— Mickaël s’est mis à traquer les sujets sordides, les assassins, les bourreaux à un moment de sa vie, alors qu’il bossait dans l’univers du bling-bling . Sa façon à lui, sans doute, de franchir la frontière. D’après ce qu’on découvre aujourd’hui, son frère Charon est un assassin, un tueur, un kidnappeur, tout ce qu’on peut imaginer de pire. Lui aussi a franchi la frontière.
Ils arrivaient à l’entrée de l’aéroport, au niveau des parkings les plus lointains, et marchèrent sur le trottoir.
— Ces deux frères ont les mêmes pulsions, ils sont semblables, unis, quoi qu’on fasse. Ils sont peut-être allés, tous les deux, aussi loin qu’ils le pouvaient de chaque côté de la barrière, à leur façon. La chronologie des tests ADN indique que c’est Charon qui a fait le prélèvement en dernier, et que, donc, selon toute logique, c’est lui qui a retrouvé Mickaël. Mais à voir la sombre quête que Mickaël menait depuis des années, et à voir comment tout cela s’est terminé, je me demande si ce n’est pas Mickaël qui a retrouvé son frère en premier…
— Ses propres obsessions, ses gènes l’auraient conduit sur les traces de son frère ?
— Pourquoi pas ?
Nicolas réfléchit.
— Tu as peut-être raison. En 2010, Mickaël termine sa série de voyages par l’Argentine. Or Charon est originaire de là-bas.
Camille approuva.
— Tout cela semble confirmer ce que je raconte. Et puis, ça pourrait expliquer comment Mickaël a réussi à photographier Loiseau… Parce qu’il suivait son jumeau, le surveillait, et que Loiseau, ce CP et Charon semblaient unis comme des frères. Il a mis le doigt dans un engrenage monstrueux, et, au lieu d’avertir la police, a préféré se taire.
— Quitte à franchir les frontières de la légalité.
— Comme il l’avait déjà fait, oui… Malheureusement, les fameux tests ADN se sont retournés contre lui. Charon l’a retrouvé grâce à Genomica. Un horrible jeu du chat et de la souris qui s’est mal terminé.
Nicolas la regarda avec admiration.
— Ça fonctionne, Camille. Ça fonctionne bien, tout ce que tu me dis là.
Camille lui répondit avec un air grave et déterminé. Ils atteignirent enfin l’aérogare, qui était plutôt calme. Nicolas déplia la fiche informatique de Charon alors qu’il s’arrêtait devant une cabine téléphonique.
— Faut que je tente le coup. Juste pour voir.
— T’es bien certain ? Et s’il répond ?
— Je raccrocherai. Il prendra ça pour une erreur.
Nicolas décrocha un combiné et appela le numéro de téléphone laissé par Charon.
Numéro non attribué . Il raccrocha avec rage.
— Fallait s’en douter, dit-il avec résignation. Ce type est un sacré malin.
Ils passèrent les contrôles de sécurité et s’installèrent dans la salle d’embarquement. Leur avion décollait moins d’une heure plus tard. Nicolas prit la main de Camille et fixa les avions sur le tarmac, avant de somnoler, droit sur son siège, incapable de rester éveillé. Camille retira doucement sa main et se plongea dans un livre décrivant la vie de Gerard Schaefer.
Dans quelques heures, elle descendrait au Styx.
Elle sombrerait dans l’héritage morbide que des gars comme Schaefer avaient laissé derrière eux.
Ce soir-là, Camille rejoignit Nicolas Bellanger qui l’attendait au bas de son hôtel de L’Haÿ-les-Roses.
Le jeune capitaine de police écarquilla les yeux. Il eut l’impression de voir une fille complètement différente de celle qu’il avait quittée quelques heures plus tôt. Elle portait un pantalon en cuir noir moulant, un tee-shirt noir qui soulignait bien la forme de ses abdominaux sous une veste en cuir rouge, et des chaussures à talons qui la grandissaient encore. Un maquillage appuyé mettait en valeur son regard et le dessin de ses lèvres pleines. Elle avait plaqué ses courts cheveux bruns vers l’arrière avec du gel.
Nicolas Bellanger en avait le souffle coupé.
— Impressionnant, fit-il. On dirait Brigitte Nielsen, mais en brune.
