J’inclinai la tête en signe d’admiration.
— Vous avez l’air de vous y connaître, vous donnez l’impression de réciter un article de revue scientifique.
Elle marqua le coup, mais s’abstint de réagir et poursuivit.
— Nolwenn est venue à Casablanca il y a une douzaine de jours. Elle a fait un rapide aller-retour. Par recoupements, j’ai appris qu’elle est venue ici pour parler à ce Meslek. Elle a rompu avec Zagatto en octobre de l’année dernière. Je ne vois pas pour quelle raison elle a repris contact avec son préparateur.
— De fait, c’est étrange. Si ce Meslek est le préparateur de Zagatto, il y a de fortes chances qu’il ait été présent à Johannesburg le jour de la mort de Shirley Kuyper.
— Sans doute. En tout cas, il n’a pas bougé de Casablanca depuis la fin juin et il n’était pas à Bruxelles lundi passé.
Lundi passé.
Une semaine auparavant, à la même heure, j’étais chez moi. J’avais passé l’après-midi chez mes parents et je regardais je ne sais quel film à la télévision. Je m’apprêtais à passer ma dernière nuit d’homme libre.
— Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il acceptera de vous parler ?
— Rien, mais mes chances viennent d’augmenter de manière notable. Avec votre entregent et vos bonnes manières, je suis sûre qu’il ne pourra pas vous résister.
Il ne me fallut qu’une dizaine de minutes pour arriver au Pacha. Le club était situé au centre du Triangle d’or, un quartier proche de mon hôtel. Je n’y repérai ni triangle ni or.
Christelle Beauchamp était à l’heure au rendez-vous.
Nous avions convenu de nous retrouver devant le club à dix heures précises et d’y faire notre entrée de concert. Selon les renseignements qu’elle avait pris, Adil Meslek était présent dès l’ouverture et pratiquait quelques soins dans la matinée.
L’endroit n’était pas aussi classieux que ce qu’elle m’en avait dit. Le mobilier était vétuste, la blouse de la réceptionniste présentait quelques taches et les murs étaient émaillés de traces d’humidité.
Christelle Beauchamp annonça d’un ton péremptoire qu’elle souhaitait voir monsieur Meslek.
L’employée ne se fit pas prier. Elle appuya sur un bouton et l’homme sembla surgir de nulle part. Il était trapu, râblé et marchait de travers, à la manière des crabes.
Il nous présenta son profil droit et nous examina d’un œil suspicieux.
— Bonjour, que puis-je faire pour vous aider ?
Elle prit l’initiative.
— Je m’appelle Christelle Beauchamp, j’étais une amie de Nolwenn Blackwell.
L’air accablé, il s’inclina sous le poids de la douleur.
— Nolwenn Blackwell, j’ai appris la triste nouvelle, quel malheur !
Il se tourna vers moi.
— Monsieur ?
— Willy Staquet, j’accompagne madame Beauchamp.
Il opina du bonnet. À sa mimique, je compris qu’il était entendu que j’étais l’amant caché de Christelle Beauchamp et que je pouvais compter sur sa discrétion.
— Bien sûr, monsieur Staquet.
Il me serra la main, changea de profil et m’interrogea de son autre œil.
— Que puis-je pour vous ?
Je le rangeai d’emblée dans la catégorie des hypocrites de haut vol. Je notai également que l’évocation du nom de Nolwenn Blackwell l’avait contrarié.
Christelle Beauchamp prit les devants.
— Nous aimerions vous parler.
Elle jeta un coup d’œil vers l’arrière pour lui signifier qu’un peu d’intimité serait bienvenue.
Il fit volte-face.
— Suivez-moi !
Nous pénétrâmes dans les coulisses de l’endroit.
Comme je m’y attendais, l’arrière du décor était moins fringant encore. Le couloir était sombre et jonché de cartons divers. Il nous installa dans une minuscule pièce aveugle meublée d’un bureau surchargé de papiers sur lequel trônait un gros ordinateur IBM de la première génération.
