— J’ai vu sur l’ordinateur de Meslek qu’il jouait au PSV Eindhoven. C’est à une heure trente de Bruxelles. Un aller-retour discret est plausible. Pour Paris, le périple lui aura pris la journée, sauf s’il y est allé en TGV.
— En plus de démonter l’alibi de Tipo, il faudrait cerner le mobile de la mort de Shirley Kuyper.
— Selon l’officier de police de Johannesburg, il s’agirait d’un jeu sexuel qui aurait mal tourné. D’après lui, certains couples jouent à la roulette russe pour booster leur libido.
Elle hocha la tête.
— Vous devriez essayer. Ça mettrait un peu de piment dans votre vie.
Le téléphone sonna avant que les nuages n’encombrent à nouveau nos échanges.
Sac à main.
Je décrochai et esquissai un geste explicite à Christelle pour lui faire comprendre que c’était l’appel que j’attendais.
— Bonjour Raoul, du nouveau ?
— Et comment, maître ! J’ai dû faire jouer mes contacts et graisser quelques pattes, mais j’ai réussi à intercepter le rapport balistique. Je l’ai comparé à celui que vous m’avez envoyé et je peux affirmer sans le moindre doute que c’est la même arme qui a tué Nolwenn Blackwell et Shirley Kuyper. Dans les deux scènes de crime, on a retrouvé les douilles. L’examen de celles-ci permet généralement de déterminer le type d’arme, le calibre, parfois même le modèle.
— Cela confirme ma théorie. Il s’agit sans doute d’une affaire de chantage.
Je lui expliquai dans les grandes lignes que j’étais en compagnie de Christelle Beauchamp, que nous étions à Casablanca et que nous y avions recueilli les aveux d’Adil Meslek.
Il émit un sifflement d’admiration.
— Bravo, maître, vous feriez un fameux enquêteur.
— Merci. Il me reste à rentrer à Bruxelles, à communiquer cela à Witmeur et consorts et à leur demander qu’ils terminent ce que j’ai commencé.
— Il manque un élément, maître. Le mobile de l’assassinat de Kuyper. Pourquoi ce Tipo aurait-il tué cette fille ?
— Selon mon policier sud-africain, il s’agirait d’une nouvelle manie sexuelle qui fait fureur.
Je lui relatai la théorie qui m’avait été exposée.
Il se racla la gorge.
— Sauf votre respect, maître, je vous ai dit qu’on avait retrouvé les douilles.
— Oui, et alors ?
— La police sud-africaine ne connaît pas son boulot ou ils ont bâclé l’enquête.
— Pourquoi ?
— Si on a retrouvé les douilles, ça signifie que l’arme est un pistolet et non un revolver, donc qu’il ne possède pas de barillet. Dans notre cas, il s’agit d’un 9 mm, probablement une arme de chez nous, un bon vieux Browning GP. À part un problème d’enrayage, jouer à la roulette russe avec un automatique équivaut à s’offrir cent pour cent de chances de se faire griller la cervelle.
Nous arrivâmes à l’aéroport Mohamed-V aux environs de treize heures. Par chance, j’avais réussi à trouver une place sur le vol Air France que prenait Christelle Beauchamp. Après être repassés à nos hôtels respectifs pour boucler nos bagages, nous avions pris un petit taxi , sorte de voiture miniature rouge vif dans laquelle j’avais peiné à faire entrer mon double mètre.
Nous nous rendîmes dans le monumental hall de départ, fîmes enregistrer nos bagages et partîmes à la recherche d’un en-cas acceptable, ce qui relevait de l’exploit.
Par prudence, nous nous contentâmes d’un café, d’un verre d’eau minérale et de quelques viennoiseries.
Sa collation avalée, Christelle Beauchamp sortit son iPad et se mit à tapoter l’écran sans tenir compte de ma présence.
J’allais en faire de même lorsqu’elle leva les yeux.
— Que comptez-vous faire lorsque vous serez à Paris ?
Elle tenait l’une de ses mains en suspens au-dessus de sa tablette, comme si elle s’apprêtait à enregistrer ma réponse.
