— Oh, rien, rien… dit Herb et il se renfonce dans son hamac et ferme les yeux.
— Voyons, chéri, je n’ai pas voulu…
— Ce n’est rien, je ne suis pas fâché. Simplement, je pensais qu’il était d’accord avec toi. Et je pensais qu’il savait pourquoi et l’expliquait mieux que tu ne fais, c’est tout.
— D’accord ? D’accord avec quoi, pour l’amour du ciel ?
Herb ouvre les yeux et fixe le ciel, quelque part derrière la tête de sa femme.
— Il dit que les gens ont commis leur première grosse erreur quand ils ont commencé à centrer leur attention sur les différences qui existent entre l’homme et la femme, en oubliant leur ressemblance fondamentale. Il appelle ça le vrai péché originel. Il dit que c’est pour cela que les hommes se haïssent et haïssent les femmes. Il dit que c’est de là que sont venues toutes les guerres, toutes les persécutions. Il dit que c’est ce qui nous a fait perdre le plus clair de notre capacité d’amour.
Elle est plutôt méprisante et proteste :
— Je n’ai jamais dit ça !
— C’est à cela que je réfléchissais. Tu as dit que nous étions le début d’une nouvelle espèce de gens, comme un comité ou une équipe. Qu’il y a des activités d’homme et des activités de femme mais que, de nos jours, ça n’a plus d’importance. Mais qu’on peut en avoir des deux ordres ou l’un ou l’autre, indistinctement.
— Ah ! oui, dit-elle, ça…
— Wylie fait même une plaisanterie. Il dit que si les gens croient que les hommes sont pour la plupart plus forts que les femmes, c’est parce que l’homme a systématiquement sélectionné les femmes.
— Et toi ? Tu les sélectionnes systématiquement ?
Il rit enfin. Ce qu’elle voulait : elle ne supporte pas de le voir triste ou soucieux.
— Sys-té-ma-ti-que-ment, dit-il.
Et il la fait basculer dans son hamac.
* * *
La tête inclinée sur le côté, Osséon vint rapidement à la rencontre de Charlie.
— Alors, mon jeune — et violent — ami. Où en sommes-nous ?
— J’espère que tu m’as pardonné, bredouilla Charlie. J’étais très perturbé…
— Tu as découvert la fleur, hmm ?
— C’est-à-dire… Je suis entré et il n’y avait personne, tu étais ou plutôt tu n’étais pas…
Osséon lui assena une tape sur l’épaule.
— Parfait, parfait… C’est une des choses que je m’apprêtais à te montrer, de toute manière. Tu sais ce que c’est que cette fleur ?
— Oui, dit Charlie en éprouvant de grandes difficultés à parler. En anglais, nous l’appelons un souci.
Osséon l’écarta pour aller chercher le volume. Il y inscrivit le nom de la fleur.
— Nous n’avons pas ça à Ledom, expliqua-t-il fièrement. (Il indiqua la machine temporelle d’un mouvement de menton.) On ne sait jamais ce que ce truc va ramener. Bien sûr, c’est toi le champion ! Les chances de recommencer une telle capture sont de un contre cent quarante trois quadrillions ! Si tu peux te représenter ça…
— Tu… te… c’est toutes les chances que j’ai de rentrer chez moi ?
Osséon éclata de rire.
— Ne prends pas cet air catastrophé ! Ce que l’on met là-dedans, on le récupère milligramme pour milligramme, atome pour atome, si tu veux mon avis. C’est une question de masse. Nous avons le choix entier de ce que nous y mettons. Mais c’est ce que nous en retirons qui fait problème…
Il haussa les épaules.
— Ça prend longtemps ?
— Voilà quelque chose que j’espérais apprendre de toi. Combien de temps penses-tu avoir passé là-dedans ?
— Des années !
