Le quatrième jour, l’attaque ne semblait toujours pas vouloir diminuer. Les vibreurs de la coque extérieure tiraient presque sans interruption et leur consommation d’énergie faisait clignoter les lumières.
Le principe qui fournissait la gravité artificielle et compensait les accélérations meurtrières des vaisseaux était le même que celui utilisé pour les armes des deux camps … l’écran répulsif, à l’origine destiné à protéger des météorites, les rayons presseurs et tracteurs, et le vibreur qui était une combinaison des deux. Le vibreur tirait et poussait à la fois … il vibrait … avec une force pouvant atteindre quatre-vingt G selon la largeur de son faisceau. Une poussée de quatre-vingts gravités, puis une traction de quatre-vingts gravités, plusieurs fois par minute. Il n’atteignait naturellement pas toujours sa cible avec précision, car les appareils des deux camps s’esquivaient et prenaient des contre-mesures, mais les tirs étaient toujours suffisamment précis pour déchirer le blindage d’une coque ou, dans le cas d’un petit appareil, de le secouer au point de briser les hommes d’équipage.
À présent, il y avait un très grand nombre de vibreurs à l’œuvre. Les forces de l’Empire attaquaient avec acharnement et repoussaient les unités de défense vers la coque externe de l’hôpital. La bataille aérienne qui se déroulait était à présent combattue uniquement à l’aide de vibreurs, car l’espace était trop encombré pour qu’il fût encore possible de lancer des missiles. Cela n’était cependant valable que pour les vaisseaux de combat … car des missiles étaient toujours lancés vers l’hôpital, probablement des centaines, et certains parvenaient à forcer le barrage. À cinq reprises, au moins, Conway perçut l’impact révélateur dans les semelles de ses chaussures alors que ses pieds étaient sanglés au sol du bloc opératoire.
Il était inutile de posséder une forte science du diagnostic pour s’occuper des hommes « vibrés ». Il n’était que trop évident qu’ils souffraient de fractures multiples et compliquées qui, dans certains cas, s’appliquaient pratiquement à tous les os de leur corps. De nombreuses fois, alors qu’il devait découper la combinaison de ces corps broyés afin de les en extraire, Conway aurait voulu hurler aux hommes qui avaient amené le blessé :
— Mais qu’espérez-vous que je puisse faire de … cette chose?
Mais cette chose était encore en vie et, en tant que médecin, il était censé faire tout son possible pour qu’elle le reste.
Conway venait de terminer son travail sur un blessé particulièrement mal en point, assisté par Murchison et une infirmière Tralthienne, lorsqu’il prit conscience de la présence d’un DBLF dans la salle. Conway s’était accoutumé aux symboles colorés employés par les militaires Kelgiens pour indiquer leur rang et il nota que celui-ci portait un symbole supplémentaire signifiant qu’il était également un médecin.
— Je suis venu vous relever, professeur, annonça le DBLF d’une voix rapide, atone et traduite. J’ai l’habitude de m’occuper des êtres de votre espèce. Le commandant O’Mara désire que vous vous rendiez immédiatement au Sas Douze …
Conway lui présenta rapidement Murchison et la Tralthienne … car on amenait un autre blessé et ils devraient se remettre à l’ouvrage dans quelques minutes, puis il demanda :
— Pourquoi?
— Le professeur Thornnastor a été victime du dernier missile qui nous a atteints, répondit le Kelgien en pulvérisant sur ses manipulateurs le film plastique qui faisait office de gants pour les membres de son espèce. Il faut une personne possédant une connaissance approfondie des autres espèces pour s’occuper de ses patients et des FGLI qui arrivent au Sas Douze. Le commandant O’Mara voudrait que vous les examiniez le plus rapidement possible, afin de savoir de quelles bandes vous aurez besoin.
