Mais de là à commettre un meurtre ? Non, impossible. Pourquoi Chander aurait-il récupéré la vidéo à Londres pour finalement la supprimer ? Est-il possible qu’il ait une sorte de couverture ? Peut-être ne savait-il rien de l’expérience ? Quelle est sa vraie mission ?
La surveiller ? Détourner son attention ? Veut-il seulement l’utiliser ? Pourquoi l’a-t-on attaquée ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’autre tentative et seulement une proposition de Freemee ?
Grâce à ses lunettes, sa smartwatch et ses données, l’entreprise connaît bien Cyn et ce qu’elle a en tête. Elle a elle-même communiqué ses données. À cause de Peggy. Non. De Chander. Elle a un goût amer dans la bouche. Elle avale sa salive, tandis que ses pensées continuent de se télescoper. Est-ce que Will l’a conviée à ce rendez-vous à cause de ses données ? Est-ce pour cela que Carl lui a fait une offre ? Parce que Freemee a estimé qu’elle accepterait ? A-t-elle été prête à accepter, d’ailleurs ? Elle y a pensé, oui.
Vous ne pouvez pas m’acheter !
Dans les lunettes de Joaquim, les alertes liées aux appareils de Cynthia scintillent. De petits chiffres indiquent la diminution de son altitude.
« Elle a pris l’ascenseur, s’écrie-t-il. Dépêchez-vous ! Et n’oubliez pas que l’hôtel a placé des caméras de surveillance dans les ascenseurs et il la réception. Pas de comportement suspect ! Ne courez pas ! N’évoluez pas en groupe ! »
Cyn manque de s’effondrer lorsque l’ascenseur s’arrête. Les portes s’ouvrent. Sept personnes attendent. Un Noir d’un certain âge avec des grandes lunettes. À côté de lui, une famille avec deux enfants, et un jeune couple en short et robe. Derrière eux, au moins une trentaine de personnes qui vont et viennent, qui attendent à la réception ou qui restent ensemble à bavarder. Ceux qui attendent l’ascenseur s’écartent un peu pour la laisser passer. Elle regarde tout autour pour voir si certains pourraient être ses poursuivants. Elle a un doute concernant deux hommes en costume et un troisième en jean.
Elle devrait tout raconter au réceptionniste, mais cinq personnes font la queue. La pensée de devoir attendre avec eux la rend nerveuse. D’autant plus que les deux hommes en costume lui paraissent décidément vraiment suspects. Elle décide de rejoindre la sortie à grandes enjambées. Elle se retourne à deux reprises, personne derrière elle.
Dehors, elle est assaillie par la chaleur. Les badauds, pourtant, se déplacent à toute allure. Elle regrette de n’avoir ni casquette ni lunettes de soleil pour se protéger des caméras omniprésentes. Tête baissée, elle se fond dans la masse des passants. Elle gagne ainsi le premier carrefour.
Dans un coin une clocharde mendie. Cyn se penche sur elle, comme pour lui donner l’aumône. Elle lui tend sa smartwatch, et, avant que l’autre ne puisse protester, la passe à son poignet.
« Un cadeau. Portez-la un peu avant de la revendre, s’il vous plaît. »
« Ce n’est pas si simple », murmure Joaquim.
Les caméras de surveillance d’un café ne lui permettent pas de voir précisément ce que fait Cyn auprès de la mendiante.
Cependant, le changement des données communiquées par la montre, notamment le pouls et la géolocalisation, lui fait comprendre qu’elle vient de s’en débarrasser.
Il transmet l’information à ses hommes. Que s’est-il passé dans la tête du chef d’équipe ? Pourquoi n’a-t-il placé personne à la réception plutôt que de poster tous ses hommes dans la cour ? Il faudra qu’ils rattrapent le coup.