— Certainement pas, tu serais mort de faim. Vu d’ici, le processus est instantané. On ferme la porte, on branche l’appareil, on ouvre la porte, c’est fini. (Calmement, posément, il reprit le souci des mains de Charlie et le déposa, ainsi que le volume, dans le placard qu’il fit se refermer d’un mouvement de paume.) Et maintenant ? Que désires-tu savoir ? On m’a dit de te refuser seulement les renseignements concernant le stupide suicide collectif d ’Homo sap… Désolé. Ne le prends pas en mauvaise part surtout. Où veux-tu commencer ?
— Il y a trop…
— Veux-tu que je te dise ? Il n’y a presque rien. Prenons un exemple : peux-tu imaginer un immeuble, une ville, une culture entière, peut-être, fonctionnant à partir d’une technologie simple, celle du générateur électrique et du moteur, qui sont d’ailleurs une seule et même chose ?
— Mais… Oui, bien sûr…
— Ce ne serait ébahissant que pour quelqu’un qui n’aurait rien connu de semblable. Si tu disposes d’électricité et de moteurs, tu peux tracter, pousser, réchauffer, refroidir, ouvrir, fermer, éclairer — enfin, à peu près n’importe quoi. Vrai ?
Charlie inclina la tête.
— Bon. Tout ça, du mouvement — tu vois ce que je veux dire ? La chaleur elle-même est une forme de mouvement. Bon, eh bien nous disposons de quelque chose qui peut faire tout ce que fait un moteur électrique, plus un ensemble d’autres qui ont trait au champ statique. Cela a été découvert ici, à Ledom, et c’est la clé de toute notre construction. C’est le champ-A. A pour analogue. C’est un petit truc très simple, au fond. Bien sûr, la théorie… Tu sais ce que c’est qu’un transistor ?
Charlie fit signe que oui. Il avait trouvé l’interlocuteur idéal, cette conversation était excellente pour les muscles de son cou !
Osséon reprit : — C’est le truc le plus simple qu’on puisse imaginer. Un petit copeau de matière avec trois entrées. Amène un signal par un fil, il ressort par les deux autres, amplifié cent fois. Pas besoin de chauffer, pas de filaments qui pourraient se rompre, pas de vide qui risquerait de s’emplir, pratiquement pas besoin d’énergie pour fonctionner.
« Alors surgit la diode qui fait paraître le transistor compliqué, lourd, encombrant et, par comparaison, inefficace. Et ce machin est encore plus simple. Mais la théorie ! Bon Dieu ! J’ai toujours dit que nous irons si loin qu’un jour nous pourrons faire n’importe quoi avec rien du tout sans consommer d’énergie — seulement personne ne sera plus capable de comprendre la théorie.
Charlie, pour qui cette plaisanterie de prof de physique était loin d’être nouvelle, sourit poliment.
— Bon. Le champ-A. Sans être trop technique, tu te souviens de la cuiller avec laquelle tu as mangé, tout à l’heure ? Oui ? Oui. Eh bien, son manche contient un surgénérateur miniaturisé. La forme du champ est déterminée par des guides d’un alliage spécial. Le champ est si petit que s’il était visible — il ne l’est pas — neuf microscopes électroniques montés en série ne te permettraient toujours pas de l’apercevoir. Mais l’espèce de fil métallique bleu formant boucle est composé de telle manière que chaque atome qu’il contient est l’analogue exact des particules subatomiques qui composent les guides. Pour des raisons de tension spatiale que je t’épargne, un analogue du champ apparaît à l’intérieur de la boucle. D’accord ? D’accord. Voilà le truc. La brique, si tu veux, à partir de laquelle tout mur peut être construit. L’unité, le matériau de base. Il ne reste plus qu’à l’entasser, le combiner de cent manières. La fenêtre ? C’est une boucle renfermant un analogue. Il y en a deux qui font tenir cet immeuble sur pied. Tu ne t’étais pas imaginé que nous obtenions ce genre de résultat par la prière, quand même ?
— L’immeuble ? La cuiller était effectivement une boucle et je peux concevoir que la fenêtre en forme une… Mais je n’aperçois aucune boucle autour des bâtiments. Il faut bien qu’elles soient à l’extérieur, pourtant ?
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