« Tout le monde est prêt ? » demande Chander.
Cyn et Anthony acquiescent.
Chander leur explique qu’il vient de se loguer et qu’il scrute si le numéro de l’appareil recherché apparaît. Manifestement, non.
« Pas là, je crois, constate-t-il. Nous pouvons donc nous entraîner un peu. »
Il choisit une adresse MAC et commence la localisation. Cyn tourne sa boîte. Au bout de quelques minutes, ils obtiennent un triangle. Au centre se trouvent trois jeunes femmes attablées dans la cour et occupées à pianoter sur leurs téléphones.
« L’une d’elles utilise l’appareil que nous recherchons pour notre exercice. On ne peut pas être plus précis, elles sont trop proches les unes des autres. »
Il donne une nouvelle adresse MAC à ses deux acolytes. À peine deux minutes s’écoulent avant qu’ils ne trouvent à qui elle appartient ; un homme barbu avachi sur l’un des bancs, avec un ordinateur portable.
Cyn est impressionnée. Elle joue avec la boîte, sans y penser, tout en suivant l’animation sur la place.
La chaleur du soleil et le sol brûlant l’assomment. Elle ferme les yeux un court instant et s’appuie contre la façade.
Lorsque la voix de Chander la fait sursauter, elle comprend qu’elle a dû s’assoupir.
« Vous m’entendez ?
— Fort et clair, répond Anthony.
— Moi aussi, confirme Cyn, la voix endormie.
— Bien. Alors on commence la localisation. J’ai réglé vos antennes sur la bonne adresse MAC. »
Chander l’a trouvé ! Et elle dormait ! Lentement, elle fait pivoter sa boîte. Sur son écran, le faisceau rouge balaye la cour. C’est Chander qui trouve le signal de l’appareil en premier. Il arrête de bouger sa boîte. Le type doit se trouver quelque part sur cette ligne. Cyn croise son signal avec le sien. Anthony fait de même. Elle oriente l’antenne jusqu’à ce que son ordinateur émette un signal. Celui d’Anthony produit un bip à son tour.
« On l’a ! » s’écrie-t-il.
Excitée, elle cherche sur la place l’endroit marqué d’un point rouge sur l’image satellite. Quelque part en son milieu. Fébrile, Cyn scrute les imposants bancs. Sur l’un d’eux est étendu un jeune homme dégingandé portant jean et t-shirt, comme tant d’autres, ainsi qu’une casquette et des lunettes de soleil. Sur ses genoux, un petit ordinateur.
« Le type avec la casquette bleue et des lunettes de soleil ? demande Anthony.
— Oui », confirme Chander.
À sa gauche et à sa droite, des jeunes qui papotent lézardent, certains jouent sur leur ordinateur ou leur smartphone. Rien d’anormal.
« Je vais essayer d’entrer dans son ordinateur, explique Chander. Peut-être en saurons-nous plus.
— Tu peux faire ça ? s’étonne la journaliste.
— S’il n’est pas verrouillé, oui. »
Grâce à ses lunettes, Cyn fait un zoom sur l’inconnu. Un autre avantage de cet appareil doté d’un objectif digital intégré. Bien que l’homme soit au moins à trente mètres d’elle, il paraît incroyablement proche. Il porte une épaisse moustache, ses joues ne sont pas rasées. Il donne l’impression d’être à la fois concentré et naturel. De temps à autre il lève la tête, comme s’il réfléchissait. Il n’a pas l’air nerveux, ni aux aguets. Il se sent en sûreté. Comme il porte des lunettes de soleil, elle ne peut utiliser le logiciel de reconnaissance faciale.
« Je suis quasi certain que c’est notre homme, dit Chander.
— Qu’as-tu trouvé sur son ordinateur ? demande Anthony.
— Rien. Il l’a extrêmement bien sécurisé. Monsieur Tout-le-monde ne ferait pas ça. Ce qui le rend d’autant plus suspect. Pour le craquer, il me faudrait des heures, voire des jours. Ce type est un as.
— Dois-je m’approcher et lui parler ? demande la journaliste. Pour une interview ?
