René Barjavel - La nuit des temps

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La nuit des temps: краткое содержание, описание и аннотация

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Mais le jet n’était plus droit. Les chocs contre les roches avaient faussé la tuyère d’éjection. Le jet déviait vers la gauche et rugissait en tire-bouchon. Le sous-marin se mit à vriller sur lui-même comme une mèche, collant les deux hommes contre ses parois, vira à cent degrés, et se jeta contre une muraille de glace. Il y pénétra d’un mètre. Elle s’écroula sur lui et le broya. Le vent et la mer emportèrent dans une écume rouge des débris de chair et de métal.

Les caméras des deux avions-fusées enregistrèrent et expédièrent l’image du choc et de l’éparpillement.

La base fourmillait. Les savants, les techniciens, les cuisiniers, les balayeurs, les infirmières, les femmes de chambre avaient jeté en hâte leurs plus précieuses bricoles dans des valises distendues, et fuyaient EPI 2 et 3. Les snodogs les recueillaient à la sortie des bâtiments et les transportaient jusqu’aux entrées d’EPI 1. Dans le cœur de la montagne de glace, ils reprenaient baleine, leur cœur se calmait, ils se sentaient à l’abri. Ils se croyaient...

Maxwell savait bien que ce n’était pas vrai. Même si la Pile ne sautait pas, si elle était seulement fissurée et se mettait à cracher ses liquides et ses gaz mortels, le vent allait les emporter et en badigeonner le paysage jusqu’à la montagne de glace qui les arrêterait dans leur course horizontale et s’en gaverait. Le vent, ici, soufflait plus ou moins fort. Mais il soufflait toujours dans la même direction. Du centre du continent vers le bord. D’EPI 2 vers EPI 1. Inexorablement. Personne ne pourrait plus sortir des galeries de la montagne. Et, rapidement, les radiations y entreraient, par le système de ventilation qui cueillait l’air au moyen de vingt-trois cheminées. Il se ferait un plaisir de cueillir en même temps toutes les saletés rongeantes crachées par la Pile éventrée.

Maxwell répéta calmement :

— C’est très simple ! Il faut évacuer...

Comment ? Aucun hélico ne pouvait prendre l’air. Les snodogs, à la rigueur, pouvaient s’enfoncer dans la tempête. Il y en avait dix-sept. Il fallait en garder trois pour Coban, Eléa et les équipes de réanimateurs.

— Plutôt quatre. Et ils seront serrés.

— Tant mieux, ça tient chaud.

— Reste treize.

— Mauvais chiffre.

— Ne soyons pas stupides...

— Treize, ou mettons quatorze, à dix personnes par véhicule...

— On en mettra vingt !

— Bon, vingt. Vingt fois quatorze, ça fait... ça fait combien ?

— Deux cent quatre-vingts...

— L’effectif de la base, depuis la fin des gros travaux, est réduit à mille sept cent quarante-neuf personnes ? Ça fait combien de voyages ? Mille sept cent quarante-neuf divisé par deux cent quatre-vingts...

— Sept ou huit voyages, mettons dix.

— Bon, c’est faisable. On organise un convoi, les snodogs vont déposer leurs passagers et reviennent en chercher d’autres...

— Vont déposer leurs passagers où ?

— Comment, où ?

— L’abri le plus proche est la base Scott. A six cents kilomètres. S’ils n’ont pas de pépins, il leur faudra deux semaines pour y arriver. Et si on les dépose hors d’un abri, ils gèleront en trois minutes. A moins que le vent se calme...

— Alors ?

— Alors... Wait and see...

— Attendre ! Attendre ! quand ça peut sauter...

— Qu’est-ce qu’on en sait ?

— Comment, qu’est-ce qu’on en sait ?...

— Qui a dit que ces mines allaient sauter, même si on n’y touchait pas ? C’est Lukos. Qui nous prouve qu’il a dit vrai ? Elles ne sauteront peut-être que si on les bouscule. Ne les bousculons pas ! Et même si elles sautent, qui nous prouve que la Pile subira des dégâts ? Maxwell, vous pouvez l’affirmer ?

— Certainement pas. J’affirme seulement que je crains. Et je pense qu’il faut évacuer.