— Je dois le prendre comme un compliment ?
— Plutôt, oui.
— Il n’y a pas de dress code particulier dans ce club, mais vaut mieux être dans le ton, expliqua-t-elle. Le rouge, le noir. Sang et ténèbres.
Elle écarta discrètement le pan de sa veste alors qu’ils sortaient dans l’obscurité. Il était 22 heures passées.
— Il y a plus de deux mille cinq cents euros en liquide dans la poche intérieure. Un livret A qui traînait…
Nicolas jeta un œil aux billets.
— Merde… On n’en a pas parlé mais c’est pas à toi de payer pour ça.
— Laisse tomber. C’est pour la bonne cause, non ?
— Oui, mais ça m’embête.
Nicolas passa malgré tout à leur mission de la nuit :
— Bon… Lucie a insisté pour nous aider, puisque Sharko n’est pas là. Elle est déjà en place à un café près du club SM, je te dépose à trois ou quatre rues de là. Tu entres dans L’Olympe et essaies de localiser cet Érèbe.
— Le problème, c’est que, lui, je ne sais pas à quoi il ressemble. Je vais devoir tâtonner.
— Au moindre souci, si tu sens que…
— Je sais, le coupa Camille.
— Très bien. Ton téléphone portable ne fonctionnera probablement pas dans les catacombes. Tu seras seule. Tu descends, tu restes dans le clan des mateurs, des acheteurs. Pas de zèle, observe juste, fais comme les autres, imite leur comportement. Il y aura peut-être le symbole des trois cercles, ou un sigle quelconque. CP te proposera peut-être des « objets » qui te parleront.
— Comme un portefeuille en peau humaine portant ses initiales, par exemple.
— Par exemple. N’oublie pas que c’est sans doute l’endroit où ceux qu’on traque se sont rencontrés. Si tu penses localiser CP, tu mémorises son visage mais tu ne fais rien, surtout. On le tracera à sa sortie. Il suffit qu’il monte dans sa voiture, et on récupère sa plaque d’immatriculation.
— Oui, papa.
Bellanger évita le périphérique et remonta vers Paris en passant par Villejuif puis la place d’Italie. Le téléphone de Camille vibra. Elle observa le nom affiché : Boris. Elle ne décrocha pas, serrant l’appareil entre ses mains.
— Un collègue…
— Il appelle tard. Pourquoi tu ne réponds pas ?
— Je préfère.
— C’est plus qu’un collègue, c’est ça ?
Chaque vibration était comme une torture, et elle s’en voulait horriblement. Il n’y eut pas de petite enveloppe indiquant l’arrivée d’un message. Boris avait dû raccrocher.
— Disons que c’est compliqué, répliqua-t-elle. Avec Boris, on n’est pas ensemble mais… on ressent des choses, l’un pour l’autre. Depuis longtemps. Mais ça ne s’est jamais concrétisé.
Le visage de Nicolas s’obscurcit un peu. Elle soupira.
— Ça aurait été chouette qu’on se rencontre avant, fit-elle. Dans d’autres circonstances…
— Le plus important, c’est qu’on se soit rencontrés, non ? Je ne sais pas ce qui se passera quand tu retourneras dans ta caserne, et je n’ai pas envie d’y penser pour l’instant…
Camille fixait la route, droit devant elle.
— Moi non plus.
Ils arrivèrent à proximité du jardin du Luxembourg. Nicolas Bellanger fit un tour dans la rue Saint-Jacques et bifurqua dans la petite rue Royer-Collard. Il pointa discrètement le doigt vers la terrasse bondée d’un café, qui faisait l’angle entre Saint-Jacques et Royer-Collard.
— Lucie est là-bas, sur la droite.
Camille la repéra. La lieutenant de police était en mode touriste. Elle portait une tunique bleue, avait noué ses cheveux blonds en queue-de-cheval et sirotait une boisson. Elle les suivit quelques secondes du regard. La 206 continua sa route et arriva au niveau du club. Façade discrète plantée entre un institut de massage et un restaurant chinois. Un videur se tenait devant la porte, bras croisés. Quelques ombres marchaient dans la rue sombre, sans éclairage hormis ceux des cafés et autres clubs privés.
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