Carl affiche un sourire crispé face aux caméras du studio braquées sur lui. Il murmure entre ses dents.
« Écoute, dit Joaquim, s’en prendre à sa personnalité pourrait marcher ! Au dehors, il y a déjà des voix qui s’élèvent. »
Carl se concentre sur les images.
« Des conneries ! »
« Elle ment ! »
« J’utilise Freemee tous les jours, ça marche super bien ! »
« Tu vois, il y a des utilisateurs Freemee sur place », fait Joaquim.
« Laissez-la parler ! » fait quelqu’un.
« Oui, qu’elle parle ! » renchérit un autre.
« Tu parlais de deux possibilités, intervient Henry.
— La seconde, c’est l’offensive. On déballe tout, avec les mots justes. Les gens aiment Freemee pour tout ce que la boule de cristal et les Act Apps font pour eux. Nous n’avons qu’à leur rappeler à quel point tout ça est positif pour eux. Rappelons-leur que leur confort et leur sécurité sont plus importants que leur liberté et leur indépendance. Ils ne sauront que faire, alors.
— On va faire les deux, dit Henry. S’en prendre à Bonsant et mettre en avant les avantages de Freemee.
— Impossible d’avouer les décès accidentels, avertit Joaquim. Sinon certains d’entre nous iront en prison…
— On n’en reconnaît pas la responsabilité, s’immisce Henry. Mais pas la peine de les nier. Impossible de prouver le rôle de Freemee. Et quand bien même ! » Il rit. « As-tu déjà vu le conseil d’administration d’un cigarettier, d’un fabricant d’armes ou d’une banque en prison ? Et les gens continuent d’acheter du tabac, des armes ou des crédits plus ou moins toxiques. Ce qu’ils feront aussi avec Freemee.
— Arrête avec ces comparaisons ! l’interrompt Carl.
— Bien, bien. Toute l’affaire nous donne encore un bel avantage : Erben Pennicott ne pourra plus exercer de pression sur nous une fois que tout sera sur la place publique. »
« Je viens de me connecter, dit Erben à Jon.
— Cette Bonsant a ouvert la boîte de Pandore. Je comprends maintenant ton intérêt pour Freemee.
— C’est du passé. Ça m’étonnerait que Freemee y survive. Les concurrents vont se réjouir de la pagaille générée. On se mettra en relation avec eux.
— On a retiré nos hommes, dit Jon. Dehors, il y a des caméras partout. Chacun est surveillé. Même nos troupes.
— Faudra penser à inventer la cape d’invisibilité.
— On y est presque. Mais pour l’heure, nos hommes doivent apprendre à agir dans ces circonstances. Le moment où ils ont essayé de reprendre Bonsant à la police de New York a été filmé par onze caméras de surveillance et par sept passants porteurs de lunettes.
— Sa fuite est bien commentée également. Elle constitue presque un aveu. Il est regrettable qu’elle leur ait échappé. Mais maintenant on l’a. »
« Si vous voyez ça, maintenant ou plus tard, demandez des informations à Freemee ! lance Cyn à la foule. Ou essayez d’éclaircir les disparitions comme celle d’Eddie Brickle.
— Ça suffit maintenant, madame ! » crie l’un des policiers qui est parvenu à se frayer un chemin à travers la foule, suivi de son collègue. « Écartez-vous ! Laissez-nous passer ! »
En les voyant, Cyn essaye de se libérer de la prise des deux hommes qui la tiennent de nouveau.
« Des disparitions assassines ! » hurle-t-elle dans la foule.
Elle est folle, lui crie-t-on.
Les fonctionnaires arrivent à son niveau, elle n’a plus que quelques secondes.
« Et si la mort du directeur des statistiques de Freemee survenue il y a quelques mois était un meurtre ? »
Tandis qu’elle poursuit, les deux policiers lui disent qu’elle est en état d’arrestation et l’arrachent aux deux hommes.