« Et prenez un scaphandre, professeur, ajouta le DBLF comme Conway pivotait pour partir. Le niveau supérieur à celui-ci perd de la pression …
Depuis l’évacuation, le service de pathologie n’avait pas eu beaucoup de travail, pensa Conway comme il se propulsait le long des coursives conduisant au Sas Douze, mais le diagnosticien responsable de ce service avait prouvé son universalité en prenant sous sa coupe la plus importante section de soins. En plus des FGLI de sa propre espèce, Thornnastor avait accepté des DBLF et des terriens, et les patients qui avaient eu ce Tralthien irascible, encombrant, et aux capacités exceptionnelles pour les soigner pouvaient s’estimer heureux. Conway se demandait quelle était la gravité de sa blessure, car le médecin kelgien n’avait pas été capable de le lui apprendre.
Il passa devant un hublot et jeta un rapide regard à l’extérieur. Ce qu’il vit lui fit penser à un essaim de lucioles enragées. La barre à laquelle il s’agrippait lui secoua la main, indiquant qu’un autre missile avait fait mouche non loin de là.
Il y avait deux Tralthiens, un Nidien et un QCQL, revêtu d’un scaphandre, dans le vestibule du sas lorsqu’il y arriva, ainsi que des Moniteurs qui étaient omniprésents. Le Nidien expliqua qu’un vaisseau tralthien avait été pratiquement démantelé par les vibreurs ennemis mais que la majeure partie de l’équipage avait survécu. Les rayons tracteurs du Secteur Général venaient de haler l’appareil endommagé jusqu’au sas et …
Le Nidien commença à aboyer.
— Arrêtez ! ordonna Conway avec colère.
Le Nidien parut surpris, puis se remit à aboyer.
Quelques secondes plus tard des infirmières Tralthiennes arrivèrent et commencèrent à l’assourdir avec leurs mugissements modulés de corne de brume alors que le QCQL lui sifflait quelque chose par la radio de sa combinaison. Les Moniteurs, chargés d’amener les blessés par le tunnel de raccordement, semblaient quant à eux simplement déconcertés. Brusquement ; Conway fut couvert de sueur.
L’ennemi avait à nouveau touché l’hôpital, mais comme Conway flottait en apesanteur il n’avait pas senti l’onde de choc. Il savait cependant où le missile l’avait atteint. Conway manipula son traducteur, le frappa violemment (un geste absolument inutile) et se propulsa d’un coup de pied vers le plus proche interphone.
Sur chaque circuit qu’il essuya des choses hululaient, barrissaient, gémissaient et émettaient des aboiements gutturaux : une folle cacophonie qui lui fit crisser les dents. Une image du bloc opératoire qu’il venait de quitter s’imposa à son esprit. Il voyait Murchison, la Tralthienne et le chirurgien Kelgien en train d’opérer le blessé, sans plus pouvoir se comprendre. Les instructions, les ordres vitaux, les demandes d’instruments chirurgicaux ou d’informations sur l’état du malade … tout cela était donné dans un charabia étranger absolument incompréhensible pour les personnes présentes. Et il voyait cette scène se répéter dans tout l’hôpital. Seuls les êtres appartenant à la même espèce pouvaient encore se faire comprendre entre eux, et même cela n’était pas tout à fait exact. Il y avait des terriens qui ne connaissaient pas l’Universel, qui parlaient les langues de leurs pays d’origine et qui devaient avoir recours aux traducteurs pour s’adresser à leurs semblables …
En tendant l’oreille, Conway parvenait à isoler des mots dans cette tour de Babel et une voix qu’il pouvait comprendre. C’était l’intelligence qui luttait contre un très fort bruit de fond et, brusquement, il fut capable de filtrer les parasites et de n’écouter que cette voix, cette voix qui disait :
— … Trois torpilles qui se suivaient, commandant. Les premières ont ouvert le passage aux autres. Nous ne pouvons pas remettre le traducteur en état de marche, car il n’en reste rien d’utilisable. La dernière torpille a explosé à l’intérieur de la salle de l’ordinateur.
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