« C’est moi. Anthony. Qu’est-ce que tu fous ? Un gamin raconte des âneries et tu veux les publier ? Tu veux provoquer notre ruine ? Freemee va porter plainte ! S’ils soupçonnent seulement que tu fais ce genre de recherches, alors ils nous foutront un procès au cul pour diffamation !
— Mais nous devons…
— Jeff va voir ce qu’il peut faire. Ça va prendre un peu de temps. Et nous avons plus important à faire.
— J’en sais bien plus maintenant !
— Des faits ? Des documents ? Des preuves ?
— Ça va venir. » Elle se mord les lèvres.
« Lorsque tu auras du tangible, on pourra causer. Auparavant, je ne veux pas en entendre parler. Fais plutôt en sorte de t’en sortir pendant cette émission ! »
Il raccroche.
Quel connard ! Chander doit m’aider.
Le visage d’Henry apparaît face à Joaquim. Depuis longtemps, il n’a plus besoin de se demander si ces images sont réelles ou trafiquées. Un petit logiciel l’en informe. De même que la reconnaissance vocale lui apprend si son interlocuteur est sincère ou non.
« Alors, as-tu des résultats ? demande Henry.
— Chander Argawal est prêt à accepter l’offre de Carl. Il veut plus. D’après ses données, il en fera toujours de même, quelle que soit la somme que nous proposerons. Tôt ou tard, il voudra une rallonge. Puis une autre. Il ne sera jamais satisfait.
— Il va nous faire chanter ?
— La probabilité est de 98 %.
— Alors, on ne pourra pas s’entendre avec lui. Et l’Anglaise ?
— Elle se considère au-dessus de tout ça. Ils vont encore discuter longuement. Argawal va tenter de la faire changer d’avis. Il n’y parviendra pas. Elle va dévoiler ce qu’Eddie Brickle a trouvé.
— Tu as toujours su régler les problèmes », se contente de répondre Henry.
« Nous serons rapides. »
Il sait ce que signifient ces mots. Il met fin à l’appel et compose un autre numéro. Il ne peut utiliser qu’un appareil sécurisé, de ceux qu’utilisent les hommes politiques, les grands patrons et les services secrets. Joaquim transmet le code annonçant la mise en œuvre d’un des plans prévus.
Comme convenu, Chander a laissé sa porte ouverte. Ses affaires sont sur le lit. Cyn entend le clapotis de l’eau dans la salle de bains.
Son regard, attiré par un point lumineux, tombe sur les vêtements de Chander. Ses lunettes semblent la regarder.
Les genoux tremblants, elle contourne le lit et s’approche des lunettes par-derrière. Elle commence par les pousser dans une poche du sac afin qu’elles ne puissent plus filmer si toutefois elles étaient en train de le faire. Puis elle ouvre la poche principale du sac où Chander range ses deux téléphones. Aucun d’eux n’est protégé par un mot de passe ! Elle repense à ses propres paroles. Les gens qui travaillent dans l’informatique se croient si malins qu’ils commettent les plus grosses bourdes. Elle regarde si l’un des deux appareils est relié aux lunettes. Celui qu’elle tient dans sa main droite reçoit effectivement des images des lunettes. Ce qui, en soi, ne signifie rien. Pure parano ! Elle est absorbée dans ses réflexions lorsque le voyant annonçant la réception d’un nouveau message scintille.
La curiosité est une maladie professionnelle, non ? N’est-ce pas ce que m’a dit Chander ? Même Viola me reproche mon indiscrétion.
Comme d’habitude, elle ne peut résister. Elle jette un regard furtif en direction de la salle de bains puis sur l’écran.
Expéditeur : Carl Montik
Appelle-moi !
Fébrilement, elle survole le contenu de la conversation. Voilà plusieurs jours qu’ils échangent des messages. Elle manque de lâcher le téléphone ! Il s’agit d’elle et de la vidéo d’Eddie ! Les plus anciens ne concernent qu’elle. Le premier message a été envoyé par Chander après sa première rencontre avec Cyn.
Aujourd’hui, j’ai vu Bonsant.