« Ce qui était valable dans l’hôtel l’est plus encore dans la rue », rappelle-t-il à ses hommes. « Restez discrets, afin que le Domain Awareness System ne vous repère pas. Un seul homme, pas plus, derrière Bonsant. Je l’ai dans le viseur. Je vous tiens au courant. »
Au carrefour, Cyn attend avec un groupe de piétons qui patientent au feu rouge. Elle fait discrètement tomber ses lunettes dans la poche d’un des passants tout en lui dérobant son téléphone. Par chance, il n’est pas verrouillé. Elle le met dans sa poche sans que quiconque prête attention à son manège. Lorsque le feu passe au vert, elle donne le sien à un adolescent.
« Cadeau. »
Elle continue sa route.
Belle tentative, pense Joaquim. Mme Bonsant a dû voir Ennemi public n°1.
Grâce au nombre impressionnant de caméras de surveillance dans cette partie de Manhattan, celles des magasins et des entreprises, dont les images sont balancées en direct sur Internet, il ne la quitte pas des yeux. La tâche, cependant, est ardue à cause de l’obsolescence des appareils. Les membres de l’équipe sur place lui confirment qu’ils la suivent à différentes distances. Superflu. Il sait très bien où chacun se situe.
« Nous ne sommes plus la police à papa », a dit le maire de New York en 2012 en présentant le Domain Awareness System. Effectivement, le bâtiment du Real Time Crime Center à Downtown Manhattan fait davantage penser à un film futuriste qu’à un commissariat traditionnel.
Une dizaine de policiers en uniformes foncés sont assis devant un mur d’écrans de neuf mètres de long, chacun devant un ordinateur. Ils dispensent des informations à leurs collègues dans les rues. Ce qu’ils devaient rechercher autrefois pendant des heures, des jours, voire des semaines, est maintenant à portée de main en appuyant sur un bouton. Un logiciel des plus modernes relie et analyse une quantité considérable de données, des milliers de délits, des probations, les dossiers de millions de personnes, des plans détaillés de la ville, des photos satellite, des adresses, des appels d’urgence, les images de milliers de caméras, les plaques de la moindre automobile quittant ou entrant dans Manhattan.
Lorsqu’ils reçoivent l’appel de l’hôtel Bedley les informant qu’il y a une personne grièvement blessée à la tête, le Domain Awareness System crache en quelques secondes des images aériennes et des plans de la zone du Lower East Side, ainsi que les enregistrements des caméras de surveillance dans un rayon de cinq cents mètres, trente secondes avant l’appel. Tandis que les premières voitures sont dépêchées sur place, les données continuent d’apparaître.
La personne qui appelle ignore depuis combien de temps la victime, un homme, se trouve dans la chambre. Depuis plusieurs minutes, peut-être. Les fonctionnaires travaillent sur les images des caméras les plus proches afin de trouver les suspects.
La femme qui a appelé est calme. Elle a posément transmis les informations. La chambre de la victime avait été réservée par un certain Chander Argawal. À peine a-t-elle transmis son nom que de nombreux voyants rouges s’allument dans le centre où la tension est à son comble.
« Liens possibles avec une entreprise terroriste », informe une alerte standard sur le mur d’écrans.
Le temps d’un souffle et les agents disposent de nombreuses données concernant l’informaticien : CV, employeurs, photos, vidéos, articles de presse. Le directeur du RTCC fait intervenir immédiatement l’unité antiterroriste de la police new-yorkaise.
L’inspecteur Richard Straiten reçoit toutes les informations relatives à l’affaire au moyen de ses lunettes. Ses collègues le conduisent à tombeau ouvert à l’hôtel Bedley.
Cyn ne cesse de regarder autour d’elle. Son cœur bat à tout rompre. Elle croit déceler de l’agitation parmi les passants au niveau du carrefour suivant. Bien qu’elle n’aperçoive rien de précis, elle bifurque, et accélère.
Que de monde !
Devant elle, une échoppe pour touristes. Des torchons, des t-shirts, des lunettes de soleil et des casquettes sont exposés sur des stands. Elle prend une casquette et une paire de lunettes, les enfile et repart. Elle a parcouru la moitié du bloc lorsqu’elle entend crier.
Читать дальше