« Le mec à la casquette les sème », dit Alice.
On est revenu aux images émises par Chander. Les bâtiments sont plus élevés et, au milieu de la chaussée, il y a un tramway.
L’homme marche plus rapidement qu’auparavant, ne cesse de disparaître entre les passants. Ses poursuivants observent un écart suffisant pour ne pas être remarqués.
Will surveille en même temps les réactions sur les réseaux sociaux. Sur Twitter comme sur Freemee, dans le monde entier, plusieurs centaines d’utilisateurs se livrent déjà à des pronostics. Les partisans de l’homme à la casquette bleue sont bien plus nombreux, estime Will. Ils lui envoient des mises en garde et des avertissements, certains insultent les poursuivants, usant d’un vocabulaire fleuri, les menacent même.
Le tramway s’arrête, l’homme monte. Les images tremblotent, deviennent floues, pixelisées. Chander court, Will entend son souffle rauque. Une main bronzée se glisse entre les battants de la porte qui se referment et les rouvre. Le tram est bondé. Will cherche en vain la casquette bleue.
« Il est dans le premier wagon », dit Alice.
Chander aussi l’a remarqué. Il joue des coudes pour progresser. À la station suivante, il descend, regarde autour de lui, contrôle. Cynthia apparaît dans le cadre, puis disparaît. Ils montent dans la voiture de tête. Lorsque les portes se referment, quelqu’un sort par l’autre ouverture. Le jeune homme à la casquette. Un truc vieux comme le monde.
De nouveau, Chander doit passer sa main entre les battants. Il débarque. La guerre est déclarée. L’homme se tient à une dizaine de mètres de l’informaticien et le regarde avec insistance, tandis que le tramway s’en va.
Il fait volte-face et décampe.
« Qu’est-ce que ça signifie ? » halète Cyn. Elle manque cruellement d’entraînement. Elle ne pourra courir longtemps. Un plan de la ville s’affiche dans ses lunettes, lui indiquant où elle se trouve.
« Il va nous conduire je ne sais où », lâche-t-elle, dépitée et reprenant son souffle. « Et on n’a pas le droit de lui sauter dessus. »
Chander ne répond pas. Il doit courir, pas parler. Ils n’ont pas encore parcouru deux cents mètres que ses cuisses la font déjà souffrir. L’homme évite un cycliste de justesse et traverse un carrefour au rouge pour les piétons. Klaxons, crissements de pneus. Sa sacoche le gène.
Ils le rattrapent. Lorsqu’ils arrivent au carrefour, le feu est passé au vert. Cyn remarque à sa cadence que le fugitif est à bout de souffle. Il a remonté les épaules, balancé la tête en arrière, il a ralenti, regarde autour de lui. Cyn lève le pied tandis que Chander gagne du terrain. À sa grande surprise, deux hommes doublent la journaliste. À croire qu’eux aussi veulent lui mettre la main au collet. Tandis qu’il se retourne une fois de plus, il ne peut éviter une femme qui sort de chez elle. Elle fait un tour sur elle-même, manque de tomber mais se rattrape au mur tandis que l’homme trébuche et lâche sa sacoche. Il se relève, désemparé, cherche son ordinateur qui a glissé sous un véhicule en stationnement. La femme pousse de hauts cris, Chander et les deux agents de la CIA sont presque à son niveau. L’homme regarde ses poursuivants, et, alors qu’il découvre où a disparu son ordinateur, Chander est déjà sur lui. Il tente de lui arracher ses lunettes et sa casquette. L’homme se défend, parvient à s’échapper juste avant que les deux autres n’arrivent. Il repart à toute allure. Ahanant, l’informaticien, qui sort quelque chose de son sac, le voit disparaître au loin.
Cyn vient d’arriver à son niveau, elle est en nage.
Il tient une machine de la taille d’une souris équipée de deux hélices.
« On va faire un peu de journalisme aérien. »
Il jette la chose en l’air. Cyn aperçoit le téléphone dans sa main.
« La télécommande, explique-t-il.
— C’est un drone ?
