James White
Chirurgien galactique
Secteur Général — 2
« Star surgeon », 1963
Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Pugi
Librairie des Champs-Elysées,
coll. Le Masque Science-Fiction n° 116,
2 èmetrimestre 1981
Illustration de Philippe Caza
Dans l’espace, en bordure de la galaxie, là où les systèmes stellaires sont disséminés et l’obscurité presque totale, se trouvait l’Hôpital Général du Secteur Douze. À l’intérieur de ses trois cent quatre-vingt-quatre niveaux étaient reproduits les environnements de toutes les espèces connues de la Fédération Galactique : une palette biologique allant des formes de vie demeurant dans un froid intense et respirant du méthane jusqu’aux créatures exotiques qui vivaient grâce à la conversation directe de radiations radioactives, en passant par les espèces plus banales d’être évoluant dans des atmosphères d’oxygène ou de chlore. Ses milliers de hublots étaient constamment illuminés … lumières éblouissantes aux couleurs et aux intensités aussi diverses que l’exigeaient les différents organes visuels des patients et des équipes médicales extra-terrestres. Pour tout vaisseau qui approchait de l’immense hôpital, ce dernier ressemblait à un sapin de Noël démesuré et cylindrique.
Le Secteur Général représentait un double miracle de technologie et de psychologie. Le corps des Moniteurs, le service exécutif et légal de la Fédération, était chargé de son ravitaillement et de son entretien, et il veillait également à son administration. Mais les frictions traditionnelles entre membres civils et militaires du personnel étaient inexistantes. Il n’y avait pas non plus d’accrochages sérieux entre les dix mille membres du personnel médical, au sein duquel on rencontrait plus de soixante espèces aux soixante coutumes et habitudes, odeurs corporelles et philosophies différentes. Leur unique dénominateur commun était peut-être ce désir qu’éprouvait tout médecin, quelle que fût sa taille, sa forme, ou le nombre de ses membres : soigner les malades.
Les membres du personnel du Secteur Général formaient un groupe d’êtres dévoués, mais pas toujours sérieux, qui faisaient preuve d’une tolérance fanatique envers toutes les formes de vies intelligentes … car dans le cas contraire ils ne se seraient jamais trouvés dans cet établissement de soins. Et ils tiraient une certaine fierté qu’aucun cas ne fût pour eux trop grave, trop bénin ou trop désespéré. Leurs conseils et leur assistance était recherchés par les autorités médicales de toute la galaxie. Pacifistes, ils menaient une guerre continuelle contre la souffrance et la maladie, que ce fut à l’échelle d’un individu ou à celle de toute une population planétaire.
Mais il advenait parfois que le diagnostic et le traitement d’une culture interstellaire malade réclamait l’ablation chirurgicale de préjugés profondément enracinés et de valeurs morales malsaines. Et sans la coopération ou le consentement du malade cela pouvait parfois, en dépit du pacifisme des médecins concernés, conduire droit à la guerre. Point.
Le patient qui avait été amené dans le service d’observation était un spécimen de taille imposante (Conway estima qu’il devait peser dans les cinq cents kilos) et qui ressemblait à une poire géante. Cinq épais appendices tentaculaires prenaient naissance dans la section la plus étroite : la tête, et un lourd tablier de muscle, à sa base, indiquait que son mode de locomotion était apparenté à celui des gastéropodes, bien qu’il ne fût pas pour autant nécessairement lent. Toute la surface de son corps paraissait écorchée et lacérée, comme si quelqu’un avait tenté d’ôter son épiderme à l’aide d’une brosse métallique.
Conway ne trouvait rien de particulièrement étrange à l’aspect physique de son patient, ou encore à son état. Six années dans l’espace, à l’Hôpital spatial du Secteur Général, l’avaient habitué à des spectacles bien plus surprenants. Aussi s’avança-t-il pour effectuer son examen préliminaire. Le lieutenant du corps des Moniteurs qui avait accompagné la civière du patient vint immédiatement vers lui. Conway, qui avait l’impression de sentir l’haleine du Moniteur dans son cou, s’efforça de ne pas en faire cas et commença un examen visuel plus approfondi du malade.
Cinq grandes bouches s’ouvraient sous la base de chaque tentacule. Quatre d’entre elles étaient abondamment dotées de dents et la cinquième abritait le système vocal. À l’extrémité de chaque tentacule il pouvait voir les preuves de leur haut degré de spécialisation. Trois d’entre eux étaient sans conteste des membres manipulateurs, le quatrième portait les organes visuels du patient et le membre restant se terminait par une sorte de corne, une véritable massue. La tête n’avait aucun trait. Elle n était qu’un dôme osseux chargé d’abriter le cerveau.
Il n’y avait pas grand-chose d’autre à voir dans le cadre d’un examen visuel, aussi Conway se tourna-t-il pour prendre une sonde. Il écrasa le pied du Moniteur.
— Avez-vous jamais envisagé de prendre la médecine au sérieux, lieutenant? demanda-t-il avec irritation.
L’homme rougit et la couleur de son visage jura atrocement sur le vert sombre du col de son uniforme.
— Votre patient est un criminel, rétorqua-t-il sèchement. Les circonstances dans lesquelles il a été découvert prouvent qu’il a tué et dévoré l’autre membre de l’équipage de son vaisseau. Il est resté inconscient pendant son voyage jusqu’ici, mais j’ai reçu l’ordre de le surveiller, au cas où cela pourrait s’avérer utile. Je vais faire tout mon possible pour ne pas vous gêner, professeur.
Conway ravala sa salive et ses yeux se portèrent sur le gourdin corné à l’aspect menaçant, avec lequel, il n’avait aucun doute à ce sujet, l’espèce à laquelle appartenait le patient avait dû se dégager un chemin tout au long de son évolution.
— Vous savez, vous ne me gênez pas, lieutenant.
À l’aide de ses yeux et d’un scanner à rayons X portatif, Conway fit l’examen complet de son patient, tant externe qu’interne. Il effectua plusieurs prélèvements, y compris des échantillons de peau nécrosée, puis envoya le tout au laboratoire de pathologie avec trois pages de notes à l’écriture serrée. Puis il se recula et se gratta la tête.
Le patient était un être à sang chaud qui respirait de l’oxygène et, sur le plan de la gravité et de la pression, ses besoins le plaçaient, en tenant compte également de sa morphologie, dans la classification physiologique des EPLH. Il semblait souffrir d’un épithéliome très étendu et développé. Les symptômes étaient si évidents qu’il aurait commencé son traitement sans attendre le rapport du laboratoire, s’il n’y avait eu le fait qu’habituellement, un cancer de la peau ne plongeait jamais un patient dans un coma profond.
Il savait que cela pouvait indiquer des complications d’ordre psychologique et qu’en ce cas il lui faudrait faire appel à des spécialistes. Porter son choix sur un de ses collègues télépathe aurait pu paraître évident, mais les télépathes n’obtenaient que très rarement des résultats sur des patients qui ne possédaient pas également ce don et qui n’appartenaient pas à la même espèce qu’eux. Hormis en de très rares circonstances, la télépathie était une forme de communication qui n’était praticable qu’en circuit fermé. Ce qui laissait son ami le Dr Prilicla, ce GLNO sensible et empathique …
Derrière lui, le lieutenant toussa discrètement.
— Professeur, O’Mara voudrait vous voir dès que vous aurez terminé cet examen.
Читать дальше