Le rapport d’autopsie spécifia que Kallweit n’avait pas bu, qu’il n’était pas sous l’emprise de drogues et qu’il n’avait subi aucune violence corporelle avant d’être exécuté. Il mentionnait en outre que l’homme avait eu recours à la chirurgie esthétique quelques années auparavant.
Interrogée par les policiers, la femme de la victime déclara que son mari avait quitté la maison vers vingt heures quarante-cinq pour promener son chien comme il avait coutume de le faire chaque soir.
À minuit, comme il n’était pas encore rentré, elle s’était inquiétée et avait appelé la police.
Le préposé avait noté l’information et lui avait conseillé de ne pas s’alarmer. Selon lui, ce genre de situation se produisait régulièrement. Il était fort probable que son mari ait été pris d’un malaise ou ait eu une perte de connaissance. Il se trouvait vraisemblablement au service de garde d’une clinique et lui donnerait signe de vie dans les heures qui suivraient.
Deux inspecteurs de la police criminelle de Francfort furent chargés de l’affaire et arrivèrent à Neuhof en fin de matinée.
Ils convoquèrent l’épouse de Kallweit et l’interrogèrent plus longuement. Elle précisa qu’elle n’avait pas trouvé son mari plus nerveux ou tourmenté que d’habitude et qu’elle ne lui connaissait pas d’ennemi.
Ils conclurent que le vol ne pouvait être le mobile du crime, Kallweit avait toujours ses papiers sur lui et son argent ne lui avait pas été dérobé.
Les voisins déclarèrent n’avoir rien vu ni entendu et aucun indice ne fut relevé sur la scène de crime. Les enquêteurs en déduisirent que le meurtre avait eu lieu à un autre endroit et que le corps avait été transporté par la suite.
Après quelques jours, ils se rendirent compte que les informations qu’ils avaient recueillies concernant le passé d’Otto Kallweit contenaient de nombreuses contradictions. Les explications concernant l’intervention chirurgicale qu’il avait subie ne les avaient pas plus convaincus.
Ils entreprirent des recherches approfondies et mirent la main sur l’acte de décès d’un certain Otto Kallweit, sergent de la Wehrmacht, né en mai 1900 à Cologne et tué dans un bombardement en 1945.
Ils poussèrent plus avant leurs investigations et découvrirent la véritable identité d’Otto Kallweit. Le paisible bibliothécaire de Neuhof n’était autre que Heinrich Müller, l’homme qui avait dirigé la Gestapo durant la Seconde Guerre mondiale.
Né à Munich en avril 1901, Heinrich Müller avait abandonné ses études à l’âge de seize ans et s’était engagé comme volontaire dans l’armée allemande en 1917. Il avait obtenu la Croix de fer pour sa bravoure.
À la fin de la guerre, il était entré dans la police bavaroise et s’était spécialisé dans la surveillance de membres du parti communiste.
Son opiniâtreté et son expérience du terrain avaient attiré l’attention de Reinhard Heydrich qui l’avait engagé au sein de la Gestapo pour mener la lutte anticommuniste.
En juillet 1936, il avait été nommé officiellement chef des opérations de la Gestapo, puis directeur en 1939. Il était resté à la tête de la Geheime Staatspolizei jusqu’en 1945.
Sous sa direction, la police secrète de l’État avait renforcé ses campagnes contre les Juifs, les communistes et les Églises catholiques et protestantes. En 1938, il avait créé la Reichszentrale für jüdische Auswanderung , le service aux Affaires juives, et en avait confié la direction à Adolf Eichmann.
Durant la Seconde Guerre mondiale, il avait été promu SS-Brigadeführer en 1940 et SS-Gruppenführer en 1941.
Heinrich Müller avait joué un rôle majeur dans l’Holocauste. Il était considéré par les Américains comme l’un des hauts responsables du plan d’extermination des Juifs en Europe.