— Asseyez-vous, je vous écoute.
Une nouvelle fois, elle me devança.
— Je suis journaliste. Je suivais Nolwenn Blackwell dans le but d’écrire sa biographie. J’ai appris qu’elle est venue vous rendre visite récemment. Le mardi 16 août, exactement. Quel était l’objet de sa visite ?
En moins de trois minutes, elle avait réussi à plomber l’ambiance.
Adil Meslek n’aimait ni son approche abrupte ni la teneur de la question.
Il crispa un sourire.
— Vous avez fait le voyage jusqu’ici pour me poser cette question ? Vous auriez pu me téléphoner, je vous aurais répondu.
Elle fit comme si elle n’avait rien entendu.
— Quel était l’objet de sa visite, monsieur Meslek ?
Le dernier semblant de sourire disparut.
— Elle était de passage à Casablanca, nous nous étions rencontrés lorsqu’elle fréquentait l’un de mes clients. Elle voulait me saluer, c’est tout. Pourquoi cette question ?
— Elle n’était pas de passage à Casablanca, elle est venue spécialement pour vous voir. J’aimerais savoir de quoi vous avez parlé.
Il se braqua.
— De rien de spécial. Je n’aime pas le ton que vous prenez pour me parler, madame. Vous êtes ici chez moi. Vous venez sans rendez-vous, vous me posez des questions comme si vous étiez de la police et quand j’y réponds, vous avez l’air de dire que je mens ou que je cache quelque chose. Je n’ai pas à répondre à vos questions. Maintenant, je vous demande de partir, j’ai du travail.
Elle ne s’attendait pas à cette réaction et changea de ton.
— Excusez-moi, monsieur Meslek. Nolwenn était mon amie. Je cherche à comprendre pourquoi elle a été assassinée.
Il se leva, furieux.
— Vous cherchez à savoir qui l’a tuée, vous venez chez moi à Casablanca pour me poser des questions et vous ne croyez pas ce que je raconte. Je vous demande de sortir, j’ai du travail.
Il me sembla opportun d’entrer en piste.
— Monsieur Meslek, qui était Shirley Kuyper ?
J’avais lancé la question avec l’aplomb de celui qui détient la majorité des actions dans un conseil d’administration.
Il blêmit.
— Qui êtes-vous, monsieur Staquet ?
Je sortis ma fausse carte de police et la posai devant lui sans un mot.
— Je répète ma question, monsieur Meslek, qui était Shirley Kuyper ?
— Je ne sais pas.
Il avait prononcé ces mots avec autant de conviction qu’un dentiste face à son contrôleur fiscal.
— Dans ce cas, je vais vous rafraîchir la mémoire, monsieur Meslek. Shirley Kuyper était une pute, une nana qui se faisait baiser pour du pognon, si vous préférez. Elle pratiquait son art à Johannesburg et a été assassinée le 28 juin 2010. Je répète ma question, que savez-vous de Shirley Kuyper ?
Il se mit à balbutier.
— Je n’ai rien à voir avec ça. J’étais à Johannesburg pour la Coupe du monde, je ne la connais pas, cette femme.
— Si, vous la connaissez, monsieur Meslek.
Il se leva et se mit à vociférer.
— Non, je ne la connais pas ! Elle m’a donné sa carte de visite, un soir, dans un bar. Elle savait que j’étais le préparateur physique de certains joueurs. Elle voulait que je lui envoie des clients, c’est tout. Je ne l’ai plus vue après cette soirée. Je n’ai pas d’argent à dépenser pour ça, je suis un homme honnête, je suis marié, je ne touche pas à ça.
Cette fois, je le croyais.
— À qui avez-vous donné sa carte de visite ?
De la sueur perlait sur son front.
Il s’avoua vaincu et se rassit.
— Un soir, l’un des joueurs m’a demandé si je connaissais quelqu’un. Il voulait une blonde. Vous savez comment ça se passe.
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