— J’ai pris moi aussi une bande FGLI, déclara alors Mannon. J’en avais besoin pour Thorny. Maintenant, deux QCQL m’attendent. Je ne savais pas qu’il existait de telles créatures avant ce jour, mais O’Mara avait leur bande. Je vais devoir travailler en scaphandre car le poison qu’elles respirent tuerait instantanément tout ce qui marche, rampe ou vole, elles exceptées. Ces deux êtres sont toujours conscients alors que je ne peux même pas leur parler. Je sens que je vais m’amuser.
Ses épaules s’affaissèrent brusquement et les muscles qui tiraient vers le haut des commissures de ses lèvres renoncèrent au combat.
« Je voudrais que vous puissiez trouver quelque chose, Conway, dit-il tristement. Dans des services comme celui-ci ou des patients et quelques infirmières appartiennent à la même classification, la situation n’est pas trop grave. Relativement, je veux dire. Mais là où les blessés et les membres du personnel médical sont complètement différents et ou les uniques représentants d’une race au sein du personnel extra-terrestre ont été blessés lors du bombardement, les choses sont bien plus difficiles.
Conway avait entendu le bombardement, une série ininterrompue et irrégulière de chocs qui s’étaient répercutés à travers l’armature métallique de l’hôpital, comme si quelqu’un avait frappé sur un gong désaccordé. Il l’avait entendu et avait essayé de ne pas y penser, car il savait que des membres du personnel passaient dans la catégorie des blessés et que l’état des blessés dont le personnel s’occupait déjà devenait deux fois plus grave.
— Je peux me l’imaginer facilement, répondit-il sombrement. Mais de devoir m’occuper du service de Thornnastor me donne déjà énormément de travail …
— Tout le monde a énormément de travail ! rétorqua sèchement Mannon. Mais il faut pourtant que quelqu’un trouve une solution, et vite !
Que veut-il que je fasse? pensa Conway avec colère alors que Mannon s’éloignait. Puis il se tourna vers le patient suivant.
Depuis quelques heures un phénomène très étrange se produisait dans son esprit. Il avait commencé par avoir l’impression de comprendre à moitié ce que disaient les infirmières Tralthiennes présentes dans la salle. Il mettait cela sur le compte du fait que la bande FGLI (l’enregistrement complet des souvenirs d’un éminent physiologiste de cette race) lui avait fourni un nombre important de renseignements sur les attitudes, les expressions et le ton de la voix des Tralthiens. Il estimait que s’il n’avait jamais éprouvé cela auparavant, c’était sans doute parce qu’il n’avait jusqu’alors jamais dû s’occuper d’autant de Tralthiens en si peu de temps, et qu’il avait de toute façon toujours disposé d’un traducteur. Mais travailler presque uniquement avec des Tralthiens avait eu un résultat inattendu. La personnalité enregistrée du FGLI prenait une place plus importante que d’habitude dans son esprit, au détriment de sa personnalité humaine.
Il n’y avait aucun combat pour la prise de possession de son cerveau, aucun conflit. Cela se produisait sans heurts pour la simple raison qu’il était contraint de penser à la façon d’un FGLI. Lorsqu’il avait à s’adresser à une infirmière ou un patient de type terrien, il devait à présent faire de grands efforts de concentration, lorsque leurs premières paroles n’étaient pas pour lui un charabia incompréhensible.
Et maintenant il commençait à entendre et comprendre le tralthien.
C’était loin d’être parfait, naturellement. Avant de parvenir au FGLI qui occupait son esprit, les barrissements et mugissements pachydermiques passaient par le filtre d’oreilles qui étaient humaines et non tralthiennes, ce qui entraînaient des distorsions et des altérations de timbre. Les mots avaient tendance à être étouffés et grondants, mais il en comprenait un certain nombre, ce qui indiquait qu’il possédait une sorte de traducteur intégré. C’était naturellement un processus à sens unique. À moins que? …
Alors qu’il préparait le blessé suivant avant d’entamer l’intervention, il décida d’essayer de répondre.
