Caryl Férey - Haka

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D'origine maorie, Jack Fitzgerald est entré dans la police après que sa fille et sa femme ont mystérieusement disparu sur une île de Nouvelle-Zélande. Pas la moindre trace. Juste la voiture vide et le souvenir d'un geste de la main, d'un sourire radieux…
Vingt-cinq ans ont passé. Jack est devenu un solitaire rapide à la détente, un incorruptible « en désespoir stationnaire ». La découverte sur une plage du cadavre d'une jeune fille au sexe scalpé ravive l'enfer des hypothèses exacerbées par le chagrin. Aidé par une brillante criminologue, Jack, devant les meurtres qui s'accumulent, mènera l'enquête jusqu'au chaos final…
Écrivain, voyageur, Caryl Férey est né en 1967. Il écrit pour la musique, le théâtre et la radio. La publication de Utu, deuxième volet publié en Série Noire d’une série romanesque consacrée aux Maoris de Nouvelle-Zélande, l’a révélé comme l’un des espoirs confirmés du thriller français.

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— Ou… oui !

— Pauvre cloche. Tu as dit à Katy Larsen de mentir à la police pour une stupide histoire de coucherie. C’est bête mais grave. Je peux t’embarquer rien que pour ça. Maintenant, avant que ça ne te coûte trop cher, explique-moi tout, et en vitesse.

Pete céda sous la menace.

— Je sortais avec Carol depuis trois semaines environ. Au début, tout allait bien. Et puis, elle m’a présenté sa copine Katy. J’ai craqué, et je crois que Katy aussi. Alors, j’ai évité Carol pour voir Katy. On a couché ensemble une fois ou deux avant que je me décide à larguer Carol. Mais comme Katy ne voulait pas que Carol sache qu’on l’avait trahie, j’ai dû lui raconter un baratin pas possible. Ça n’a pas vraiment pris. Alors en fin de soirée, j’ai emmené Carol dehors pour lui expliquer. C’était hier soir. On s’est engueulés dans la rue et Carol est partie, furieuse. Je l’ai laissée. Je suis rentré chez moi et j’ai téléphoné à Katy pour lui raconter.

— Tu as des témoins ?

— Non, j’étais seul chez moi.

— Ça peut te coûter cher : Carol est morte une heure après.

— Mais je ne l’ai pas tuée ! Et puis d’ailleurs, pourquoi l’aurais-je fait ? Si tous les mecs qui larguent une fille devaient la tuer, ce serait un carnage dans le pays !

— Je me fous de tes considérations à la noix. Pourquoi avoir menti à la police ? Il s’agit d’un meurtre, vous le saviez tous les deux.

— Katy a eu peur. C’est une fille de bonne famille et elle ne voulait pas apparaître dans les journaux comme une salope.

— Vous êtes vraiment trop cons, les jeunes… Bon. Et Carol ? Comment était-elle après votre altercation ?

— Pas vraiment bouleversée, répondit le barman. Plutôt furieuse. Elle est partie en m’insultant mais je m’en moquais bien : j’aime Katy.

— Je m’en fous. Carol était seule ?

— Oui.

— Et durant la soirée ?

— Je ne sais pas. Je travaillais et il y avait beaucoup de monde. Elle n’est venue me voir qu’en fin de soirée. À ce moment-là, elle était seule. Et quand je l’ai quittée aussi.

— Personne pour la raccompagner à Takapuna ?

— Non.

Le parcours de Carol se construisait lentement dans son esprit.

— Quelles étaient ses habitudes de fin de soirée ?

— Quand on dormait chez moi, on rentrait à pied : j’habite à côté. Mais quand on allait chez elle, c’est elle qui conduisait. Mais on n’y allait pas souvent : il y avait Katy et on préférait être seuls chez moi.

— Comment était-elle au lit ?

— Heu…

— Fais pas ta zouzette. Tu aimes sauter les filles, alors accouche !

— Bonne. Je dirais même plutôt chaude. Oh ! se rattrapa-t-il. J’ai honte de parler comme ça de quelqu’un qui…

— Ta gueule. Connaissait-elle d’autres hommes en même temps que toi ?

— Peut-être. De toute façon, ce n’était pas mon affaire. Moi aussi, j’avais d’autres filles…

— Une idée de ces types ?

— Non.

— Parle-moi un peu d’elle. Tu la connaissais bien…

— Rien de spécial. On se voyait la nuit et peu le jour. Carol travaillait à l’abattoir. On se voyait parfois le samedi. On allait à la plage mais rien de très romantique.

— Et les dimanches ?

— On ne se voyait pas.

— Pourquoi ?

— J’en sais rien. Sa famille peut-être. Je ne lui posais pas de questions, elle non plus, c’était notre contrat.

