— Là, si. Ensuite, j’irai la déposer à Anthony, elle prendra l’Orlyval pour l’aéroport. En voiture, ce ne sera pas praticable. Vous vous croiserez peut-être.
L’œil de Sharko brilla.
— Elle a droit à une sacrée attention, j’ai jamais eu ce privilège de me faire accompagner, moi.
Sourire de Bellanger.
— Ça va…
— Avec Lucie, on a remarqué à quel point c’était violent. Je n’ai jamais compris ces choses-là. Merde, c’est tellement mystérieux.
Nicolas précipita sa clope à sa bouche pour éviter de répondre.
— Si ça peut marcher, pourquoi pas ? fit Sharko. Lucie et moi, on s’est bien connus à cause de… Enfin bref.
Il se leva et frotta ses mains l’une contre l’autre.
— C’est pas tout ça, mais j’ai bientôt un avion à prendre. Et ça va aller, merci, je vais me débrouiller.
Il emmena Lucie à l’écart. Ils parlèrent à voix basse.
— Je file à l’appartement faire ma valise et je me mets en route. Ça va bien se passer, avec Jules et Adrien ?
— À ton avis ? Deux mères poules pour s’occuper d’eux, ils vont être aux anges. Surtout, tu fais bien attention là-bas, d’accord ? N’oublie pas qu’on t’attend à la maison, tous les trois.
— C’est une promenade de santé. J’atterris, je récupère les infos et je reviens. Je ne sentirai même pas le décalage horaire.
— Appelle dès que tu arrives.
Lucie jeta un œil vers Nicolas, qui leur tournait le dos et observait la rue par la fenêtre.
— Dis, t’as vu le boss ? On dirait qu’il se passe quelque chose avec la Miss cent mille volts du Nord.
Sharko approuva.
— Il fallait bien que ça finisse par lui tomber dessus à lui aussi, un jour ou l’autre.
La magie de la science, de la technologie, des nouveaux moyens de communication. Après avoir fait sa déposition, Camille avait quitté le Quai des Orfèvres à 11 h 30, et elle venait de se faire déposer en taxi en périphérie de Mataró, Espagne, à tout juste 15 heures, avec quelques changes dans sa valise à roulettes, au cas où elle raterait le dernier vol de retour aux environs de 20 heures.
Nicolas Bellanger l’avait accompagnée jusqu’aux portes de l’Orlyval, la navette qui permettait de rejoindre l’aéroport. Ils avaient échangé leurs numéros de portable — geste purement professionnel —, et le capitaine de police lui avait souhaité bonne chance. Camille ne l’avait pas quitté des yeux jusqu’à ce que l’engin sans chauffeur disparaisse dans un virage.
Devant l’aéroport, Camille s’isola dans un endroit calme et appela sa mère, la gorge serrée. Elle mentit sur toute la ligne. Elle raconta qu’une affaire urgente venait juste de la rattraper sur Lille, que ses collègues avaient besoin d’elle pour deux ou trois jours supplémentaires, mais que, en contrepartie, elle prolongerait d’autant ses vacances à leurs côtés. Il n’y eut pas de mensonge lorsqu’elle lui confia qu’ils lui manquaient terriblement.
Elle raccrocha avec beaucoup d’amertume et se dirigea avec tristesse vers l’aérogare. Elle avait repéré le vol pour Buenos Aires de Franck Sharko et avait entraperçu le flic parmi la foule, aux contrôles de sécurité. Il l’avait reconnue — avec sa grande taille, on la distinguait facilement —, saluée d’un geste chaleureux de la main, avant de disparaître sous les portiques.
Décidément, Camille appréciait bien cette petite équipe qui l’avait tout de suite adoptée.
Retour au sol espagnol. Ça sentait bon l’été, les vacances, mais l’air était étouffant, comme brûlé par le désert du Sahara. On enregistrait des 52 °C en plein soleil à Madrid. Une chape d’acier en fusion qui vous écrasait et annihilait toute énergie. Même elle qui n’aimait pas la plage rêvait d’une bonne baignade. La mer Méditerranée était tout juste à trois kilomètres mais invisible de cet endroit. Elle l’avait narguée à travers le hublot de l’A320 de la compagnie Vuiling Airlines, et la gendarme se dit que, si elle en avait le temps, elle irait tremper ses orteils dans son eau salée, ne serait-ce que quelques minutes.