Plus vieille que ce que je pensais.☺
Assommée, elle remet le téléphone à sa place et referme la poche.
Un soupçon lui tord le ventre. Chander ne courait pas après Zero, mais après elle ! Ses délicates attentions n’étaient nullement de la passion, mais seulement une manière froide d’accomplir sa basse besogne. Mais pourquoi ?
Dans le grand miroir qui lui fait face, elle voit son sourire désespéré. Il se transforme en une grimace pincée qui la vieillit.
Plus vieille que ce qu’il pensait !
Dans la salle de bains, la douche coule encore. Elle est incapable de rester là une minute de plus.
Elle se rue en direction de la porte au moment où quelqu’un frappe. Des voix. « Service de chambre ! »
Elle hésite. La porte n’a pas de judas. Aurait-il commandé quelque chose ? Elle l’ouvre un peu, voit un groom en livrée. Elle ouvre davantage. Elle aperçoit quatre hommes le long du mur. Elle claque la porte. On s’acharne après la serrure électrique. Elle se précipite vers la fenêtre ; l’échelle d’incendie mène dans la cour et sur les toits. Elle l’ouvre.
« Qu’est-ce que tu fais ? » Chander sort de la douche.
Elle ne répond pas, ne le regarde même pas, n’aperçoit qu’un bout de son visage stupéfait tandis qu’elle s’engage sur l’échelle métallique. La cour est étroite, sombre et chaude. Elle tente de fermer la fenêtre derrière elle, en vain. Alors qu’elle descend les premiers degrés, la porte s’ouvre violemment. Chander, en train de fouiller dans son sac, se tourne. Des gens font irruption, deux s’en prennent à lui, trois bondissent vers la fenêtre. Elle entend des voix, des bribes de mots criés, comme « cour », « en bas », « attraper », « piège »… Elle se concentre sur les fins barreaux qui rendent un bruit métallique sous ses pieds tandis qu’elle les dévale deux par deux. La chambre de Chander est au sixième étage. Elle en a déjà descendu deux. En bas, elle est sans doute attendue. Personne pour l’instant, mais ils ne devraient pas tarder. Elle pense aux scènes de fuite dans les films. Encore un étage. Elle sent le métal chaud sous ses doigts. Au-dessus d’elle, les assaillants. Elle ne veut pas perdre la moindre seconde à les regarder pour les compter. Un étage encore. Devant elle, une fenêtre entrebâillée. Sans réfléchir, elle la pousse, se glisse dans la chambre, la ferme précipitamment et court à la porte, sous le regard des hôtes médusés. Le temps d’un souffle, elle se demande si elle doit courir le risque de se dissimuler dans la salle de bains pour attendre que ses poursuivants aient disparu, en espérant que les occupants ne diront rien. Trop risqué.
Elle ouvre la porte à toute volée, se précipite dans le couloir.
Fébrilement, elle regarde alentour. Ses poursuivants l’ont sans doute vue entrer dans la chambre. Peut-être la fenêtre fermée pourra-t-elle les retarder un peu ? Ou pas. Leurs complices dans la cour ont dû les informer de la situation. Où sont-ils ? Ascenseur ? Escaliers ? Avec l’ascenseur, elle a une petite chance. S’il arrive à temps. Et à la réception, il y a toujours du monde. Sera-t-elle en sécurité ? Au moins un moment de répit ?
Elle se hâte vers les ascenseurs. Deux sur quatre sont occupés. L’un vient d’en haut, l’autre est arrêté. Elle appuie sur le bouton d’appel. La porte s’ouvre. Vide. Elle saute dedans, presse le bouton pour gagner le rez-de-chaussée. Les deux portes métalliques se referment.
À bout de souffle, elle tente de mettre de l’ordre dans ses pensées. Il lui reste trente secondes avant d’arriver. Si elle avait besoin qu’on lui confirme que ni la mort d’Eddie ni celle de Joszef Abberidan n’étaient accidentelles, alors c’est fait. Encore que… Nul doute, Carl et Chander ont dû lui dérober la vidéo.
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