— On va passer en ligne, annonce Anthony.
— Quoi ? Que… ? demande Cyn, déconcertée. Mais nous avons…
— La situation a changé, la sermonne Anthony.
— Mais il va s’en rendre compte !
— Peut-être. Alors il va réagir. On est trois, il est seul. Il ne peut nous échapper. The show must go on ! C’est d’une traque que tu dois parler. On n’a jamais évoqué le fait qu’on puisse le trouver. »
Bon Dieu !
Cyn zoome sur Anthony. Il parle avec quelqu’un grâce à ses lunettes. Puis il s’adresse à ses deux compagnons : « Je balance ce qu’enregistrent mes lunettes sur le site du Daily. Si vous voulez, vous pouvez vous connecter. À Londres, ils assurent la régie. »
Cyn n’en fait rien. Décontenancée, elle ne peut que constater qu’elle participe à un direct international. Avec des lunettes et un smartphone.
« Ces idiots passent en direct ! jure Jon.
— Ça ne rend pas la chose plus simple », murmure Marten.
Jusqu’alors, ils n’ont suivi la scène que par l’intermédiaire des lunettes des quatre agents de la CIA qui sont sur place. Ils ont identifié le type un peu avant l’équipe du Daily, sans avoir pu obtenir assez rapidement l’aide des autorités autrichiennes.
« On ne peut pas revivre une humiliation comme celle du Président’s Day, s’emporte Jon.
— Personne ne sait que nous sommes là-bas », le rassure Marten.
Sur les images d’une place où vont et viennent quantité de gens, le rédacteur en chef raconte toute l’histoire de 3DWhizz, des numéros de licence aux métadonnées qui les ont menés à Vienne. La caméra de ses lunettes parcourt la place. Les images ressemblent à celles des hommes de la CIA. Que fait cet idiot ? Pourquoi rend-il sa recherche publique, risquant d’alerter le suspect ? Les agents américains commencent à être nerveux. Langley les a informés des faits et gestes de Heast ; ils savent maintenant que la place peut être vue dans le monde entier.
« Ils ne peuvent pas le mettre hors circuit ? Il nous fout tout en l’air.
— En théorie, oui, répond Luís, mais pas si vite. Et puis ce n’est pas notre boulot, mais celui de la CIA. Ils doivent faire ce qu’ils considèrent comme juste. Nous ne sommes qu’observateurs ! »
De plus en plus irrité, Marten suit la retransmission. Dommage qu’il ne puisse orienter lui-même la caméra. Heast prend beaucoup de soin à mettre en scène la traque de Zero, à la manière d’un réalisateur de thriller. Il fait durer le plaisir pour augmenter le suspense.
« S’il continue ainsi, les gens vont se lasser », observe Jon.
Cependant, l’œil averti de Marten a remarqué que la caméra du rédacteur en chef s’attardait toujours sur un point précis. En plein centre de la place, sur un type avec un ordinateur portable, une casquette bleu foncé et des lunettes de soleil. Celui que les agents de la CIA ont identifié.
« Il n’y a plus qu’à espérer que Zero n’a pas mis en place la même alerte que nous sur le Daily », soupire-t-il.
« Combien de temps allons-nous encore rester là à ne rien faire ? » demande Cyn à Chander.
Tandis qu’Anthony tente de faire monter le suspens en livrant des descriptions de plus en plus enflammées, le jeune homme s’affaire calmement sur son ordinateur. Il ne montre pas le moindre signe de nervosité ni de peur. Cyn se demande s’ils n’ont pas levé le mauvais lièvre.
Elle suit le reportage de son chef sur le site du Daily sur son écran. Elle aussi remarque que la caméra s’attarde toujours sur le même endroit. Soudain une nouvelle fenêtre s’ouvre. On y voit les images du Daily en direct. Est-ce Anthony qui a fait ça ?
Mais sur celles-ci, des paires d’yeux musardent et furètent, allant et venant d’une personne à l’autre, regardant par-dessus leurs épaules, les flairant, respirant dans le décolleté d’une jeune femme, avant de s’éloigner.
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