— Je compte préparer mon retour. Peut-être vais-je organiser une conférence de presse à Paris pour m’expliquer et empêcher la police de me tomber dessus dès que j’aurai mis un pied en Belgique.
Elle soupira.
— Dans le fond, vous vous fichez éperdument de savoir qui a tué Nolwenn et pourquoi ?
— Pas du tout. Les choses sont claires. Tipo a tué Nolwenn et Block parce qu’ils voulaient le faire chanter.
Elle leva la main.
— Votre conclusion est hâtive. S’il est possible que Tipo soit l’assassin de Shirley Kuyper, ce qui reste malgré tout à prouver, ça ne signifie pas que vous ayez raison pour la suite. Rien ne prouve cette histoire de chantage. Ce ne sont que des extrapolations. Nous ne connaissons pas le mobile du meurtre de Kuyper. Votre raisonnement pourrait s’effondrer comme un château de cartes.
— Quand la police de Johannesburg aura reçu l’information, ils convoqueront les témoins. Ceux-ci identifieront Tipo. Sa culpabilité ne fait aucun doute. Après, c’est à eux de faire leur travail. Ils vont l’interroger et découvrir le mobile de son meurtre.
— Je vous trouve très optimiste. Ce n’est pas parce que des témoins ont vu Tipo avec Kuyper à onze heures du soir qu’il l’a tuée à cinq heures du matin. Et jusqu’à preuve du contraire, vous êtes toujours le principal suspect.
— Madame Beauchamp, vous êtes journaliste, je sais, vous vous devez d’être objective et factuelle, mais il n’y a que dans les romans policiers anglo-saxons de seconde zone que des coïncidences de ce type sont de fausses pistes. Tout concorde. Nolwenn et son besoin d’argent, la visite à Adil Meslek, le journal que l’on retrouve chez elle et chez Block, la même arme du crime, que vous faut-il de plus ?
Elle haussa les épaules avec exaspération.
— Le mobile de la mort de Kuyper. Pourquoi Tipo aurait-il pris un flingue pour aller voir une pute ?
— Pour sa sécurité personnelle. Johannesburg est une ville dangereuse.
— Je vous rappelle que ça se passait pendant la Coupe du monde, il y avait un flic à chaque coin de rue. En plus, là-bas, le port d’arme est interdit sans permis. Pourquoi un étranger prendrait-il le risque de se faire arrêter en possession d’un flingue ?
La question avait du sens.
Je ne connaissais pas la réponse, mais ce fait pouvait indiquer qu’il y avait eu préméditation, ce qui obscurcissait davantage le mobile de la mort de Shirley Kuyper. Pourquoi Tipo aurait-il prémédité le meurtre de quelqu’un qu’il ne connaissait pas une heure auparavant ?
Il restait une option, mais elle ne me satisfaisait pas davantage. L’arme était celle de Kuyper. Tipo l’avait emportée après s’en être servi. L’option était envisageable, mais j’avais lu suffisamment de romans policiers pour savoir que le 9 mm n’était pas a priori une arme de femme.
Raoul avait raison sur un point. La police sud-africaine avait bâclé l’enquête. Ils avaient vraisemblablement d’autres chats à fouetter à ce moment-là. Ils n’avaient interrogé ni les compagnies de taxis ni les gardiens du lotissement à propos de cet homme chauve de taille moyenne dont les témoins avaient parlé.
Je décidai de passer outre.
— Je ne sais pas. C’est à la police de trouver la réponse.
Elle me dévisagea, incrédule.
La sonnerie de mon téléphone interrompit le trait mordant qu’elle s’apprêtait à me lancer.
L’écran afficha un numéro précédé de l’indicatif de la Belgique. Mon cœur se serra.
J’hésitai avant de prendre l’appel.
— Oui ?
— Raoul.
— Raoul ? Pourquoi m’appelles-tu d’un autre numéro ?
Je compris immédiatement que quelque chose clochait.
— Je suis grillé, maître.
Читать дальше