentes incriminées. Sauf que, depuis leur installation, les tentes avaient pris toutes les caractéristiques d’un logement de longue durée, avec de grossiers foyers de cuisson, des tuyaux de poêle en boue séchée, des fils à linge et toutes sortes de complications domestiques, aussi le travail s’était-il poursuivi jusque tard dans la nuit et n’avais-je pas beaucoup dormi quand la main de Sam Godwin sur mon épaule m’a tiré du sommeil le lendemain matin.
« Debout, Adam. Julian a besoin de ton aide.
— Qu’est-ce qu’il a encore fait ? » ai-je demandé en me frottant les yeux de mes mains encore sales de mes corvées nocturnes.
« Rien que parler inconsidérément, comme d’habitude. Sauf que le major Lampret en a eu vent et qu’il a convoqué Julian à son quartier général pour ce qu’il appelle “une discussion”.
— Julian peut se débrouiller seul dans une discussion, quand même ? J’aimerais dormir encore une heure puis aller me baigner dans la rivière, si ça ne dérange personne.
— Tu te baigneras plus tard ! Je ne te demande pas d’accompagner Julian pour lui tenir la main. Je veux que tu te caches près de la tente de Lampret pour écouter leur conversation. Prends des notes, s’il faut, ou sers-toi juste de ta mémoire. Ensuite, viens me raconter ce qui s’est passé.
— Tu ne peux pas simplement demander à Julian quand il reviendra ?
— Lampret est un officier du Dominion. Il a le pouvoir de muter Julian dans une autre compagnie ou même de l’envoyer au front, et ce à n’importe quel moment. S’il est assez fâché, il ne donnera peut-être pas à Julian le temps de faire son paquetage… dans le pire des cas, on pourrait ne plus revoir Julian, ni découvrir où il a été envoyé. »
Ses explications tenaient debout et ont suscité mon inquiétude. J’ai dit (dernière défense, pleine de regret) : « Tu ne peux pas espionner leur conversation aussi bien que moi ?
— On pourrait pardonner à un jeune soldat plein de boue qui a été de corvée toute la nuit de s’endormir entre les cordes et les tonneaux près de la tente de Lampret. Je n’ai pas cette excuse-là et mon âge me fait remarquer. Vas-y, Adam, il n’y a pas de temps à perdre ! »
Je me suis donc secoué puis réveillé complètement en buvant un peu d’eau tiède dans une cantine. Je suis allé jusqu’au quartier général du major Lampret, simple grande tente carrée plantée près du dédale des nouvelles fournitures de l’intendant. C’est cet excédent de tonneaux, caisses, cordes et équipement en vrac qui m’a fourni ma couverture, comme l’avait suggéré Sam. Trois convois avaient déchargé pas plus tard que la veille et notre intendant se démenait pour essayer de distribuer, emmagasiner et répartir cette manne. Cela m’a permis d’entrer d’un pas nonchalant dans un labyrinthe de biens empilés et d’y négocier mon chemin jusqu’aux fournitures stockées sur plusieurs niveaux juste à côté de la tente du major Lampret. Je les ai déplacées de manière ingénieuse et sans un bruit pour pratiquer une cachette dans laquelle je me suis recroquevillé tout contre la toile.
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