— Un drone de poche, oui. Du même type que ceux du Présidents Day. Super simple à piloter !
— Ça vient d’où ?
— Du bricolage. Tu les trouves en ligne ou dans de bons magasins de jouets ou d’électronique. »
Son pouce glisse sur l’écran du téléphone. Des symboles de navigation apparaissent sur les images transmises par la machine. L’endroit où ils se trouvent apparaît également. Ils se voient d’en haut. Un carrefour plus loin, elle croit reconnaître la casquette bleue. Les deux poursuivants sont toujours à ses trousses.
« Et c’est légal ?
— Tant qu’on peut encore apercevoir notre bestiole et que nous ne filmons pas qu’une seule et unique personne, oui. C’est pas pire qu’une équipe de télévision qui fait des prises dans une rue piétonne.
— C’est qui, ces deux mecs ?
— J’en sais rien. »
Elle n’aime pas la tournure que prennent les événements.
« Tu vas chercher l’ordinateur sous la voiture, s’il te plaît ? Il va peut-être des choses intéressantes.
— Mais on ne peut pas le prendre comme ça ! C’est pas à nous !
— On va le laisser là ? Non, on va d’abord y jeter un œil, puis le filer au premier commissariat. »
La journaliste récupère l’appareil à contrecœur.
Chander enregistre la poursuite, le regard braqué sur son téléphone. Cyn discerne difficilement les images ; des rues vues d’en haut, peuplées de fourmis, dont l’une court à toute vitesse, poursuivie par d’autres. Soudain, trois silhouettes se mettent sur leur chemin. Les poursuivants passent tout de même, mais sont ralentis.
Au moins, elle ne doit plus courir. Épuisée, elle trotte aux côtés de l’informaticien, le portable de Zero sous le bras.
Suiviste, pense-t-elle. Littéralement. Mais qu’est-ce que tu fous ?
Elle ne sait pas tout à fait pourquoi elle a des scrupules. Zero, lui, n’en avait pas lorsqu’il l’a mise sur Internet après la mort d’Adam. Et pourtant… Quatre contre un. C’est inéquitable. Sans compter que ces hommes ont l’air louches. Que se passe-t-il ?
« Il téléphone de nouveau, observe Chander. J’aimerais bien savoir qui sont ces mecs. Quelqu’un nous aide dans l’ombre ?
— Ou c’est des enquêteurs qui le cherchent à cause du President's Day.
— Alors il a intérêt à se magner le train. »
Si Cyn ne se trompe pas, ils ont perdu le contact visuel avec leur drone, disparu quelque part dans une rue parallèle.
L’image sur l’écran de Chander ne cesse de tressauter. Ou il n’est pas bien entraîné au pilotage de drones ou le petit appareil peine à lutter contre les bourrasques de vent. Ou les deux.
« Merde ! Il va dans le métro ! » jure l’informaticien en accélérant.
Cyn ne voit aucune bouche de métro. Elle se met à marcher plus vite, sans pour autant essayer de suivre l’allure de son collègue. Il vient d’ailleurs de disparaître au bout de la rue. Lorsqu’elle arrive à l’angle, il a cinquante mètres d’avance. La station de métro se trouve à environ trois cents mètres en bas de la rue. En plus de Chander, Cyn voit une demi-dizaine de personnes en train de courir. Le fuyard a déjà disparu dans les entrailles du sous-sol.
En haut des escaliers, Chander fait une halte et pianote sur son téléphone. Il se baisse, se retourne. Il tente d’attraper son drone. Il saute en l’air, les bras tendus. En vain. Elle se retient de rire. Peut-être devrais-je filmer tout ça et l’envoyer au Daily, songe-t-elle. Soudain, elle entend s’approcher une sirène menaçante.
« Baisse la tête ! » hurle Chander.
Elle sent un courant d’air puis voit le drone s’écraser sur le bitume à quelques mètres d’elle.
« Merde ! »
L’informaticien ramasse les débris à la hâte et dévale les escaliers. Elle le suit et fourre la sacoche dans son sac à dos.
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