« Et qu’en est-il de Chander Argawal que j’ai prétendument tué ? crie-t-elle plus fort encore. La dernière fois que je l’ai vu, il était en parfaite santé ! »
Alors qu’on lui passe les menottes dans le dos, quelqu’un crie : « Paranoïaque ! »
Elle ne se laisse pas démonter. « Faites des recherches ! Examinez tout ça ! » crie-t-elle encore alors que les fonctionnaires l’emmènent. L’attroupement la suit, au-dessus de leur tête, l’imposant visage d’Eddie.
« Fermez-la ! ordonne un policier.
— Plutôt mourir ! Un gamin de dix-huit ans a réussi à percer ces mystères, vous pouvez y parvenir aussi ! »
Ils sont arrivés au carrefour suivant. Une voiture de police se trouve entre des taxis. Lorsque les fonctionnaires lui appuient sur la tête pour l’embarquer, elle se retourne une dernière fois. « Ensemble, vous trouverez plus de choses encore ! Vous trouverez tout ! »
L’homme la pousse sur la banquette et ferme la portière. Un court instant, le calme règne. Lorsque les policiers prennent place à l’avant, elle entend les cris de la foule, les bruits de la ville, puis la sirène.
Sur le trajet du commissariat, l’inspecteur Straiten apprend que les résultats des appareils de mesure de Bonsant, de ses lunettes et de son téléphone sont disponibles, de même que ceux d’Argawal.
« C’est allé vite, dit-il dans ses lunettes.
— Les collègues ont découvert que lorsque les lunettes de l’Indien ont cessé de fonctionner, Bonsant se trouvait à proximité. Seulement, la localisation a une marge d’erreur de trois mètres. C’est donc assez imprécis.
— C’est quoi “à proximité” ? Assez près ?
— On a la même marge d’erreur pour les appareils de la victime. En tout, ça nous donne une approximation de plusieurs mètres.
— Sois clair ! Les deux cercles de trois mètres se recoupaient-ils au moment de l’agression, oui ou non ?
— Oui et non.
— Des faits !
— Tu m’as demandé de parler des cercles. Vus d’en haut, oui, ils se croisent. Mais on sait que Bonsant descendait l’échelle d’incendie. Ses coordonnées sont restées plus ou moins identiques.
— Mais…
— Pas l’altitude. Manifestement, elle se trouvait quatre à huit mètres plus bas qu’Argawal lorsque ses lunettes ont cessé de fonctionner.
— Ça ne signifie pas grand-chose. Peut-être que les lunettes n’ont cessé d’émettre qu’après l’impact, alors qu’elle avait pris la fuite.
— D’après le médecin, non. Le coup était trop brutal.
— En gros, nous cherchons un autre suspect ?
— Elle a raconté au cours de son show qu’elle était poursuivie par plusieurs hommes. T’as vu son raffut à Times Square ?
— En partie.
— T’en penses quoi ?
— Rien. Ça a l’air insensé. En même temps, on m’aurait dit il y a trois ans que nous pourrions causer avec des lunettes, j’aurais trouvé ça fou aussi. »
« Chers téléspectateurs, notre émission s’achève normalement dans quelques minutes ! Considérant les événements récents survenus à New York, nous allons rester plus longtemps à l’antenne. Nous accueillons Tyria Lebon, notre présentatrice vedette. Notre régie diffuse actuellement une analyse de la vidéo réalisée par Trevor Demsich et postée sur son blog ! Trevor est un spécialiste en IT de Santa Fe. Grâce à un programme de reconnaissance faciale et corporelle, il a examiné les images des caméras de surveillance et des smartglasses envoyées sur le Net cet après-midi. »
Il porte la main à son oreille pour mieux comprendre ce que lui dit la réalisatrice dans son oreillette.
« On vient de me dire que Trevor a fait une découverte intéressante ! Tout de suite après l’agression supposée de Chander Argawal, Cynthia Bonsant a quitté l’hôtel. Dans les minutes qui ont suivi, huit autres personnes en sont sorties. Parmi eux, cet homme. »
Sur l’écran, un homme en costume et lunettes est entouré d’un cercle rouge.
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