Carol ne voyait plus sa famille. O.K. Il changea de sujet.

— Et les billets de cent dollars ? Carol cachait des billets de cent dollars sous son sommier.

— Alors là, je vous jure que je ne sais pas de quoi vous parlez.

Ses yeux ne mentaient pas.

— Dope ?

— Carol ne se droguait pas. Elle jouait avec son corps mais seulement pour l’amour. À sa manière, c’était une ambitieuse. Elle aurait tout fait pour sortir de son abattoir et c’est pas en grillant son fric avec de la drogue qu’elle y parviendrait. Elle le savait.

— Elle dealait peut-être ?

— Non. C’était pas son milieu. Tout ce qui l’intéressait, c’était les mecs. Le prince charmant et tout ce charabia. La drogue ici, c’est trop risqué. Tout le monde le sait. Les flics sont partout…

— Sais-tu si Carol tenait un journal intime, un endroit où elle pouvait comptabiliser ses conquêtes ?

— Non, pas de journal.

— Réfléchis bien. C’est un truc des gamines de son âge. Et ça peut être important.

Pete racla les fonds de sa mémoire. Soudain, une petite lueur jaillit de ses yeux sourds.

— Dis-moi ! menaça Jack.

— Elle… elle avait souvent un dictaphone sur elle.

— Un dictaphone ? Pour quoi faire ?

— Elle enregistrait tout et n’importe quoi. Comme je n’aimais pas ça, je lui avais dit de ne pas m’enregistrer.

— Elle enregistrait quoi ?

— J’en sais rien. Ses impressions, ce qui lui arrivait, je sais pas…

— Tu n’as jamais entendu le contenu de ces bandes ?

— Non, jamais.

— Pourquoi tu n’aimais pas ça ?

Silence trop long. Fitzgerald broya sa tignasse.

— Arrêtez, merde ! siffla Pete. J’aimais pas ça parce qu’un matin, après qu’on avait fait l’amour, j’ai découvert son dictaphone coincé entre le matelas et le mur de la chambre. Il était en marche. Je lui ai demandé ce que ça foutait là et elle est devenue rouge pivoine. Elle m’a baratiné mais je lui ai dit de ne pas jouer à ça avec moi. Elle me l’a promis et on n’en parlait plus…

— Elle le portait toujours sur elle ?

— Katy m’a dit qu’elle l’avait souvent sur elle…

Katy n’avait rien dit à Waitura lors de l’interrogatoire. La petite menteuse lui payerait ça. Pete devina les pensées du policier et tenta de couvrir sa nouvelle conquête.

— Katy ne sait rien de plus et…

— La ferme ! lui cracha-t-il au visage. Tu savais que Carol faisait la pute sur Quay Street ?

Le barman sortit une paire d’yeux globuleux. Jack comprit qu’il ne pourrait plus rien en tirer.

— Bon. Maintenant, va reprendre ta place derrière le bar et boucle-la.

Le jeune homme, plutôt secoué, passa son visage sous l’eau. Avant de quitter les toilettes, le policier menaça :

— Et pas un mot aux journalistes. Si certains viennent te voir, envoie-les paître. C’est un conseil.

Pete quitta la pièce nauséabonde en se massant le cuir chevelu. Tout allait trop vite.

Des amoureux se bécotaient sur le trottoir de Princess Street. Jack venait de sortir du Sirène sans prendre garde à sa partenaire. Dans son dos, des chaussures trépignaient.

— Qu’est-ce que vous a dit le petit ami de Carol ? glapit Ann. (Jack s’arrêta enfin.) Vous lui avez secoué les puces ?

— Oui.

— Et ça le démangeait ?

— En quelque sorte. Ce nabot nous cachait la vérité. Peu avant le meurtre, il annonçait sa rupture avec Carol. Motif non évoqué : sa folle passion pour Katy Larsen, la colocataire. Cette petite idiote ne nous a pas tout raconté et je compte bien lui secouer ses puces à elle. J’ai besoin de passer la maison au peigne fin. Carol utilisait un dictaphone, jusqu’alors introuvable. Et quelque chose me dit que le meurtrier figure sur les bandes.

— Où peut-elle l’avoir caché ?

— Je n’en sais rien. Mais j’ai ma petite idée sur ce qui figure sur les bandes… Bon, il est tard, je vais rentrer. Vous feriez mieux d’en faire autant. Demain, j’aurai le rapport d’autopsie de Mc Cleary et un mandat de perquisition, avec ou sans la présence de Katy Larsen…

Ann sentit qu’une chose parasitait le fonctionnement de son esprit. Il finit par dire :

— Je vous raccompagne…

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