— Je suis désolé.
Sa voix était emplie d’inquiétude et de pitié.
En réponse, Conway tenta de faire les doux trilles et cliquetis du nom du GLNO et dont la prononciation du mot Prilicla n’était qu’une approximation maladroite. À la cinquième tentative il parvint à émettre un son relativement proche de celui qu’il avait voulu produire.
— C’est très bien, ami Conway, approuva chaleureusement Prilicla. Je ne pensais pas que votre idée permettrait d’obtenir de pareils résultats. Pouvez-vous me comprendre?
Conway chercha les mots sons qu’il désirait trouver, puis se mit à les reproduire soigneusement.
— Merci, dit-il. Et oui.
Il tenta alors de construire des phrases plus compliquées, d’exprimer des termes techniques afin de traduire des détails médicaux et physiologiques. Il y parvint pour certains et échoua pour d’autres. C’était au mieux le plus primitif des charabias, mais il persévéra. Puis il fut brusquement interrompu dans ses efforts.
— Ici, O’Mara, annonça une voix qui jaillit de l’interphone de la chambre. Vous devez vous être réveillé, à présent, et je dois vous fournir les dernières informations sur la situation, professeur. L’attaque des forces Impériales se poursuit toujours, mais elle s’est un peu atténuée depuis que nous avons reçu en renforts des volontaires extraterrestres. Il y a des Melfiens, quelques Tralthiens supplémentaires et un bataillon d’Illensiens. Vous allez donc devoir vous occuper également de PVSJ qui respirent le chlore. À l’intérieur de l’hôpital …
Suivit une énumération détaillée des pertes et du personnel encore disponible réparti par espèces, emplacement et nombre, ainsi que d’autres données sur les problèmes particuliers qui se posaient à chaque section, et sur leur urgence.
« … a vous de décider par où commencer, ajouta O’Mara. Mais le plutôt sera le mieux. Cependant, au cas où vous vous sentiriez désorienté, je répète …
— Inutile, répondit Conway. J’ai passé le cap le plus difficile.
— Bien. Comment vous sentez-vous?
— C’est épouvantable, horrible, et très bizarre.
— Votre réaction est absolument normale, déclara sèchement O’Mara. Terminé.
Conway défit la sangle qui le retenait au lit et posa ses jambes sur le sol. Il se raidit immédiatement, incapable de se lever. Parmi tous les êtres qui habitaient son esprit nombreux étaient ceux qui étaient terrorisés par l’apesanteur. Leur réaction était instinctive et c’était pour cette raison qu’elle était si difficile à surmonter. Puis, durant un instant, il fut pris de panique comme il découvrait que ses pieds n’adhéraient pas au plafond comme ceux de Prilicla. Et lorsqu’il relâcha sa prise, sur le rebord du lit, il se rendit compte avec horreur qu’il s’était retenu avec un appendice livide et flasque, affreusement différent des contours nets et durs du manipulateur qu’il s’était attendu à voir. Il parvint cependant à traverser la chambre et à s’engager dans la coursive. Il la suivit sur une distance de cinquante mètres.
Puis quelqu’un l’arrêta.
Un infirmier en colère, vêtu de l’uniforme vert du corps des Moniteurs, voulait savoir pour quelle raison il avait quitté son lit et de quelle section il venait. Le langage utilisé par le militaire était haut en couleurs et plutôt insultant.
Conway prit alors conscience de son gros corps grossier et fragile, d’un rose répugnant. Un corps absolument parfait, insistait une partie de son esprit, bien qu’un peu trop maigre. Et cette monstruosité informe et chétive était ceinte, au point où prenaient naissance ses deux appendices inférieurs, par un morceau de tissu blanc qui n’avait apparemment aucune utilité. Ce corps lui semblait ridicule autant que totalement étranger.
Bon Dieu ! pensa O’Mara qui luttait pour se dégager d’un tourbillon d’impressions étrangères. J’ai oublié de m’habiller.
La première mesure que prit Conway fut d’installer un représentant de chaque espèce dans la salle des communications. Il avait rétabli un semblant d’ordre dans le réseau en postant à chaque interphone des Moniteurs chargés d’en interdire l’usage aux extra-terrestres … si les usagers en puissance n’insistaient pas trop et n’étaient pas trop musclés. Cela permettait désormais aux membres du personnel de type terrien de communiquer entre eux. Mais avec des extra-terrestres au central, on pouvait répondre et retransmettre les appels émanant d’êtres appartenant à d’autres catégories. Conway passa près de deux heures, plus de temps qu’il n’en avait perdu partout ailleurs, pour se mettre en rapport avec les standardistes extra-terrestres et établir une liste de synonymes qui leur permettraient de transmettre des messages simples, très simples. Il était accompagné par deux Moniteurs experts en linguistique et ce furent ces derniers qui lui suggérèrent de faire un enregistrement sur bande de sa pierre de Rosette heptalingue et d’en établir d’autres pouvant convenir aux situations particulières de chaque service.
Où qu’il aille, il était suivi par Prilicla, les linguistes, et un technicien radio du corps, en plus des groupes d’infirmières qui s’agglutinaient de temps en temps autour de lui. C’était un cortège impressionnant, mais Conway n’était pas d’humeur à apprécier cela.
Le personnel soignant de type terrien représentait plus de la moitié de l’effectif global actuel, mais les blessés humains du corps des Moniteurs étaient supérieurs aux extra-terrestres dans un rapport de trente contre un. À certains niveaux, une infirmière avait sous sa responsabilité tout un service occupé par des Moniteurs, avec seulement quelques Tralthiens ou Kelgiens qui essayaient de la seconder. Dans de tels cas, le travail de Conway consistait simplement à permettre un échange minimal de termes entre infirmières humaines et extra-terrestres. Mais dans d’autres cas, lorsque le personnel médical était composé de ELNT et de FGLI alors que tous les patients placés sous leur responsabilité étaient des DBLF, des QCQL et des terriens ; que des humains devaient s’occuper de ELNT ou que des AACP végétaux devaient veiller sur un assortiment de pratiquement toutes les espèces présentes, la solution la plus simple eût été de transférer ces patients dans des services placés sous la responsabilité d’êtres de la même espèce qu’eux … mais ils ne pouvaient pas toujours être déplacés pour diverses raisons : leur cas était trop grave ; le personnel nécessaire pour effectuer le transfert n’était pas disponible ; où il n’y avait aucune infirmière appartenant à l’espèce en question. En présence de telles situations, le travail de Conway était infiniment plus complexe.
Le manque d’infirmières, quelle qu’en fût l’espèce, était un mal chronique. En ce qui concernait les médecins, la situation était désespérée. Il contacta O’Mara.
— Nous ne disposons pas d’un nombre suffisant de médecins, dit-il. Je pense que nous devrions laisser plus de liberté d’action aux infirmières tant sur le plan du diagnostic que sur celui du traitement des blessés. Elles devront faire ce qu’elles estiment être le mieux, sans attendre le feu vert des docteurs qui, de toute façon, sont bien trop occupés pour pouvoir superviser leur travail. De nombreux blessés arrivent à chaque instant et je ne peux pas trouver de …
— Faites-le, c’est vous le patron, l’interrompit durement O’Mara.
— Bien, répondit Conway, irrité. Autre chose. De nombreux médecins m’ont proposé de prendre deux ou trois bandes afin de pouvoir servir d’interprètes, en plus de la bande qu’ils ont déjà pour effectuer les interventions. Et certaines infirmières se sont également portées volontaires pour …
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