Elle prit la direction du gros bâtiment gris, plutôt moderne, planté au pied du massif de Montserrat qui semblait pousser de force les villes vers l’eau. Montagne verdoyante, palmiers bruissants, ciel profond. La vue, de l’extérieur, était séduisante. De l’intérieur du bâtiment, elle devait l’être beaucoup moins.
Avant le départ, elle avait préparé le terrain, donnant les coups de fil nécessaires. Ainsi sa visite était-elle annoncée. Lorsqu’elle se présenta avec son anglais plutôt bon à l’accueil du centre de santé mentale, le docteur Marisa Castilla, psychiatre, ne la fit pas attendre.
La femme avait les épaules voûtées et se déplaçait avec lourdeur, sans joie, comme ceux qui attendent leur retraite et pour qui chaque jour de travail est devenu un fardeau. Camille expliqua brièvement la raison de sa venue — une enquête criminelle dont elle ne pouvait divulguer le contenu mais qui était en relation, peut-être, avec le passé de Maria Lopez.
La spécialiste ne chercha pas à en apprendre davantage. Elles échangèrent en anglais, Camille avait un bon niveau scolaire en espagnol pour l’écrire ou le comprendre mais beaucoup de difficultés pour le parler.
— Je ne suis pas la psychiatre chargée de son dossier, ma consœur est en vacances à l’étranger, fit Castilla.
— C’est dommage. Vous pouvez tout de même me parler de Maria ?
— Elle ne communique quasiment plus et suit un traitement lourd. J’ai peur que votre visite ne soit inutile et que vous n’ayez dépensé de l’argent pour rien.
Elle n’avait pas l’air très sympathique mais elle avait accepté de la recevoir, c’était l’essentiel.
— Dites-moi, savez-vous, au moins, comment Maria est arrivée ici ?
— Oui, j’ai jeté un œil au dossier médical. Elle vivait seule dans une petite maison isolée et plutôt délabrée de Matadepera. Pas de famille, personne pour s’occuper d’elle. Ce sont les services sociaux qui nous ont alertés, il y a six mois. Elle était quasiment morte quand ils l’ont récupérée, le corps traversé de coups de… (elle chercha le mot quelques secondes, afin de le traduire au mieux) ciseaux de jardin.
Elles avançaient dans des couloirs propres, où évoluaient quelques patients en compagnie d’infirmiers ou de médecins. L’air était agréable, ni trop chaud ni trop froid. On se sentait mieux entre ces murs que dehors, finalement.
— Elle n’a pas d’enfants ? demanda Camille.
— Aucun. Elle a longtemps travaillé pour une petite entreprise de ferronnerie, avant de se retrouver au chômage, il y a cinq ans. Elle n’est plus jamais sortie de la solitude et du désespoir…
Où est donc passé le bébé qu’elle portait ? songea Camille.
La jeune femme pensait de plus en plus que le bébé de Maria pouvait être le petit squelette. Elle montra une photo récupérée auprès de Nicolas Bellanger, où l’on voyait Mickaël Florès souriant, assis à une table. Il avait été assassiné une semaine après l’internement de Maria donc, théoriquement, il avait pu se rendre dans cet hôpital.
— Cet homme est-il déjà venu lui rendre visite ? demanda-t-elle.
— Jamais vu. Mais notre hôpital est grand, les patients sont nombreux et, comme je n’assure pas le suivi de Maria Lopez, je ne puis en être certaine.
Après avoir monté un étage, Marisa Castilla s’arrêta devant une porte fermée.
— C’est une chambre sans fenêtre, les vitres lui font peur, d’après le dossier. Maria n’est pas dangereuse mais peut avoir des réactions violentes malgré son traitement. On l’a prévenue de votre venue, mais je vous le répète, je doute que vous en tiriez grand-chose.
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