— Elle ne bougera peut-être pas du tout, votre Pile ! Vous ne pouvez pas faire quelque chose ? La protéger davantage ? Enlever l’uranium ? Vider les circuits ? Faire quelque chose, quoi ?

Maxwell regarda Rochefoux qui lui posait cette question, comme s’il lui avait demandé s’il pouvait, en levant le nez, sans bouger de sa chaise, cracher sur la Lune.

— Bon, bon... vous ne pouvez pas, je m’en doutais, une Pile, c’est une Pile... Eh bien, attendons... L’accalmie... Les démineurs... Les démineurs vont sûrement arriver. Mais l’accalmie...

— Où sont-ils, ces sacrés bon sang de démineurs ?

Le plus proche est à trois heures. Mais il se posera comment ?

— Que dit la météo ?

— La météo, c’est nous qui lui fournissons les renseignements pour ses prévisions. Si nous lui annonçons que le vent faiblit, elle nous dira qu’il y a une amélioration...

LE long de l’homme enveloppé, couchée contre lui, Eléa attendait, calme, les yeux clos. Son bras gauche était nu, et le bras de l’homme avait été découvert sur quelques centimètres à l’emplacement de la saignée. Les quelques centimètres de peau dégagée étaient marqués de plaques rouges des brûlures en voie de cicatrisation.

Ils étaient tous là, les six réanimateurs, leurs assistants, les infirmiers, les techniciens, et Simon. Personne n’avait eu un instant la pensée d’aller se mettre à l’abri dans la montagne de glace. Si les mines et la Pile sautaient qu’adviendrait-il de l’entrée du Puits ? Pourraient-ils jamais ressortir ? Ils n’y pensaient même pas. Ils étaient venus de tous les horizons de la terre pour rendre la vie à cet homme et à cette femme, ils avaient réussi avec la femme, ils tentaient avec l’homme l’opération de la dernière chance dans les limites d’un temps inconnu. Ils disposaient peut-être de quelques minutes, ils ne le savaient pas, il fallait ne pas perdre une seconde, il fallait ne rien compromettre en se hâtant. Ils étaient tous liés à Coban par les cordes du temps, pour la réussite ou pour l’échec, peut-être pour la mort.

— Attention ! Eléa dit Forster, détendez-vous. Je vais vous piquer un peu, ça ne vous fera pas mal.

Il passa sur la saignée du bras un coton imbibé d’éther, et enfonça l’aiguille creuse dans la veine gonflée par le garrot. Eléa n’avait pas frémi. Forster ôta le garrot. Moïssov mit le transfuseur en marche. Le sang d’Eléa, vermeil, presque doré, apparut dans le tube de plastique. Simon eut un frisson et sentit sa peau se hérisser. Ses jambes mollirent, ses oreilles bourdonnèrent et tout ce qu’il voyait tourna au blanc. Il fit sur lui-même un effort énorme pour rester debout, ne pas s’écrouler. Les couleurs revinrent au fond de ses yeux, son cœur cogna et retrouva son rythme.

Le diffuseur crachota et annonça en français :

— Ici Rochefoux. Une bonne nouvelle : le vent faiblit. Vitesse de la dernière rafale : deux cent huit kilomètres à l’heure. Où en êtes-vous ?

— On commence, dit Lebeau. Coban va recevoir les premières gouttes de sang dans quelques secondes.

Tout en répondant, il dégageait les tempes de l’homme-momie, nettoyait avec délicatesse la peau brûlée, et lui ceignait la tête d’un cercle d’or. Il tendit l’autre à Simon. Les brûlures profondes du cuir chevelu et de la nuque rendaient difficile l’application des électrodes de l’encéphalographe, et aléatoires ses indications. Les cercles d’or, avec un médecin à la réception, pouvaient le remplacer avantageusement.

— Dès que le cerveau recommencera à fonctionner, vous le saurez, dit Lebeau. Le subconscient se réveillera avant la conscience, et sous sa forme la plus élémentaire, la plus immobile : la mémoire. Le rêve pré-réveil ne viendra qu’après. Dès que vous aurez une image, dites-le.

Simon s’assit sur la chaise de fer. Avant de baisser la plaque frontale devant ses paupières, il regarda Eléa.

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