Son alter ego FGLI savait comment prononcer les mots, comment faire fonctionner ses cordes vocales, et la voix des êtres de type terrien était censée être l’instrument le plus universel de toute la galaxie. Conway prit une profonde inspiration et barrit.
Sa première tentative fut désastreuse. Elle se termina par une quinte de toux incontrôlable qui sema de l’inquiétude et de la consternation sur toute la longueur et la largeur du service. Mais il parvint à ses fins lors du troisième essai … et une infirmière Tralthienne lui répondit ! Ensuite, ce ne fut plus qu’une simple question de temps jusqu’au moment où il disposa d’un nombre suffisant de termes pour pouvoir donner les instructions principales. Puis les interventions suivantes furent effectuées plus rapidement, plus efficacement, et avec des chances de survie bien plus grandes pour les patients.
Les infirmières humaines étaient visiblement impressionnées par les sons étranges qui jaillissaient de la gorge fatiguée de Conway. Elles semblaient également trouver un certain côté humoristique à la situation …
— Bravo, bravo, dit une voix familière et irritée dans le dos de Conway. Je constate que vous êtes partisan du travail dans la joie et que votre service est empli de patients souriants alors que le Gentil Médecin leur remonte le moral en imitant les cris des animaux de la ferme. Où diable vous croyez-vous, Conway? Que faites-vous?
Conway fut surpris de constater que O’Mara était vraiment en colère … qu’il ne jouait pas la comédie habituelle du psychologue irascible. En raison des circonstances, il pensa qu’il avait tout intérêt à répondre à la seconde question et ignorer la première qui était purement rhétorique.
— Je m’occupe des patients de Thornnastor et de quelques nouvelles admissions, dit-il calmement. Nous en avons terminé avec les Moniteurs et les FGLI et je comptais justement aller vous demander une bande DBLF pour les Kelgiens qui viennent d’arriver.
O’Mara renifla bruyamment.
— Je vais charger un médecin Kelgien de s’occuper d’eux, dit-il avec colère. Et entretemps vos infirmières pourront s’occuper des autres. Vous ne semblez pas avoir conscience que votre service n’est pas le seul de cet hôpital, qu’il y en a trois cent quatre-vingt-quatre, professeur Conway. Vous oubliez que des blessés ont un besoin urgent de recevoir des soins et qu’ils ne les recevront pas parce que le personnel du service où ils se trouvent siffle alors qu’ils bêlent. Vous oubliez que les blessés s’entassent autour des sas, certains dans des coursives qui s’ouvrent à présent sur l’espace, et que leurs civières hermétiques ne leur fourniront pas éternellement de l’air. Vous savez, les blessés qui s’y trouvent ne doivent guère se sentir rassurés …
— Que voulez-vous que je fasse? demanda Conway.
Pour une raison qu’il ignorait, cela rendit O’Mara encore plus furieux.
— Je ne sais pas, professeur Conway. Je suis un psychologue et je ne peux plus rien faire d’utile, car la majeure partie de mes patients ne parlent plus la même langue que moi. J’ai essayé d’inciter ceux qui le font encore à trouver une solution pour nous permettre de nous sortir de ce merdier. Mais ils sont tous bien trop occupés à traiter les malades dans leur propre service, pour pouvoir penser à l’hôpital dans son ensemble. Ils laissent ce soin aux Grands Cerveaux …
— En raison des circonstances, la logique voudrait que vous demandiez à un diagnosticien d’avoir une idée de génie.
La colère de O’Mara s’expliquait, pensa Conway. Un psychologue devait trouver extrêmement frustrant de ne plus pouvoir écouter ses patients et leur parler. Mais son animosité envers Conway semblait être d’une nature personnelle, comme si ce dernier n’avait pas été à la hauteur de sa tâche.
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