— … Toutes les légendes sont unanimes sur un point. Lorsque l’un d’eux se pose sur une planète, c’est uniquement avec son vaisseau et un compagnon qui appartient toujours à une espèce différente. Grâce à l’emploi d’un mélange de science défensive, de psychologie et de sens des affaires très développé, il abat les barrières des préjugés locaux et se met à amasser richesse et puissance. Le passage de la domination sur le plan local à celle absolue à la dimension planétaire s’effectue progressivement, mais ces êtres ne sont pas pressés par le temps, étant donné qu’ils sont immortels.
Conway crut vaguement percevoir le son produit par sa fourchette lorsqu’elle tomba sur le sol. Il lui fallut quelques minutes avant de recouvrer l’usage de ses mains et de son esprit.
Au sein de la Fédération, il existait quelques rares espèces dont la durée d’existence était extrêmement longue. De plus, la plupart des civilisations dont le niveau sur le plan médical était avancé celle de la Terre incluse, disposaient de certains moyens pour prolonger considérablement la vie grâce à des cures de régénération. Cependant, aucune des espèces connues n’était immortelle, et nul n’avait jamais eu l’occasion d’étudier un être qui l’était. C’est-à-dire, jusqu’à ce jour. À présent, Conway devrait s’occuper d’un malade, le guérir et surtout l’étudier. À moins … mais le GKNM était un médecin, et un médecin n’aurait jamais employé le terme « immortels » pour dire qu’ils vivaient simplement très longtemps.
— En êtes-vous sûr? croassa Conway.
La réponse du Ian lui prit du temps, car elle incluait l’explication détaillée d’une grand nombre de faits, de théories et de légendes concernant ces êtres qui gouvernaient rien moins que des planètes. À la fin de cette réponse Conway n’était toujours pas persuadé que son patient fût immortel, mais tout ce qu’il venait d’entendre semblait effectivement l’indiquer.
Il hésita un peu, avant de demander :
— Après tout ce que vous venez de me dire, je ne devrais peut-être pas poser cette question mais, selon vous, ces êtres seraient-ils capables de commettre un meurtre et de se livrer à des pratiques cannibales?
— Non ! s’exclama un des Ians.
— Jamais ! surenchérit le second.
Il n’y avait naturellement pas la moindre trace d’émotion dans les réponses traduites, mais leur volume fut à lui seul suffisant pour pousser toutes les personnes présentes dans la salle à porter leurs regards vers eux.
Quelques minutes plus tard, Conway se retrouva seul. Après lui avoir demandé l’autorisation d’aller voir le EPLH légendaire, les Ians étaient partis en hâte, emplis de crainte, de respect et d’impatience. Conway pensait que les Ians était des êtres très gentils, mais il estimait également que la laitue ne convenait qu’aux lapins. Il repoussa énergiquement le plat de salade auquel il avait à peine touché et composa le code pour se faire servir un steak avec une double garniture.
Cette journée s’annonçait longue et éprouvante.
Lorsque Conway regagna le service d’observation, les Ians étaient partis et l’état du patient était stationnaire. Le lieutenant protégeait toujours l’infirmière … de très près … et il se mit à rougir pour une raison que Conway ignorait. Le médecin hocha la tête avec gravité puis renvoya l’infirmière. Il relisait le rapport du laboratoire de pathologie lorsque le Dr Prilicla arriva.
Prilicla était un être fragile qui ressemblait à une araignée et qui appartenait à la classification GLNO. Il vivait sous faible gravité, ce qui le contraignait à porter constamment deux ceinture-G pour ne pas être aplati comme une limande par une gravité que la plupart des membres des autres espèces auraient considérée comme normale. Médecin fort compétent, Prilicla était de plus le membre du personnel de l’hôpital le plus aimé, pour la simple raison que sa faculté d’empathie l’empêchait de se montrer désagréable envers qui que ce fût. Et, bien qu’il possédât également de larges ailes iridescentes, il s’asseyait à sa table et mangeait comme tout le monde ses spaghettis à l’aide d’une fourchette. Conway éprouvait une profonde affection pour lui.
En peu de mots, Conway décrivit l’état du patient EPLH et ce qu’il savait sur son compte.
— … Je sais parfaitement que vous ne pouvez pas tirer grand-chose d’un malade inconscient, conclut-il, mais si vous parveniez malgré tout à découvrir de nouveaux éléments, cela me serait d’une aide inestimable …
— Il semble y avoir un malentendu, professeur, l’interrompit Prilicla en utilisant une périphrase afin de pouvoir lui dire qu’il était dans l’erreur sans blesser son amour propre. Le patient est conscient …
— Reculez !
La radiation émotionnelle de Conway, qui pensait aux dégâts que pourrait provoquer la massue osseuse du tentacule de leur patient dans le corps si fragile de Prilicla, alerta autant ce dernier que son cri, et le petit GLNO fila hors de portée. Le lieutenant s’approcha avec prudence, les yeux rivés sur le tentacule toujours inerte qui se terminait par le gourdin monstrueux. Durant plusieurs secondes personne ne bougea ou ne parla ; le malade semblait toujours inconscient. Finalement, Conway regarda Prilicla. Il lui était inutile de parler.
— Je détecte des radiations émotionnelles d’une catégorie qui ne peuvent émaner que d’un esprit parfaitement conscient, confirma Prilicla. L’activité mentale en elle-même paraît relativement lente et, en tenant compte de la taille du patient, extrêmement faible. Pour être précis, il éprouve une sensation de danger, d’impuissance et de confusion. Je détecte également une très forte volonté …
Conway soupira.
— Il joue donc au loir, déclara le lieutenant sur un ton menaçant, en se parlant à lui-même.
Le fait que le malade feignît l’inconscience ennuyait moins Conway que le Moniteur. En dépit de tout le matériel qu’il avait à sa disposition pour établir des diagnostics, il croyait fermement que le principal atout d’un médecin dans la recherche de toute maladie était le dialogue … avec un être qui était presque divin?
— Nous … nous allons vous aider, dit-il en hésitant. Comprenez-vous mes paroles?
Le patient demeura immobile.
— Rien n’indique qu’il vous ait entendu, professeur, fit remarquer Prilicla.
— Mais, s’il est conscient …
Conway ne termina pas sa phrase et se contenta de hausser les épaules.
Il réunit ses instruments et, assisté par Prilicla, il examina à nouveau le EPLH. Cette fois, il accorda une attention particulière aux organes de la vue et de l’ouïe. Mais, tandis qu’il pratiquait l’examen, il n’obtint aucune réaction, tant physique qu’émotionnelle, en dépit des éclairs lumineux et d’un grand nombre de sondages dépourvus de douceur. Conway ne pouvait trouver le moindre indice d’une défaillance physique des organes sensoriels, et cependant le patient ne réagissait absolument pas aux stimuli extérieurs. Il était physiquement inconscient, insensible à tout ce qui se passait autour de lui, mais Prilicla soutenait le contraire.
Un demi-Dieu cinglé qui a perdu les pédales ! pensa Conway. On pouvait faire confiance à O’Mara pour lui refiler les pires monstruosités.
— Je ne peux trouver qu’une seule explication à ce cas particulier, dit-il à haute voix. C’est que l’esprit que vous captez a coupé ou bloqué tout contact avec son système sensoriel. Sa maladie ne peut être à l’origine de ce phénomène et le problème doit avoir en conséquence une cause psychologique. À mon avis, cette bestiole à un besoin urgent des services d’un psychiatre.
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