En ce sens, il était plus impliqué dans la Solution finale que ses supérieurs directs, Reinhard Heydrich, Heinrich Himmler et Ernst Kaltenbrunner.
Il avait été vu pour la dernière fois le 29 avril 1945, à Berlin, dans le bunker d’Adolf Hitler, alors que l’Armée rouge encerclait la ville.
D’après Hans Baur, le pilote personnel d’Hitler, il aurait tenu les propos suivants : « Je connais mieux que personne les méthodes russes, je n’ai pas la moindre intention d’être fait prisonnier. »
De ce jour jusqu’au 4 mai 1950, il n’avait laissé aucune trace de lui.
À la lueur de ces informations, les responsables de la police criminelle de Francfort estimèrent que le meurtre d’Otto Kallweit était un acte de vengeance personnelle.
17
Autant être fixé sur la question
Le moteur de la Mercedes ronronne. Je file à plus de cent quatre-vingts sur la portion qui relie Coblence à Hockenheim.
La dernière fois que j’ai fait cette route, la neige tombait à gros flocons.
C’était en 2003, décembre approchait. J’y allais pour faire mes adieux à ma tante. Je l’ai également prise à l’occasion de ses soixante-cinq ans, une autre fois lors de son départ à la retraite, en avril 1987.
Tout était différent. Nous étions quatre dans la voiture ; ma femme, ma mère et mon fils m’accompagnaient.
Une Porsche me colle au cul, tous phares allumés. J’enfonce l’accélérateur. Elle serre à gauche, fait une brusque embardée et me passe par la droite. Le schleu au volant brandit son majeur au passage.
Je lui rends la pareille.
Danielle fredonnait Joe le taxi . Elle chantait faux. Ma mère me lançait des clins d’œil de connivence dans le rétroviseur. Sébastien me demandait sans cesse quand nous allions arriver.
J’écrase mon poing sur le volant.
Je déteste la nostalgie, les états d’âme et les élans de bons sentiments. Je laisse ça aux vieux, aux dépressifs et aux empathiques qui pensent changer le monde en publiant des statuts sur Facebook. Rien n’est plus hypocrite que de se donner bonne conscience en défendant des causes sur un réseau social ou en plastronnant dans un cocktail mondain, le summum de la sournoiserie étant de critiquer avec virulence ceux qui ne font rien pour ces mêmes causes.
À hauteur de Stuttgart, je suis ralenti par un accident.
Une Audi est sur le toit. La caravane qu’elle tractait est éventrée, les affaires que celle-ci contenait sont éparpillées sur plusieurs dizaines de mètres.
La famille est assise sur le talus, en rang d’oignons, le père, la mère, les deux mouflets. Ils sont blancs comme des linges et se tiennent serrés les uns contre les autres.
Pierre, mon éditeur, m’appelle alors qu’il me reste cinquante kilomètres à parcourir.
— Salut, Stan, tu vas bien ?
— Ça va.
— Aux premières nouvelles, les ventes démarrent bien.
J’ai de l’estime pour lui, je m’abstiens de lui dire que le titre est faux et le texte obsolète.
— Tant mieux.
— Tu as eu des nouvelles de la personne qui a téléphoné pendant l’émission ?
— Non, rien.
— Ne désespère pas, le livre vient de sortir.
Son optimisme me sidère.
Il est convaincu que la sortie du bouquin va amener de nouveaux indices, que des témoins vont émerger de la brume pour lever le voile sur des secrets d’État, que les flics vont rouvrir le dossier, partir en chasse, dépister les assassins et leur mobile.
Plus de deux mille bouquins ont été publiés sur l’assassinat de JFK et on ne connaît toujours pas le fin mot de l’histoire.
Je sors de l’autoroute peu avant dix-sept heures.
Un creux se forme dans mon estomac. Zusmarshausen a gagné en étendue. De nouvelles maisons ont envahi la campagne. La route a été élargie. Un centre sportif et une grande surface ont été implantés à l’entrée du village.
Читать дальше