Et elle s’étendit sur le plancher, tendant ses bras à Michael.
— Ça ne marchera pas, lui cria le garçon. Je suis trop lourd. Écoute, il faut que vous filiez, toutes les deux.
Merope bondit et s’en fut en courant, déchaussée, dans l’obscurité. Polly la regarda s’éloigner, folle de rage. D’accord, elle était terrorisée, mais elles ne pouvaient pas abandonner Michael !
— Merope !
— Toi aussi, cria le garçon. Je vais réparer ça et je vous retrouve en bas.
— Je ne pars pas sans toi.
— Ce n’est pas le moment de discuter. Il faut…
Cependant, Merope était de retour, tirant une petite échelle.
— Désolée, haleta-t-elle, j’ai dû aller jusqu’à la remise. Aide-moi.
Ensemble, elles basculèrent l’échelle. Michael l’escalada, maladroit.
— Attends, s’écria Merope. Mes chaussures !
— On n’a plus le temps pour…, commença Polly.
Mais il était déjà descendu, les avait enfoncées dans ses poches, et il était de retour sur l’échelle.
Merope s’agenouilla à côté de Polly, et elles parvinrent à le hisser et à le sortir de la cabine.
— L’escalier le plus proche ? demanda-t-il à Merope.
— Là.
Et les deux filles se ruèrent à travers l’étage illuminé par l’incendie, Michael boitant derrière elles.
— Vivement le retour à Oxford. Je ne supporte plus cet horrible endroit ! s’exclama Merope tandis qu’elles couraient. Tu sais la première chose que je ferai quand j’arriverai là-bas ?
Si nous y arrivons.
Les avions étaient au-dessus d’eux, désormais. Les bombes sifflaient alentour et, dans un vacarme assourdissant, des éclairs aveuglants embrasaient le niveau. Ils plongèrent dans l’escalier et dégringolèrent les marches.
— Je dirai à M. Dunworthy que je n’accepterai jamais plus de mission impliquant des enfants, dit Merope.
Polly jeta un coup d’œil à Michael. Il tenait l’allure, mais portait tout son poids sur le garde-corps.
— J’ai cru que tu ne me trouverais jamais, Polly, continuait Merope. Quand je me suis aperçue que tu étais rentrée, je…
Ils atteignirent le rez-de-chaussée. Polly ouvrit la porte, et ils se précipitèrent le long du magasin, dans un déluge d’éclairs et d’explosions, leurs bras en bouclier au-dessus de leur tête avant de traverser la rue.
Quand ils parvinrent sur le trottoir d’en face, Merope et Michael s’immobilisèrent, pantelants.
— Non. C’est trop près, les avertit Polly.
Elle attrapa le coude de Merope et la traîna vers le bas de la voie, Michael boitillant derrière. Elle essayait de se tenir à l’écart des vitrines tout en gardant la protection des bâtiments. Ils auraient dû rester du côté de Padgett’s . L’explosion se propagerait en arc de cercle et, là où ils étaient, aucune paroi ne ferait écran entre eux et la violence de la secousse. Polly ne savait pas jusqu’où s’étendait le souffle d’une explosion.
— Désolée, annonça Merope au bout de deux pâtés de maisons, il faut que je m’arrête un instant.
Polly hocha la tête et, afin qu’ils puissent reprendre haleine, elle les poussa à l’abri derrière l’angle de l’immeuble le plus proche.
— Merci, haleta Merope en s’appuyant contre le mur.
Plié en deux, les mains sur les genoux, Michael suffoquait.
— J’aimerais… pouvoir dire… que… ça se calme… mais… je crois que c’est… de pire en pire.
— Mais si on gagne un refuge, objecta Merope, ça nous coincera toute la nuit ! On ne devrait pas aller droit au point de transfert ?
Le point de transfert.
Sortir Merope de chez Padgett’s et guider ses amis vers un endroit sûr avait tellement obnubilé Polly qu’elle en avait oublié l’équipe de récupération. Michael était là pour la ramener – pour les ramener – à Oxford, en sécurité. À la maison.
— Oui, bien sûr. Tu as raison. (Elle se tourna vers Michael.) Allons au site.
— Parfait. Où se trouve-t-il ?
— Pardon ?
— Ton site. Où est-il ? Loin d’ici ?
Ils posaient tous les deux sur elle un regard d’expectative.
— Michael, tu n’es pas l’équipe de récupération ? demanda Polly.
— L’équipe de récupération ? Non.
J’aurais dû m’en douter.
Tous les indices concordaient : son pied blessé, son ignorance quant à la présence de Merope, et le fait qu’il l’ait cherchée, elle, depuis presque un mois.
— Attends, je ne comprends pas, dit Merope qui les regardait alternativement l’un et l’autre d’un air effaré. Aucun de vous deux n’est l’équipe de récupération ? Mais alors, qu’est-ce que tu fais là, Michael ?
— Je ne peux pas accéder à mon site. Je suis venu à Londres pour utiliser celui de Polly.
— Moi aussi, déclara Merope, mais quand je suis allée chez Townsend Brothers on m’a annoncé que tu étais rentrée, Polly, et…
— Écoutez, on discutera de tout ça à Oxford, s’impatienta Michael. Tout de suite, on a besoin de se rendre à ton site, Polly. À quelle distance… ?
— Il est à Kensington, l’interrompit Polly, mais on ne peut pas l’utiliser non plus. Pourquoi l’accès du tien est-il impossible ?
Une HE s’écrasa au bas de la rue, projetant du verre en tous sens. D’instinct, ils protégèrent leur visage avec leurs mains.
— Il faut gagner un abri, dit Michael. Lequel est le plus près ?
— Oxford Circus, indiqua Polly.
Et elle les entraîna au pas de course vers la bouche de métro et en bas des marches. On avait déjà tiré la grille en fer. Le garde la leur ouvrit.
— Vous avez eu chaud, vous autres ! fit-il remarquer alors qu’ils fonçaient à l’intérieur. Vous avez intérêt à descendre tout de suite.
Ils n’avaient pas besoin d’encouragements et se ruèrent jusqu’aux tourniquets.
— Je n’ai pas d’argent, s’aperçut Merope. Mon sac…
Polly fouilla dans le sien pour trouver des jetons supplémentaires. Une nouvelle HE tonna tout près, secouant la station.
— Tu es certaine que nous sommes en sécurité, ici ? demanda Merope, qui regardait nerveusement le plafond.
— Oui, affirma Polly. Oxford Circus n’a pas été touchée avant la fin du Blitz.
Elle poussa le tourniquet et courut jusqu’à l’escalier roulant.
— Ah ! c’est vrai, se rappela Merope. J’avais oublié. Tu sais où toutes les bombes sont tombées.
Jusqu’au 1er janvier. Polly s’engagea sur le long escalier mécanique. Ce qui signifie qu’il vaudrait mieux avoir gagné le site de Michael d’ici là.
Qu’est-ce qu’il voulait dire, par cette impossibilité d’y accéder ? Elle se tourna pour lui poser la question, mais il était encore à plusieurs marches, boitant pour les rejoindre, lourdement appuyé sur la main courante.
— Est-ce que tu vas bien ? demanda Merope. Tu ne t’es pas tordu la cheville en me cherchant chez Padgett’s , j’espère ?
— Non. Je… C’est une blessure. Shrapnel. À Dunkerque.
Dunkerque ? Polly éprouva un tiraillement de panique. Était-ce pour cette raison qu’il ne pouvait plus accéder à son site, parce qu’il était allé à Dunkerque ? Si c’était le cas, ils ne pourraient pas l’atteindre avant la fin de la guerre et ce serait trop tard. Mais son point de saut ne pouvait être à Dunkerque. Et il n’aurait pas pu s’y rendre non plus.
— Qu’est-ce que tu fabriquais à Dunkerque ? interrogeait Merope.
— Chh ! lui intima Michael, désignant l’espace en dessous.
La foule était si dense qu’ils eurent du mal à la fendre pour quitter l’escalier, et encore plus de mal ensuite à s’y frayer un chemin. Le hall était plein à craquer. Tout le monde, sur Oxford Street – et Regent Street, et New Bond Street –, avait accouru quand le bombardement avait commencé, et ils avaient tous des paquets, des sacs de courses et des parapluies mouillés pour ajouter au chaos.
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